: Infographies Prime au privé et aux milieux favorisés... Ce que révèlent les classements des lycées
Cet article a été publié une première fois par franceinfo en mars 2023. Les méthodologies des médias cités restant similaires, l'analyse des palmarès garde toute sa pertinence en 2024. Franceinfo a donc choisi de republier cet article à l'occasion de la diffusion de nouveaux classements, mercredi 20 mars 2024.
Quel est le taux de réussite au bac dans le lycée près de chez vous ? Les bacheliers y sont-ils nombreux à décrocher des mentions ? Chaque année, les indicateurs d'évaluation de l'Education nationale sont scrutés par de nombreux parents d'élèves. Certains médias, comme franceinfo ou Le Monde, ont choisi de publier les résultats sans hiérarchiser les établissements, mais d'autres en ont tiré des classements.
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Que révèlent ces classements ? Affichent-ils tous les mêmes résultats ? Et quelle conclusion peut-on en tirer ? Afin de répondre à ces questions, franceinfo a analysé les palmarès publiés par quatre médias : Le Figaro , Le Parisien , L'Etudiant et l'Internaute, chacun utilisant à sa manière les chiffres fournis par l'Education nationale, le 29 mars 2023. Ces méthodologies n'ont pas changé en 2024.
Les lycées privés et les milieux favorisés en tête
Pour comparer ces quatre palmarès entre eux, franceinfo a isolé les 100 premiers lycées de chaque classement. Il en ressort une surreprésentation du privé. En France, les lycées privés ne représentent qu'un tiers environ des établissements d'enseignement général et technologique. Pourtant, leur proportion dépasse les 50%, voire les 80%, dans le haut des classements de L'Etudiant, du Parisien, du Figaro et de l'Internaute.
Les élèves des 100 "meilleurs lycées" de ces palmarès ont également des profils sociologiques plus favorisés que dans la moyenne des établissements français. Pour s'en rendre compte, franceinfo a étudié l'indice de position sociale des lycées. Cet indicateur rend compte des conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves scolarisés. Franceinfo l'a transposé sur une échelle allant de 0 à 10. Un score faible signifie que le lycée accueille des élèves venant d'un milieu plutôt défavorisé. A l'inverse, si le score est élevé, les élèves évoluent dans un cadre très propice à la réussite scolaire.
Dans les tops 100 des lycées du Figaro de l'Internaute, et dans une moindre mesure du Parisien, figurent des établissements fréquentés par des élèves nettement plus privilégiés que la moyenne nationale. Seul le classement de L'Etudiant met en avant des lycées à la population scolaire proche de la moyenne nationale.
Une prime à la sélection
Comment expliquer cette prime au privé et aux établissements qui accueillent les élèves les plus favorisés ? Par la sélection, dénoncent les syndicats enseignants. "Ces classements mettent systématiquement le privé en avant. Ce qui est tout à fait logique puisque le privé choisit ses élèves. Or, le public ne peut pas le faire. Nous nous retrouvons donc avec des comparaisons qui ne sont pas valables", dénonce Claire Guéville, secrétaire nationale en charge des lycées au Snes-FSU, le syndicat du public majoritaire pour le second degré.
Cet écueil a été démontré depuis longtemps par la recherche. "La réussite affichée par un lycée est avant tout le reflet des caractéristiques des élèves qui y sont scolarisés", rappellent ainsi les économistes Pauline Givord et Milena Suarez Castillo dans un article paru en 2021 dans la revue Economie et statistique de l'Insee. Les deux autrices adressent une mise en garde aux parents d'élèves : "Ne pas tenir compte des effets de sélection peut donner des images biaisées de la qualité des établissements, et donc des informations peu pertinentes pour les familles".
Tenir compte de la "valeur ajoutée" d'un lycée
Pour éviter ce biais de sélection, le ministère de l'Education nationale met à disposition depuis trente ans des indicateurs dits de "valeur ajoutée". Ces valeurs sont calculées en fonction des résultats attendus selon les profils des élèves de chaque établissement. Un lycée qui obtient un score négatif en "valeur ajoutée" réalise une moins bonne performance que ce que laissait espérer le profil de ses élèves, et vice-versa si le score est positif.
