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Chine : Bo Xilai, l'homme qui espionnait trop

L'ancienne étoile montante de la politique chinoise Bo Xilai aurait écouté plusieurs personnalités, dont le président Hu Jintao, provoquant sa propre chute.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Bo Xilai, le 13 mars 2012 à Pékin. (RI XI SZ / AFP)

Espionnage, gros sous et ramifications politiques. L'"affaire Bo Xilai" passionne les Chinois, à plus d'un titre. Etalée sur la place publique, elle révèle les manipulations ourdies dans les arcanes du pouvoir de la République populaire de Chine. Le 26 avril, le New York Times a apporté de nouvelles révélations à l'exécution politique de Bo Xilai, ex-homme fort de Chongqing, mégalopole de 30 millions d'habitants, et ancien ministre du Commerce. Selon le scoop du journal américain, le haut dignitaire aurait eu l'outrecuidance de mettre sur écoute le président Hu Jintao lui-même.

L'étrange décès d'un homme d'affaires britannique

Tout commence par la mort de Neil Heywood, un homme d'affaires britannique, dans sa chambre d'hôtel de Chongqing, le 15 novembre 2011. Ce dernier a des liens étroits avec la famille de l'ancien chef du Parti de Chongqing, Bo Xilai. Le sang du Britannique contient une grande quantité d'alcool, indiquent les autorités. Etrange, car d'après ses proches, il n'était pas du genre à forcer sur la bouteille. Le corps de Heywood est rapidement incinéré.

Trois mois plus tard, des rumeurs insistantes circulent sur la disparition du chef de la police de Chongqing, Wang Lijun, qui s'est forgé une réputation de héros de la lutte contre la corruption. Le policier, considéré comme le bras droit de Bo Xilai, a passé une trentaine d'heures quelques jours plus tôt au consulat américain de Chengdu (à 300 kilomètres de Chongqing). Déguisé en femme, il a demandé à s'y réfugier et a livré, au passage, un mallette pleine de documents sur Bo Xilai. Il y est question du meurtre due Neil Heywood, mais aussi de corruption et de luttes de pouvoir, relate Libération. La police chinoise encercle le consulat. L'homme n'est pas un tendre (il a supervisé des séances de torture), mais il finit par se rendre.

L'épouse de Xilai accusée d'assassinat

Un mois passe et le 10 avril, l'agence Chine nouvelle annonce que l'épouse de Bo, Gu Kailai, a été arrêtée. Avocate internationale et écrivain, c'est une femme "intelligente, charismatique et attirante", selon les mots d'un journaliste chinois à l'AFP.

Elle est "accusée dans les médias officiels du meurtre, en novembre (…) de Neil Heywood, qui aurait servi d’homme de paille pour blanchir l’argent douteux de la famille Bo à l’étranger", écrit dans un autre article Libération. Grande brasseuse d'affaires, Gu Kailai et son fils Bo Guagua avaient avec le Britannique "des conflits au sujet d'intérêts économiques, qui se sont intensifiés", selon l'agence officielle. Le rôle de la victime reste drapé de mystère. Le gouvernement britannique assure que l'homme qui aurait travaillé pour une société d'intelligence britannique n'était pas un espion de Sa Majesté. Dans une dépêche, Reuters affirme que le businessman aurait été empoisonné après avoir menacé de raconter comment Gu Kailai transférait de l'argent vers l'étranger.

La chute de Bo Xilai

Le même jour, Chine nouvelle annonce que "le camarade Bo Xilai est suspecté de sérieuses violations de la discipline, et le Comité central du Parti communiste chinois (PCC) a décidé de suspendre sa participation au bureau politique". Il avait déjà été limogé en mars de son poste de chef du Parti communiste.

