Goncourt des détenus 2023 : franchise et transparence dans les délibérations avant la remise du prix le 14 décembre

L'administration pénitentiaire avait convié des journalistes aux débats de la région parisienne. Et pour les habitués des grands prix d'automne comme le Goncourt, c'était un choc culturel.
Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
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A l'intérieur de la maison d'arrêt de Rouen où se sont tenus le 20 novembre 2023, des échanges des détenus avec notamment l'écrivaine Emilie Frèche dans le cadre du Goncourt des détenus. (MARTIN ROCHE / MAXPPP)

"Style ampoulé", auteur qui "ne fait pas le cabotin", "livre très gênant", ou tout simplement pas lu : pour les jurés du prix Goncourt des détenus, franchise et transparence étaient la règle lors de délibérations ouvertes à la presse lundi 4 décembre. Pour les habitués des grands prix littéraires, cette différence de ton tranche avec les alcôves de chez Drouant, du Café de Flore ou de la Brasserie Lipp.

"J'ai eu du mal à le lire. Au début, je me suis un peu forcé (...) Il y a beaucoup de mots compliqués", expliquait ainsi un juré extrait du centre pénitentiaire de Fresnes pour délibérer dans la salle Ovale de la Bibliothèque nationale de France à Paris. Mais, poursuivait-il au sujet de Croix et cendre d'Antoine Sénanque, dont l'intrigue se déroule au XIVe siècle, "c'est un roman d'aventures comme quand j'étais jeune, qu'il fallait aller à la page 32 pour continuer l'histoire". Alors que les jurés des prix littéraires sont d'habitude tenus par le secret des délibérations, le Goncourt des détenus a choisi d'ouvrir ses portes.

Jury éclaté

Mais l'enfermement de ses jurés reste visible. Deux d'entre eux sont restés à la Santé, à moins de quatre kilomètres de là. Deux autres, à la maison d'arrêt de Villepinte, interviennent par visioconférence ainsi depuis une pièce exiguë sans fenêtre, dans laquelle leurs "collègues lecteurs", comme on les appelle, reconnaissent "un parloir". Ils défendent avec conviction Suite inoubliable, le roman d'Akira Mizubayashi, Japonais qui écrit en français, qu'il a appris après ses 18 ans. L'auteur était venu le défendre dans cette prison de Seine-Saint-Denis. "C'est vraiment un super Monsieur. Il nous a dit comment il a appris la langue française. Il la parle mieux que moi qui suis né en France! (...) Il y a tout dans ce livre. Il y a de l'amour, de la passion, du suspense", lance un juré. 

Le 25 octobre 2023, le Prix Goncourt des détenus s'invite à la maison d'arrêt de Bonneville en Haute-Savoie. "Suite inoubliable", le roman d'Akira Mizubayashi, est l'un des livres discutés en atelier lecture dans la bibliothèque de la maison d'arrêt. (GREGORY YETCHMENIZA / MAXPPP)

Le Goncourt des détenus, dont c'est la deuxième édition, se joue entre les 16 romans en lice pour le prix Goncourt, selon la liste publiée par le "vrai" jury début septembre. Il est soutenu financièrement par le Centre national du livre. Ce prix Goncourt a été décerné début novembre à Jean-Baptiste Andrea pour Veiller sur elle. Le Goncourt des détenus sera quant à lui remis le 14 décembre.

"Ça s'est presque castagné"

Il a permis à la romancière Dorothée Janin d'entrer dans la prison de Fresnes. C'est là où se déroule son roman, La Révolte des filles perdues, qui évoque une mutinerie de femmes en 1947. Mais elle a peu convaincu ce jury très majoritairement masculin, comme la population carcérale. D'autres titres ont fortement divisé, comme Naufrage de Vincent Delecroix, sur la mort de migrants en Manche. "Ça s'est presque castagné à Fleury-Mérogis", rapporte à l'AFP Dominique Pipard-Thavez, présidente de l'association Lire c'est vivre, qui a assisté aux débats. "Pour moi, ce livre était très gênant parce qu'il prend des faits réels, et il en ajoute d'autres qui ne sont pas réels, dans une affaire toujours en cours", estimait publiquement un juré issu de cette prison.

Le Canadien Kevin Lambert, pour Que notre joie demeure (prix Décembre et Médicis), a suscité rejet ou enthousiasme. Depuis Bois-d'Arcy, on regrettait une scène inaugurale "trop longue". À la Santé, où le Québecois s'est rendu, on a adoré "ce roman sur la complexité de l'être humain".

Triste tigre, de Neige Sinno, a souffert du malaise face à cette histoire de viols. "Le livre est très trash. C'est compliqué, en prison. Beaucoup n'ont pas voulu aller au-delà des 15 premières pages", disait un détenu de la maison d'arrêt d'Osny-Pontoise que l'AFP a pu interroger. Lui, comme beaucoup d'autres, a adoré Les Conditions idéales de Mokhtar Amoudi, sur un enfant de la banlieue parisienne qui se laisse entraîner par de mauvaises fréquentations. "J'ai réussi à le défendre. Ça fait du bien de voir que même en prison, on sert à quelque chose".

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