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"Aucun policier ne vous punira si vous n'utilisez pas 'mot-dièse' !"

Francetv info a interrogé la chef de la mission développement et enrichissement de la langue française au sein du ministère de la Culture, chargée en outre de la francisation de certains termes.

Article rédigé par Vincent Matalon - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans son édition du 23 janviers 2013, le Journal officiel recommande l'emploi de "mot-dièse" pour remplacer l'anglicisme "hashtag". (KRISTIN LEE / TETRA IMAGES / GETTY IMAGES)

Courriel, cybercaméra, arrosage… La francisation du vocabulaire venu d'internet n'en finit pas de susciter les moqueries. Dernier exemple en date mercredi 23 janvier, avec le Journal officiel qui recommande d'employer "mot-dièse" pour remplacer "hashtag", l'anglicisme qui désigne un mot cliquable sur Twitter.

Il n'en fallait pas davantage pour lancer un concours de blagues sur le réseau social.

Pour savoir comment de tels mots atterrissent au Journal officiel, francetv info a interrogé Bénédicte Madinier. Chef de la mission développement et enrichissement de la langue française au sein du ministère de la Culture, elle est en outre membre de la commission qui s'est réunie pour adapter "hashtag" en "mot-dièse".

Francetv info : Comment identifiez-vous un mot qui doit être francisé ?

Bénédicte Madinier : Tout commence par un travail effectué dans ce que l'on appelle une commission de terminologie. Il y en a 18 au total, qui sont spécialisées – en informatique, en science, etc. – et rattachées à différents ministères. Cette commission réunit des experts et des traducteurs, pour la plupart bénévoles, qui repèrent et discutent des termes auxquels donner un équivalent français.

Mais leur mission ne s'arrête pas là : ils doivent avant tout définir précisément les notions qu'ils étudient, avec pour objectif de transmettre ce savoir au public. Ce travail est fait avant de réfléchir à une traduction et ce n'est pas facile, car souvent, ces notions évoluent rapidement.

Quels critères entrent en compte pour qu'un mot soit jugé recevable ? 

Il faut que ce mot ait un début d'usage dans les milieux professionnels ou spécialisés, et qu'il existe des chances de le voir se répandre dans le public. Ce point n'est pas simple quand il s'agit d'internet, où les termes peuvent passer rapidement dans le langage courant. Mais si l'on juge que le mot va rester cantonné à une sphère de spécialistes, on le laisse tel quel. En cela, la veille terminologique effectuée par les commissions est très utile.

Lorsque tous les membres de la commission se sont mis d'accord sur une définition et un terme français, ils envoient leur proposition à une autre commission, qui dépend elle du Premier ministre. Elle joue le rôle du grand public, en interrogeant les auteurs de la proposition, en leur demandant des précisions… Tout est ensuite transmis à l'Académie française, publié au Journal officiel, et sur notre moteur de recherche.

Quel est le délai entre l'examen d'un mot et sa publication au Journal officiel ?

Habituellement, cela prend plusieurs mois : il ne faut pas oublier que la plupart des membres des commissions de terminologie sont bénévoles et exercent une autre activité professionnelle. Mais il existe aussi une procédure d'urgence, que l'on utilise le plus souvent lorsque le mot doit être utilisé dans une loi. Ça a été le cas récemment avec "liseuse" (pour e-book), ou encore "flexisécurité" (pour flexicurity). Dans ce cas, la procédure prend deux à trois mois.

Comment se sont déroulées les discussions pour aboutir à "mot-dièse" pour remplacer "hashtag" ?

Comme toutes les autres : avec des débats intenses menés par des experts passionnés, jusqu'à obtenir un consensus.

Qu'avez-vous à répondre aux railleries des internautes ? Sur Twitter, beaucoup trouvent que "mot-dièse" fait ringard.

Ça ne m'étonne pas, c'est la nouveauté qui choque. Quand un mot nouveau apparaît, il sonne toujours de manière étrange à l'oreille. Puis le temps passe, et certains mots qui semblaient ridicules au départ finissent par être adoptés. 

Quoi qu'il en soit, nous n'imposons à personne d'employer "mot-dièse" : la publication au Journal officiel concerne surtout les administrations. Aucun policier ne vous punira si vous ne l'utilisez pas !

Personnellement, je ne vois pas en quoi ce mot serait ridicule : il est simple à prononcer, et beaucoup plus évocateur que "hashtag" pour les personnes qui se sentent loin de Twitter. C'est là le but : démocratiser des notions nouvelles pour éviter que certains se sentent à l'écart de la modernité.

Vous préconisez d'employer "arrosage" à la place de "spam" et "dialogue en ligne" à la place de "chat". Ces mots ne sont pas vraiment entrés dans les mœurs : avez-vous l'impression de réussir votre mission de faire évoluer la langue ?

A chaque fois, c'est un pari plus ou moins risqué. Certains mots finissent par s'implanter, d'autres par disparaître. Le temps de la langue française n'est de toute manière pas celui de la technique, qui se diffuse plus rapidement. Et puis il y a des mots anglais qui ne font que passer : il y a quelques années, "cocooning" était très populaire. Il n'est plus très employé aujourd'hui. 

Nous voulons faire en sorte que le public prenne conscience qu'en privilégiant l'anglais, nous mettons en péril notre langue. Nos propositions visent à faire évoluer le français, car une langue qui reste figée est vouée à ne plus avoir d'utilité.

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