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Sélection d'été 2023 : dix romans graphiques et bandes dessinées à croquer

A la plage ou à la montagne, chez soi ou ailleurs, voici une dizaine de BD et romans graphiques à lire, d'univers et de genres différents, qui ne vous laissera pas indifférents.
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 14min
Rayon de la BD et des mangas de la librairie "Le Merle moqueur", à Paris. (Mohamed BERKANI)

Pour les jeunes et les moins jeunes, pour les amoureux de l'aventure ou de l'actualité, pour les fans de la bande dessinée ou du roman graphique, nous vous présentons ces pépites glanées lors de nos lectures. Comme toute sélection, elle est nécessairement non exhaustive.

1"Résidence Autonomie" : bienvenue chez les seniors

Éric Salch, dessinateur de Charlie Hebdo, signe une œuvre poignante, pleine d’empathie et d’humour, sur les pensionnaires d’une résidence pour personnes âgées. Résidence Autonomie, une œuvre indispensable. Quand tout va mal, restent l’humour, l’ironie bienveillante et l’empathie pour ne pas désespérer. Et il en faut pour lire ce puissant témoignage sur le sort des seniors, anglicisme pudique qui désigne les personnes âgées, dans une résidence spécialisée. C’est l’antichambre des Ehpad, des mouroirs diront certains, "le purgatoire avant l'enfer". Pour rédiger Résidence Autonomie (éditions Dargaud),  Éric Salch s’est appuyé sur l’expérience de Marc, un ami envoyé du jour au lendemain par Pôle Emploi s’occuper des seniors sans aucune formation. Pour Marc, c’est juste un "job cool, deux nuits par semaine à être payé pour dormir". Très vite, il découvre la réalité de son travail, après une formation express de trois jours. C’est loin d’être un long fleuve tranquille. Avec  Résidence Autonomie, on rit, on s’émeut, on se révolte et… on réfléchit. Résidence Autonomie, roman graphique essentiel. Éric Salch, auteur inspiré. Coup de cœur.

("Résidence Autonomie", Éric Salch, Dargaud, 24 euros)

Couverture du roman graphique "Résidence Autonomie" d'Eric Salch. (DARGAUD BENELUX)

2"Latah", dans la jungle vietnamienne

L'auteur de BD Thomas Legrain choisit la guerre du Vietnam comme contexte à une œuvre profondément fantastique et humaine. Les références sautent aux yeux. Côté cinéma : Predator, Apocalypse now, Platoon et autres films du genre. Côté bande dessinée : Jean Van Hamme, et l’école classique belge. Après avoir travaillé avec plusieurs auteurs, le dessinateur de la série Sisco, Thomas Legrain, voulait s’émanciper, être responsable d’un album au scénario et au dessin. Pour sa première grande œuvre, il choisit le contexte de la guerre au Vietnam, revenant ainsi à ce qu’il a toujours aimé : le récit de guerre. Avec  Latah (éditions Le Lombard), on est dans le "survival" et le fantastique. Nous sommes au Vietnam, en 1965. Une escouade de soldats américains entre dans un territoire étrange, hors du temps. Bienvenue dans un monde fantastique dominé par une créature étrange (Latah) qui ne va pas sans rappeler le Gritche de Dan Simmons, une créature destructrice et protectrice. Une divinité qui se nourrit de la douleur et engendre de la souffrance. Thomas Legrain, précis dans ses dessins   plutôt réalistes, laisse une grande part au fantastique dans Latah, où le côté psychologique n’est pas négligé. Latah, une bande dessinée à part.

("Latah", par Thomas Legrain. Éditions  Le Lombard, 23,95 euros)   

Couverture de l'album Latah de Thomas Legrain. (Editions Lombard)

3"Les Cahiers d'Esther" : 17 ans, toujours aussi hilarante

La jeune fille sort tranquillement de l'adolescence et se dirige tout droit vers l'âge adulte, pour notre plus grand plaisir. Quand l'album démarre, Esther a 16 ans. Elle entre en 1ère dans son lycée "d'élite", majoritairement peuplé de "supers bourges", et baptisé "Royal" pour brouiller les pistes. Elle vit toujours chez ses parents dans le 17e arrondissement à Paris, est toujours copine avec Cassandre ("une légende") et elle est aussi toujours célibataire. La jeune fille passe le bac Français, fait un stage BAFA, participe à la "journée défense et citoyenneté"… Dans ce nouvel épisode, on découvre une Esther sur le chemin de l'âge adulte, avec ses doutes, ses moments de déprime, ses aspirations, ses angoisses, et un regard critique sur le monde qui l'entoure qui s'affine, une conscience politique qui s'affirme. Tout l'art de Riad Sattouf est de rester au plus près du regard de celle qui inspire son récit, et de capter dans la singularité de ce regard la drôlerie, la tendresse, la justesse. Une somme de petits détails qui dessinent plus largement un portrait fidèle et drolatique de notre monde contemporain. 

