Goût, prix, nouveaux modes de consommation... Les capsules à vis vont-elles remplacer les bouchons de liège au-dessus des bouteilles de vin ?
"En Australie, ils ne savent même pas se servir du tire-bouchon". La boutade vient d’Anthony Aubert, négociant dans le Languedoc, qui commercialise plusieurs marques de vin "à l'inverse des vins à papa qui tâchent". Comprendre des vins "légers, fruités, digestes" - les tendances du moment - et qui, à l’image de l’immense majorité des vins consommés à l’autre bout du monde, sont souvent surmontés d’une capsule à vis.
"Pour le cœur du marché, c’est génial la vis", poursuit le cofondateur d’Aubert et Mathieu. Un cœur de marché qui se situe selon lui "sous les dix euros" la bouteille. Les restaurateurs, aussi, sont de plus en plus nombreux à s’y mettre. "Certains ne veulent même plus de bouchons pour leur vin au verre, parce qu’il faut que ça aille vite pour le barman. En plein rush, quand la terrasse est pleine, il ne peut pas passer une minute à déboucher une bouteille", illustre Anthony Aubert.
Une alternative au vin bouchonné
L’outil a été tellement boudé par les consommateurs de l’Hexagone qu’on en oublie qu’il est français. Au moment où Georges Brassens chante Les Copains d'abord en 1964, Le Bouchage Mécanique, entreprise de Châlons-sur-Saône (Saône-et-Loire), commercialise la Stelcap, première coque d’aluminium, dotée d’un joint de perméabilité à l’oxygène. D'abord utilisée pour le marché des spiritueux, l'innovation est adaptée aux bouteilles de vin. La demande, à l’époque, vient surtout de Suisse : les producteurs qui embouteillent le cépage Chasselas la plébiscitent. Ils y voient une solution pour lutter contre le trichloroanisole (TCA), molécule responsable du goût de bouchon.
Pendant près de 40 ans, les ventes restent confidentielles, avant qu’une crise ne traverse le secteur du liège. Au début des années 2000, la demande de bouteilles de vin continue de croître, la production de liège de bonne qualité ne peut pas suivre. Résultat : les vins "bouchonnés", ou présentant des "coulures", se multiplient et les viticulteurs commencent à regarder d’un autre œil les technologies qui permettraient de ne pas gâcher leur production. "C’est là que ça a vraiment commencé à prendre", explique Catherine Fontinha, directrice marketing d’Amcor, qui commercialise la capsule devenue Stelvin, pour mieux s'exporter à l'international.
"Au-delà de 15 ou 20 euros, les gens ne suivent pas"
Le navire amiral du liège tangue mais résiste, grâce aux innovations technologiques. En 2003, l’entreprise Diam commercialise un bouchon issu de liège aggloméré, qui promet de ne laisser aucun goût. Une révolution qui fait ses preuves et sur laquelle toute la filière embraye pour sortir son propre bouchon technique. Ce qui n’empêche pas la capsule à vis de se faire une place. En plus de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, l’Angleterre et les pays scandinaves apprécient. En France, en Espagne et en Italie, "c’est plus difficile", reconnaît Catherine Fontinha.
Vingt ans plus tard, la répartition du marché fait l’objet d’une bataille de chiffres. Citant Euromonitor - organisme anglais spécialisé dans les études de marché - Amcor avance que les capsules à vis représentent 34% des bouchons vendus dans le monde, 24% en France (près de dix points de plus qu’en 2017). Des chiffres "très exagérés" selon la Fédération française du liège, qui revendique les deux tiers des ventes mondiales de bouchon. La "maison ne brûle pas, on continue de gagner des parts de marché", conclut le président de la fédération Franck Autard, également directeur France d’Amorim, leader mondial du bouchon de liège.
Selon Franck Autard, la "concurrence est saine" entre les deux modes de bouchage qui visent des secteurs différents. Aux bouchons de liège le "premium" et les vins dont on attend les effets du vieillissement, grâce aux micro-oxygénation permise par le matériau. Aux capsules, les entrées de gamme. "Au-delà de 15 ou 20 euros, les gens ne suivent pas", confirme Pierre Flament, caviste spécialisé dans les vins français, installé à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). Dans son magasin, 400 références et six, seulement, dotées de capsules à vis. La plupart des consommateurs font encore la grimace, associant la vis à un mauvais vin. Lui n'a rien contre.
"C’est vrai que le bouchon, c’est ce qu’il y a de mieux pour faire vieillir un vin. Mais sur des vins à consommation rapide, il n’y a aucune différence. Certains vignerons font des vins extraordinaires et utilisent des capsules à vis."
Pierre Flament, caviste à Rueil-Malmaisonà franceinfo
Cogérante et exploitante d’un domaine du prestigieux Meursault en Bourgogne, Adèle Matrot le reconnaît : son père "n’a pas créé un mouvement international" quand il est passé au bouchon à vis, au début des années 2000. Mais pour elle, "c’est l’idéal". Même pour les vins de garde. "Vous ouvrez 3 000 bouteilles à vis, vous avez 3 000 bouteilles similaires. Vous ouvrez douze bouteilles à bouchons, vous avez trois types de vin". Le marché n’est pour autant pas prêt à acheter du Meursault premier cru avec une vis. Le bouchon de liège, "le plus cher", continue donc de trôner au sommet de 70% des bouteilles vendues par son domaine. La vis est réservée aux entrées de gamme (Bourgogne Chardonnay, Bourgogne Pinot noir et Bourgogne aligoté).
Capsules, bouchons et nouveau monde de la consommation
Reste que le marché du vin est traversé par de profonds changements de consommation, dont Stelvin espère profiter. "On va vraiment se positionner sur les vins nouveaux, les vins nature, le blanc, le rosé ou encore le pinot noir", explique Catherine Fontinha. Sur les vins sans alcool, aussi, qui connaissent de plus en plus de succès. Tout le contraire du traditionnel vin rouge costaud - Bordeaux en tête - et les vins de garde, moins appréciés par les consommateurs ces dernières années.
Pour attirer les nouvelles générations, la bataille se joue aussi sur le tableau du recyclage. La Fédération du liège, qui a développé sa propre filière "il y a déjà 15 ans" regrette, par la voix de son président, l’absence de soutien des pouvoirs publics sur la question. "Un petit 20%" des bouchons serait recyclé aujourd’hui selon son président Franck Autard, qui rêve de voir des poubelles à bouchons, à côté de celles qui recueillent les piles électriques. Les capsules en aluminium, elles, sont jetables dans la plupart des poubelles à recyclage, même si le joint plastique à l’intérieur - environ 10% de la masse du bouchon - finit en incinération.
Pour gagner des parts de marché, ou ne pas en perdre, acteurs de la capsule et du liège doivent enfin défendre le modèle de la bouteille en lui-même. Car dans la révolution des consommations, le cubis (ou "bag in box") prend sa part... et les canettes arrivent.
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