Économie du vin : la filière viticole à l'assaut de la génération Z pour contrer la chute de la consommation
L’inquiétude est forte chez les viticulteurs. Selon le Comité national des vins d'appellation contrôlée, un poste sur cinq pourrait être supprimé dans les dix prochaines années, si la consommation continue de baisser. Car depuis 60 ans, la dégringolade est constante : -70%. Le fait est que les nouvelles générations sont moins portées sur cette richesse du terroir, confirme le dernier baromètre Sowine, qui scrute le marché depuis 11 ans. Pour plus de la moitié, les 18-25 ans préfèrent la bière au vin et même les cocktails arrivent avant, pour 48% d’entre eux.
Au Japon, pour compenser la baisse des recettes liées aux taxes sur l’alcool qui diminuent aussi depuis 40 ans, le fisc un lancé un concours surréaliste pour inciter les jeunes à boire ! La filière viticole tente une approche moins extrême, basée sur une longue observation de la génération Z, celle née après 2000. Pour arriver à mieux cerner la jeunesse rétive, des études croisées (Ifop, Sowine, International Wine and Spirit Research) ont tenté d’en dresser un profil. Résultat : le Z est hyper connecté (entre quatre et six heures par jour sur les réseaux sociaux), il joue au jeu vidéo (90% de cette génération, dont 30% tous les jours), et pourtant il est sensible aux questions environnementales. Voici donc les plans d'action qui ont été mis en œuvre.
Adopter les canaux de communication du Z
Pour lui parler, une évidence s’est donc imposée : investir les réseaux sociaux. Instagram est rapidement devenue la plateforme la plus engageante avec 32% d'utilisateurs qui y suivent des domaines, châteaux, marques ou producteurs de vins. Ainsi les grandes marques comme Roche Mazet, Château Lafitte ou encore Château Mouton Rothschild ont toutes un compte. En juin dernier, le Figaro Vin dévoilait un top 50 des champagnes stars d'Instagram, en fonction du nombre d'abonnés et du taux d'engagement moyen généré par leurs 40 derniers posts. Dans le peloton de tête les grandes marques comme Taittinger, Moët & Chandon ou Ruinart, mais aussi des outsiders comme Selosse et Laherte.
D’autres grandes marques de champagne ont préféré TikTok, comme Bollinger qui présente ainsi l’une de ses cuvées spéciales :
Le Cos d’Estournel, Grand Cru Classé de Saint-Estèphe, a tenté une approche plus fictionnelle, à travers un podcast, pour partager les valeurs de la marque sans discours commercial. Parti du fait que 61% des15/27 ans interrogés déclarent en écouter très régulièrement, il propose donc de suivre Camille qui part, pendant 13 minutes, Sur la piste du Maharadjah , l’illustre fondateur du château Louis-Gaspard d’Estournel. Publié en novembre, les aventures de Camille ont enregistré 11 000 écoutes. Devant ce score dont l'équipe de communication est "très fière", un deuxième épisode est prévu pour le mois de juillet et entraînera la jeune femme, toujours sur la piste de d'Estournel, mais cette fois, à l'étranger.
Il faut préciser ici que 39% des 18-25 ans achètent un vin recommandé par un influenceur, 35% pour les 26-35 ans. Ce qui n'a pas échappé à l'association Addictions France qui a demandé aux députés d'interdire la publicité pour l'alcool par les influenceurs, accusés de faire de la publicité déguisée. Or au moins "68% des adolescents fréquentent les réseaux sociaux", alerte l'association.
Un packaging moins classique
Si les vins naturels bousculent la vieille école, les jeunes sont malgré tout aussi sensibles au packaging. C’est ainsi qu’on a vu émerger un corbières "Interdit aux snobs", un vin blanc moelleux baptisé "Pipi d'Ange", "L’ours mal léché", le "Vin de Merde", le "vin de la Daronne" ou "du Daron"… Bref, vous l’aurez compris, tant le nom que l’illustration capte l’attention.
Et puis il y a le vin en canette, un carton à l’étranger qui a du mal à s’imposer en France, bien que Winestar s'y essaie depuis une dizaine d’années, pour tenter de conquérir les jeunes. Selon Anne-Victoire, bloggeuse, petite-fille de vigneron et fondatrice des Vins de Vicky, la canette est bien adaptée aux vins frais et légers qu’on ne destine pas à la garde et permet d’avoir des petits volumes, 25 cl, facile à ouvrir, facile à stocker. Elle a lancé une campagne de financement sur MiiMosa, leader du financement participatif au service de l'agriculture et de l'alimentation, pour lancer son vin en canette.
Dans ce podcast de Superpotion où elle raconte sa trajectoire, elle confie toutefois que, selon elle, pour révéler tous les arômes, il vaut mieux tout de même verser la canette dans un verre.