( Les Cahiers d'Esther - Histoire de mes 17 ans,  Riad Sattouf, Allary, 56 p., 17,90 €)

Couverture de l'album "Les Cahiers d'Esther, histoire de mes 17 ans", de Riad Sattouf, 31 mai 2023 (ALLARY)

4"Une saison en Ethiopie" : les tribulations de deux journalistes français à Addis Abeba

Deux journalistes français, Karim Lebhour et Vincent Defait, nous font découvrir avec une fausse candeur et beaucoup de bienveillance l’Éthiopie, un pays en pleine mutation. Il y a du Joe Sacco et du  Monsieur Jean de Dupuy et Berberian dans  Une saison en Ethiopie (Editions Steinkis) : la bande dessinée est à la fois très documentée et pleine d’humour. Karim Lebhour débarque à Addis Abeba en 2014 pour prendre le poste de correspondant de l’AFP. Il arrive de New York où il couvrait les activités onusiennes. Le choc est terrible. Dans la tête de Karim, l’Ethiopie se réduisait à la famine et aux concerts de solidarité. Or, il va le découvrir très vite, le pays a changé et continue de se transformer à marche forcée. Dans cette BD co-écrite par deux journalistes ayant réellement vécu en Ethiopie, Karim Lebhour et Vincent Defait, et dessinée par Léo Trinidad, on découvre un pays à la fois fermé et ambitieux, autoritaire et nostalgique d’un passé fantasmé. La BD fourmille de détails croustillants, quelquefois hilarants ou tout simplement absurdes comme cette conférence de presse lunaire d’un régime tellement confiant en lui-même qu’il annonce, en toute démocratie, que le parti au pouvoir a remporté 100% des sièges. 

(Une saison en Ethiopie : Chinafrique, Etat d’urgence et Macchiato, éditions Steinkis , 22 euros)

Couverture de l'album "Une saison en Ethiopie". (Editions Steinkis)

5"MBS : l’enfant terrible d’Arabie saoudite", voyage au bout de la mégalomanie

Les auteurs, Antoine Vitkine et Christophe Girard, nous plongent dans la vie rocambolesque d’un enfant gâté devenu un personnage incontournable au Moyen-Orient. Un roman graphique instructif et très bien documenté. Un bémol, d’abord. Le dessin hésitant, quelques fois approximatif, est un peu perturbant. Il est souvent difficile de reconnaître les personnages cités dans ce roman graphique  MBS : l’enfant terrible d’Arabie saoudite (Les Escales), tant les traits sont difficilement identifiables. Une fois cette gêne surmontée, assez vite d’ailleurs, la lecture devient passionnante et fluide. Les auteurs, Antoine Vitkine et Christophe Girard, nous plongent dans la vie rocambolesque d’un enfant gâté qui deviendra un personnage central au Moyen-Orient. Désinvolte, sûr de son bon droit, et avec cette arrogance que seule la richesse procure, MBS se moque des réactions de l’Occident après l’assassinat du journaliste saoudien  Jamal Khashoggi en Turquie. Il a le chéquier facile pour provoquer une amnésie sélective.   MBS : l’enfant terrible d’Arabie saoudite  est une BD fort instructive, elle donne à comprendre un personnage appelé à jouer un grand rôle dans les prochaines années.

("MBS : l’enfant terrible d’Arabie saoudite" , Les Escales, 20 euros)

Couverture "MBS : L'enfant terrible d'Arabie Saoudite". (Les Escales)

6"La meute", chronique d'un village bouleversé par la disparition de deux adolescents

La meute, premier roman graphique du romancier et éditeur Cyril Herry, raconte avec des magnifiques peintures d'Aude Samama la fugue de deux adolescents, le probable retour du loup, et les bouleversements que cette fuite ne manque pas de provoquer dans le village où ils habitent. Marina et Victor ont fugué. Victor est un enfant placé, Marina vit seule avec son père. Ils ont quitté l'ambiance pesante de leurs foyers respectifs, et se réfugient dans la forêt. Au même moment, des moutons sont retrouvés égorgés. Le loup serait-il de retour dans la région ? Ces deux événements concomitants provoquent l'effervescence dans le village, où la rumeur de la disparition des deux adolescents s'immisce partout, du café au salon de coiffure, en passant par le supermarché ou dans l'intimité des foyers, chacun y allant de son petit commentaire. Pour certains, la fuite des deux enfants fait écho à des douleurs présentes, pour d'autres, ravive de vieilles blessures. Le récit alterne entre l'escapade des deux jeunes, la naissance de leur amour en pleine nature, isolés du monde, et la vie au village après leur disparition. 