Le classement de L'Etudiant est celui qui prend le plus en compte cet indicateur. Les "valeurs ajoutées" comptent pour 40% de la note globale que le média spécialisé donne à chaque lycée. Du côté du Parisien, les "valeurs ajoutées" ont longtemps eu la cote. Jusqu'à l'an dernier, il s'agissait du seul critère d'évaluation retenu par le journal. "Ce choix avait été fait en concertation avec les statisticiens de l'Education nationale. Parce que les spécialistes considèrent que la 'valeur ajoutée' est l'indicateur le plus correct pour comparer les performances des lycées", explique Victor Alexandre, journaliste au sein de la cellule data du Parisien.
Mais en 2023, le classement du Parisien a changé. "Le fait est que la réussite au bac constitue le critère le plus important pour les parents", précise Victor Alexandre. Résultat : les taux de réussite et de mention au bac pèsent désormais pour près de la moitié (46%) de la note des lycées dans le classement du journal. Ce choix éditorial a fait exploser la part des lycées privés dans le haut du classement. En 2022, 20% des 50 meilleurs lycées listés par le Parisien étaient privés. Cette année, ce pourcentage s'élève à 54%.
"Nous avons besoin d'autres indicateurs"
Cette prime aux bonnes notes est encore plus forte dans les classements de L'Internaute et du Figaro. Les deux médias s'appuient essentiellement sur les résultats au baccalauréat pour leur classement. "Nous, notre objectif, c'est de donner des réponses aux familles. Et les familles veulent savoir dans quel établissement leurs enfants vont avoir le bac", justifie Sophie de Tarlé, rédactrice en chef en charge des palmarès de l'éducation au Figaro. "Notre rôle, c'est de dire la vérité aux familles. Et la vérité, c'est que les lycées Henri IV et Stanislas sont parmi les meilleurs de France."
Et peu importe si les indicateurs utilisés sont très dépendants des profils des élèves, et peu des lycées eux-mêmes. Sophie de Tarlé juge même que les proportions de diplômés ne sont plus des critères assez discriminants. "Les taux de réussite sont trop élevés maintenant. Nous avons besoin d'autres indicateurs", regrette la rédactrice en chef, qui espère avoir un jour accès aux taux de mentions "très bien" des lycées. "Cela fait des années que nous les réclamons. Mais le ministère refuse de nous les donner. On va donc finir par les demander de manière officielle", annonce-t-elle.
Le Figaro pourrait pour cela compter sur la politique impulsée par Emmanuel Macron. En 2022, le président candidat avait promis "plus de transparence" sur les résultats des évaluations nationales. Cet engagement s'est concrétisé cette année avec la publication pour la première fois d'indicateurs de performance des collèges ainsi que des notes moyennes au brevet de chaque établissement.
La crainte de répercussions au collège et à l'université
Une initiative qui fait grincer les dents du côté du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale (SNPDEN). "Le résultat, c'est qu'on va aggraver le comportement de certains parents qui vont éviter certains établissements. Car le moment où les départs vers le privé sont le plus important, c'est lors de l'entrée au collège", déplore Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN. "Les collèges des zones d'éducation prioritaires vont être fuis par les classes moyennes", s'alarme-t-il
Il a en effet été démontré que les classements contribuent à amplifier les écarts de mixité sociale. "Les parents les plus informés ou ayant les moyens de choisir l'établissement où scolariser leur enfant ont souvent un capital scolaire plus élevé", écrivent les économistes Pauline Givord et Milena Suarez Castillo.
Les effets de ces classements s'arrêtent-ils après le bac ? Si le nom, le genre et l'adresse des candidats sont désormais anonymisés dans Parcoursup, ce n'est pas le cas de leur lycée. Selon un rapport de la Cour des comptes, rendu en 2020, "jusqu'à 20% des commissions d'examen des vœux des filières non sélectives les plus en tension utilisaient le critère du lycée d'origine en 2019". Afin d'éviter toute discrimination, la Cour, comme le Défenseur des droits, recommandaient une anonymisation du lycée sur la plateforme.
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