Pour aller plus loin, la Robe du vin propose, à l’instar de Jean-Baptiste Duquesne, des canettes connectées. Cette fois le QR code incorporé vous emmène au cœur de vidéos de dix minutes en immersion avec le vigneron, la sommelière et le chef de cuisine du vin que vous avez choisi. Tous les vins ainsi proposés sont issus de vignerons indépendants et de caves coopératives, certifiés BIO/HVE/Vignerons engagés. La canette dispose d’un revêtement interne isolant le vin du métal qui ne peut ainsi pas être contaminé par l’aluminium. Il conserve donc, selon la Robe du vin, toutes ses qualités organoleptiques et c’est 100% recyclable.
Parler simple et parler "vert"
Cos d'Estournel a également tenté d'exploiter deux autres constantes de cette génération Z. D’abord, elle a vanté l’écosystème du domaine, le présentant comme respectueux de la nature et vivant selon son rythme.
Un argument de poids pour cette génération soucieuse de défendre la planète en optant pour des circuits courts et des labels environnementaux, le logo AB se révélant le plus incitatif mais également le plus connu avec l’eurofeuille, devant l’IGP, l’AOP et le Zéro Pesticides. Car même si le prix reste un frein conséquent, ils sont 66% des 18-35 ans à se déclarer prêts à mettre le prix si le vin affiche un label environnemental.
Autre détail auquel prêter attention et qui n’a pas échappé au Clos d’Estournel : la nécessité de désacraliser le vin en utilisant un vocable accessible à tous. Il s’est ainsi associé au site Le bonbon le 1er mars et le 1er avril pour organiser des dégustations pour néophytes au domaine.
Un pari sans doute gagnant si l’on en croit, par exemple, la rapide renommée d’Émile Codens qui a créé son compte TikTok il y a moins de deux ans. Le jeune vigneron n’y fait pas de promotion mais explique dans de petites vidéos son métier à ses plus de… 550 000 followers ! Pour leur démontrer que le vin n’est pas du tout aussi inaccessible au commun des mortels qu’ils se l’imaginent. Le vin est avant tout "un partage, un échange, un moment, une occasion, un plaisir, une circonstance, une émotion", insiste-t-il.
La génération Z ne s’est en fait pas totalement détournée du vin : 28% en consomment, que ce soit du rosé, du blanc, du rouge. Mais les histoires de millésime, appellations, cépages etc. l’agacent vite. Elle a juste envie de savoir ce qu’elle consomme, de la grappe au verre, qu’on lui raconte l’histoire, sans charabia. Elle veut de la clarté, une recommandation simple qu’elle va rechercher notamment sur des sites à forte notoriété, comme Vivino par exemple, qui propose un classement des meilleurs vins mis à jour hebdomadairement, 30 millions d’utilisateurs partout dans le monde, dont deux millions en France. Ou, comme évoqué précédemment, chez les influenceurs. Écoutez par exemple Nico l’Alchimiste expliquer en 1’23 la différence entre un champagne blanc de blancs et blanc de noirs :
Le négociant en vin Jean-Baptiste Duquesne se démène, lui, pour imposer une troisième voie entre le grand cru de Bordeaux et le "vrac". Il a ainsi a fondé l’an dernier le mouvement Bordeaux Pirate avec des viticulteurs qui privilégie le bio. Son dada semble être aussi de remettre au goût du jour des cépages oubliés au château de Cazebonne dont il est propriétaire. Et pour parler aux jeunes, il a eu l’idée d’engager un rappeur. Ainsi Gab a mis en mots quelques cuvées comme celle-ci :
Chaque clip est accessible en scannant le QR code sur l’étiquette des bouteilles. L'accent sur le partage entre amis est souvent mis en avant. Il faut dire que la génération Z représente à elle seule 49% des dépenses de vins en bars et cafés, selon Sowine.
Proposer du vin sans alcool
Car plus marquant encore que tout ce qui précède, les "sober party" (soirées sans alcool) sont de plus en plus en vogue. 23% des 18-25 ans ne veulent tout simplement pas consommer du tout d’alcool, soit parce qu’ils ont été témoins ou victimes de personnes qui en abusaient, soit tout simplement par hygiène de vie : pas d’alcool, pas ou peu de viande, peu de calories et du sport.
Pour pallier ce dernier écueil, certains se sont spécialisés dans l'offre de bières, gin, rhum ou vodka sans alcool, mocktail et autre eau aromatisée etc. En 2015, Fathi Benni, ingénieur agronome, et Dominique Laporte, meilleur sommelier de France, ont ainsi créé, par exemple, Le Petit Béret, qui élabore des vins "qui ne sont pas du vin". Dégustation avec Émile Codens. "Ça ressemble vraiment à un rosé traditionnel", commente surpris le jeune vigneron. Pourtant, il parvient presque à un sans faute dans l'identification des cépages utilisés.
Autre exemple, ce dernier venu, Chocolate in a Bottle, qui propose depuis deux ans un pétillant au chocolat, dans une version alcoolisée ou pas. Des bulles gourmandes, mêlant du chocolat belge à des grappes de Chardonnay.
L'abus d'alcool est dangereux pour la santé.
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