( "La meute", récit de Cyril Herry et peintures d'Aude Salama, Futuropolis, 152 p., 22 €) 

Couverture de "La meute", de Cyril Herry (scénario) et Aude Samama (peintures), février 2023 (FUTUROPOLIS)

7"L'Étranger" de Camus en manga : gros plans et flashbacks

Cela peut déstabiliser de prime abord et froisser les puristes. Le travail de Ryota Kurumado est pourtant très important. Il permet à tout un lectorat de rentrer dans l’œuvre d’Albert Camus. Le mangaka (auteur de mangas) n’en est pas à sa première expérience. Il avait déjà adapté La Peste. Admirateur d’Albert Camus, Ryota Kurumado a pris des libertés artistiques avec L’Etranger. Ainsi le manga s’ouvre directement avec le procès. Il a ensuite usé des codes du manga pour cette adaptation : gros plans, découpages très détaillés des scènes, notamment celle du meurtre, absence de décors, flashbacks… Le jeune auteur japonais parvient à restituer l’esprit de l’œuvre du Prix Nobel 1957. 

( L'Etranger, d'après Albert Camus, Ryota Kurumado, Michel Lafon, 14,95 euros) 

Couverture du manga "L'Etranger". (Michel Lafon)

8"Contrition" : un thriller fascinant dans un ghetto de criminels sexuels

Carlos Portela et Keko ont su trouver le juste ton pour aborder un sujet délicat : la réinsertion des personnes condamnées pour des délits sexuels. A Contrition Village, en Floride, les ex-pédocriminels se retrouvent entre eux après avoir purgé leurs peines et ont interdiction de vivre à moins de 305 mètres (1 000 pieds) d’une école, parc… Là où vivent et jouent les enfants. C’est dans ce ghetto pauvre que la police intervient après l’immolation par le feu d’un pédophile. L’affaire prend une autre dimension avec l’implication d’une journaliste. Ce qui n’était qu’un banal accident en apparence se révèle beaucoup plus complexe. Les auteurs espagnols ont signé avec Contrition (éditions Denoël Graphic) l’une des plus fascinantes BD de l’année. Le scénario original, avec une narration fragmentée, ouvre des perspectives et multiplie les points de vue tandis que le noir et blanc donne plus de profondeur et de crédibilité à cette histoire complexe. Contrition est une œuvre amitieuse, subtile et puissante. Elle est aussi un tableau d’une certaine Amérique.

("Contrition", Carlos Portela et Keko, éditions Denoël Graphic, 25 euros)

"Contrition", Carlos Portela et Keko, éditions Denoël Graphic, (C. Portela et Keko)

9"Dissident Club", chronique d'un journaliste pakistanais épris de liberté

Que sait-on du Pakistan, cette république islamique de 230 millions d’habitants ? Pas grand-chose… et beaucoup plus lorsqu’on referme ce roman graphique captivant. Journaliste d’investigation dont le courage et l’opiniâtreté lui ont valu à la fois un prix Albert Londres en 2014 et la détestation du pouvoir pakistanais, Taha Siddiqui est réfugié en France depuis 2018 après avoir réchappé à une tentative d’assassinat. Dans ces 263 pages autobiographiques, dessinées par Hubert Maury, lui-même ancien militaire et diplomate, il raconte son parcours, de son enfance en Arabie Saoudite où ses parents se sont installés dans l’espoir d’une vie meilleure, au retour au Pakistan à l’adolescence en l’an 2000. Elevé dans un islam rigoriste puis clairement radicalisé, Taha est sans arrêt confronté aux interdits religieux (pas de bandes dessinées, pas de football, pas de travail à la télévision) et aux fractures au sein même de l’islam (sa jeune amoureuse est chiite, il est sunnite). Mais cet esprit libre refuse d’emprunter le chemin voulu par ses parents et se bat pour ses idées puis pour la liberté de la presse, jusqu’à risquer sa peau. Au travers de son expérience personnelle, c’est tout un pays qui se révèle au lecteur, mais aussi les enjeux géo-politiques et religieux d’une région entière, et l’hypocrisie irrespirable qui y règne.

("Dissident Club", de Taha Siddiqui et Hubert Maury, Glénat, 29 euros)


Couverture du roman graphique "Dissident Club" e" Taha Siddiqui et Hubert Maury. (GLENAT)

 

10"L’Ogre lion", le rugissement du roi Kgosi

Le second tome de L’Ogre lion est sombre et lumineux à la fois. Il s’adresse à un public jeune mais les adultes trouveront aussi leur bonheur avec cette histoire sur l’identité et l’altérité. Les apparences sont trompeuses, le roi Kgosi se révèle plus profond, plus attachant. Plus inquiétant aussi. Le roi maudit est en quête de rédemption. Après plus de 20 ans passés à illustrer les scénarios de ses confrères, Bruno Bessadi s’est enfin jeté à l'eau en écrivant son propre scénario et en racontant ses propres histoires. Le bédéiste marseillais continue d’explorer des univers différents. Son personnage principal, Kgosi, continue d'errer loin de ses terres. On commence par avoir de l’empathie pour lui avant de découvrir son côté sombre. Une bédé à part.

("L'Ogre et le lion : les trois lions" de Bruno Bessadi, éditions Drakoo, 14, 90 euros)

Couverture de l'album "L'Ogre et et le lion : les trois lions" de Bruno Bessadi, éditions Drakoo. (Editions Drakoo)


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