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Crise en Egypte : que se passe-t-il ?

Le président Mohamed Morsi a étendu ses pouvoirs, déclenchant la fronde des juges et d'importantes manifestations dans le pays. Décryptage.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des opposants au président égyptien, Mohamed Morsi, affrontent la police devant le Conseil suprême de la justice au Caire (Egypte), le 24 novembre 2012. (ASMAA WAGUIH / REUTERS)

EGYPTE - C'est la première crise majeure en Egypte depuis l'arrivée en juin à la tête du pays de Mohamed Morsi, le premier président élu depuis la chute d'Hosni Moubarak en février 2011. Des heurts entre partisans et opposants du dirigeant islamiste ont entraîné la mort d'un jeune militant islamiste, dimanche 25 novembre, au sud d'Alexandrie.  

A l'origine de ces manifestations, une déclaration de Mohamed Morsi. Jeudi 22 novembre, le président a émis un décret qui place ses décisions au-dessus de la loi. Conséquence : ses opposants l'accusent de se comporter, comme son prédécesseur, en "pharaon", et de mettre en péril les acquis de la révolution et l'indépendance du pouvoir judiciaire. Retour en quatre étapes sur cette nouvelle crise qui secoue le pays.

1Des pouvoirs élargis pour le président

Grâce au décret présidentiel adopté jeudi, Mohamed Morsi a la possibilité de "prendre toute décision ou mesure pour protéger la révolution" de février 2011 qui a mis fin au "règne" d'Hosni Moubarak. Donc de s'octroyer des pouvoirs élargis. Dans son décret, le président a aussi décidé que la Haute Cour constitutionnelle ne pouvait plus examiner les recours déposés contre la commission chargée de rédiger la future Constitution. Une commission dominée par les islamistes et dénoncée par de nombreux opposants.

Selon le camp du président égyptien, ce décret permet d'accélérer les réformes démocratiques, en particulier la rédaction de la nouvelle Constitution, attendue mi-février. Mais des versions provisoires du texte sont très critiquées car elles laissent craindre que les droits fondamentaux ne soient pas protégés. "Le contenu de la Constitution est au cœur de cette nouvelle crise, parce que le texte provisoire prévoit une forte concentration des pouvoirs par le président", analyse Sophie Pommier, spécialiste de l'Egypte et chargée de cours à Sciences Po Paris, contactée par francetv info.

Les opposants au dirigeant égyptien, eux, fulminent contre ce décret"Aujourd'hui, Morsi a usurpé tous les pouvoirs. Un énorme coup porté à la révolution qui pourrait avoir d'épouvantables conséquences", indique sur Twitter, Mohamed El-Baradei, prix Nobel de la paixL'opposition, qui parle de "coup d'Etat contre la légalité", appelle à des manifestations à travers le pays. 

2Des manifestations qui dégénèrent

De fait, des mobilisations s'organisent vendredi. Mais certains rassemblements dégénèrent. Des manifestants mettent le feu aux locaux du Parti liberté et justice de Mohamed Morsi, la branche politique des Frères musulmans, dans les villes de Suez, Ismaïlia et Port-Saïd, selon la télévision publique.

Dans les rues du Caire, la capitale, les opposants se retrouvent place Tahrir, et les partisans se regroupent devant le palais présidentiel. A Alexandrie, la deuxième ville du pays, des accrochages éclatent entre pro et anti-Morsi.

Samedi, les forces anti-émeutes tirent des gaz lacrymogènes place Tahrir pour disperser des manifestants. Un sit-in entamé vendredi soir par des protestataires laïcs et libéraux se poursuit sur la place, où une trentaine de tentes ont été érigées. Dans le même temps, des centaines de partisans du président manifestent dimanche soir. 

Certains affrontements continuent dans le reste du pays. A Damanhour, au sud d'Alexandrie, un jeune islamiste est tué devant le siège des Frères musulmans, au cours de heurts dans lesquels sont utilisés bâtons, cocktails Molotov et pierres. Des opposants au président tentaient de prendre d'assaut le bâtiment depuis trois jours.

3Des grèves de juges et de journalistes

Prenant la tête du mouvement de contestation, le Club des juges réagit samedi en appelant à une grève des tribunaux du pays. Dimanche, premier jour de la semaine pour les Egyptiens, les juges d'Alexandrie cessent le travail. Dans chacune des 25 autres provinces, ils entament des réunions pour décider de suivre ou non l'appel à la grève. Le 4 décembre, le tribunal administratif d'Egypte doit également examiner une demande d'annulation du décret présidentiel à la suite de plaintes déposés par le Club des juges. 

"C'est logique que les juges se mobilisent : les dispositions du décret adopté jeudi empiètent sur leurs prérogatives. Ils constituent un contre-pouvoir depuis longtemps, même sous la présidence de Moubarak", souligne Sophie Pommier.

De son côté, le syndicat des journalistes égyptiens appelle aussi dimanche à une grève générale sans qu'une date soit encore définie.

4Une tentative d'apaisement

Dimanche soir, le président égyptien souligne que les pouvoirs élargis qu'il s'est attribués sont "temporaires", appelant à un "dialogue démocratique". C'est un mirage, pour Sophie Pommier : "Les pouvoirs élargis seront inscrits dans la nouvelle Constitution, qui sera validée puis soumise par référendum à la population, avant d'être adoptée définitivement. En minimisant la réaction de ses opposants, Mohamed Morsi applique une stratégie pour arriver à ses fins."

Pour l'instant, le président égyptien se défend de concentrer tous les pouvoirs et indique au contraire vouloir les remettre à un Parlement démocratiquement élu. Il devait rencontrer le Conseil suprême de la justice lundi. "Il va tenter d'amadouer les juges. Cela fait partie de sa stratégie : d'abord, il prononce des paroles 'apaisantes' pour montrer qu'il respecte la démocratie. Ensuite, il mise sur la désunion de l'opposition. Et enfin, il pointe du doigt un noyau de révolutionnaires isolé, explique Sophie Pommier. Cette stratégie devrait fonctionner, sauf si les prochains affrontements sont très très violents. Dans ce cas, cela sera difficile à gérer."

L'issue de la crise pourrait donc se décider mardi. Les Frères musulmans ont appelé à une manifestation massive au Caire. Le lieu de rassemblement initialement prévu a été modifié, dans une apparente tentative de rester éloigné de la place Tahrir. Des opposants au président y prévoient de leur côté un grand rassemblement.

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