Ces annonces doivent être lues à la lumière des luttes politiques qui animent le parti. Bo Xilai faisait figure de sérieux prétendant à un poste au sein des "Neuf" du tout puissant Comité permanent du Politburo du PCC. L'organe doit, cet automne, renouveler sept de ses membres lors du XVIIIe congrès du parti et changer de secrétaire général, un poste aujourd'hui occupé par le président Hu Jintao. Dans ce contexte s'affrontent les partisans de la vision plutôt traditionnelle du socialisme, défendue par Bo Xilai, et les promoteurs d'une ligne économiquement libérale. 

Une famille fortunée

Sur les sites internet qui ne sont pas censurés, notamment ceux hébergés aux Etats-Unis comme Renminbao.com ou Boxun.com, informations et rumeurs déferlent tandis que les Chinois se passionnent pour cette saga inédite.

L'image de Bo Xilai, loué pour sa répression de la corruption et du crime organisé en prend un coup comme le raconte Foreign Policy (article en anglais) et les relations de la famille Bo (infographie en anglais) sont mises au jour, ainsi que son train de vie. Alors que le dirigeant politique ne gagne officiellement guère plus de 1 000 euros par mois, la fortune familiale est évaluée à plus de 100 millions d'euros.

Le frère aîné de Bo Xilai, Bo Xiyong, est forcé de démissionner de China Everbright International, un conglomérat d'Etat. Le fils, Bo Guagua, est accusé d'avoir conduit une Ferrari, ce qu'il dément, rapporte le New York Times (article en anglais). Mais le Wall Street Journal (article en anglais) affirme qu'il a reçu trois contraventions aux Etats-Unis, où il étudie à Harvard, au volant d'une Porsche. Des révélations embarassantes, alors que son père prône le rigorisme maoïste.

L'un des "Neuf" mis à l'index

Le scandale ne s'arrête pas à la famuille Bo. Zhou Yongkang, chef des services secrets et membre du Comité permanent du Politburo, se trouve aussi menacé. Selon Le Figaro, Bo Xilai était l'un de ses protégés et il aurait vu en lui son successeur. "Quand la crise a éclaté, mi-mars, les 'rumeurs nuisibles' avaient évoqué un 'coup d'État' fomenté par Zhou, en soutien à Bo et ses réseaux. Et des sites internet rapportaient que les deux hommes avaient, par le biais d'écoutes, cherché des éléments pour discréditer leurs rivaux, notamment le futur président Xi Jinping", écrit le quotidien.

Pour Libération, l'affaire illustre les luttes de pouvoir au sein du parti. Zhou aurait pris fait et cause pour son dauphin lors de la réunion secrète des "Neuf" durant laquelle a été décidé d'exclure Bo Xilai du parti. Les deux se seraient opposés à la ligne officielle du parti et le premier aurait déclaré à son possible remplaçant que Xi Jinping, successeur désigné du président Hu Jintao, "est un faible incapable de mener une Chine forte", selon Boxun.com. Zhou chercherait maintenant à faire amende honorable, alors que, toujours selon Boxun cité par Libération, une enquête anticorruption vise son fils, soupçonné d'avoir détourné des millions d'euros.

Des écoutes systématiques

Plus que les accusations de corruption ou l'affaire du meurtre de Heywood, ce sont les pratiques de surveillance du dirigeant de Chongqing qui seraient à l'origine de sa disgrâce. Son bras droit, le policier Wang Lijun, avait mis en place un système d'écoutes dans toute la ville. Les conversations téléphoniques de pratiquement tous les hauts responsables visitant Chongqing étaient surveillés. Les services du gouvernement central avaient détecté une écoute lors d'un appel du président à un haut responsable de la lutte anticorruption en visite dans la mégalopole en août 2011. Le début de la fin pour Bo, qui sera définitivement écarté quelques mois plus tard.

A Pékin, le Premier ministre Wen Jiabao, fin stratège comme le rappelle Foreign Policy, en est le principal bénéficiaire, note le Financial Times (article abonnés). Selon le journal, les réformistes pourraient en profiter pour faire évoluer la Constitution et introduire plus de démocratie.

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