La chanteuse italienne Laura Littardi, figure respectée de la scène jazz, est morte après une longue bataille contre la maladie

Avec sa voix grave, son charisme et son grand éclectisme, cette improvisatrice surdouée était l'une des chanteuses les plus fascinantes et attachantes de la scène jazz. Elle était aussi une formidable pédagogue, autant aimée que respectée. Elle avait 64 ans.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
La chanteuse Laura Littardi en 2012. (ALINE CASTEJON)

La nouvelle a circulé dans le monde du jazz au cours de la semaine dernière. La chanteuse italienne Laura Littardi s'est éteinte au soir du dimanche 11 août dans un hôpital proche de Paris, a annoncé sa famille via la page Facebook de l'artiste. Depuis quelques années, elle luttait contre une myosite nécrosante, une maladie orpheline, auto-immune. Tombée au cœur de l'été, l'annonce de sa disparition a profondément attristé l'univers du jazz vocal, tant professionnel qu'amateur, mais aussi la scène jazz dans sa globalité, de chaque côté des Alpes.

Laura Littardi était une interprète solaire, exceptionnelle, grande improvisatrice, aussi à l'aise dans les registres jazz, brésilien, soul, funk, pop, et une authentique reine du groove. Elle enchantait aussi en tant que pédagogue. Elle exerçait ces deux activités avec passion, générosité et une bienveillance reconnue par tous, les artistes qui travaillaient avec elle comme ses élèves.

Musicienne autodidacte

Née à San Remo, dans le nord-ouest de l'Italie, le 2 janvier 1960, Laura Littardi étudie les langues étrangères, puis part vivre à l'étranger au début des années 1980 : deux ans à Londres, dix mois à Munich avant un bref retour en Italie. Musicienne autodidacte, elle alterne contrats de travail et expériences artistiques. Avec un groupe pop, elle chante un été en Israël, puis, plus tard, cinq mois à travers l'Europe. À la fin 1984, elle pose ses valises à Paris. Un temps secrétaire de direction, puis responsable d'un magasin de vêtements aux Halles, elle se jette enfin à corps perdu dans la musique. Elle chante quelque temps dans un groupe de rock progressif.

À la fin des années 1980, Laura Littardi passe une année à l'école de jazz parisienne CIM (Centre d'informations musicales). Elle qui ne savait pas lire une partition veut mettre toutes les chances de son côté. Elle renforce sa formation avec des cours particuliers. Au CIM, elle rencontre le chanteur Thierry Peala, le pianiste Bruno Angelini et d'autres artistes de la scène française. Elle chante dans des restaurants et bars. En 1995, elle met son splendide timbre alto au service de l'ensemble vocal Six 1/2, avec Thierry Peala. Les deux amis enregistrent un disque avec ce groupe puis repartent à l'aventure. À nouveau avec Peala, Littardi rejoint le groupe du saxophoniste Sylvain Beuf, Octovoice, où elle chante pendant cinq ans.



En 2002, Laura Littardi enregistre son premier album solo, Senza Paura avec son trio de l'époque, constitué avec Pierrick Hardy à la guitare et Nicolas Krassik au violon.

"Laura avait une vraie passion pour la musique, confie Pierrick Hardy à Franceinfo Culture. Pour l'improvisation, la voix, le groove, les mélodies terrassantes, la richesse harmonique. Elle aimait une forme de grâce dans cet art et dans les musiciens qui la font. Elle s'enthousiasmait. Elle avait un swing très puissant. Je garde son swing en tête depuis notre rencontre il y a environ trente ans. Jamais il ne m'a quitté."

Des hommages à la pop et à la soul, puis à Gainsbourg

Dix ans plus tard, en 2012, elle sort l'album Inner Dance, bel hommage aux musiques pop et soul qui ont bercé son adolescence, avec lesquelles elle avait envie de "créer une passerelle vers le jazz", expliquait-elle à Franceinfo Culture en décembre 2012.



En mars 2017, elle revisite Serge Gainsbourg d'une manière très personnelle dans un disque malicieusement intitulé Gainsbourg etc... Featuring Laura L. Une ultime expérience discographique, dont elle conservait avant tout le souvenir de la magie de la connexion avec les musiciens durant les séances d'enregistrement.

"Elle était très contente de cet album, se souvient Thierry Peala. Laura et les musiciens ont pris leur temps, par plaisir et à l'instinct. Ils entraient en studio, ils ne se disaient rien, ils ne se voyaient même pas du fait de la configuration des lieux, ils s'écoutaient. Et ça a donné quelque chose de très beau."




Si les disques posent des jalons sur son parcours, c'est sur scène que brille Laura Littardi. Dès qu'elle chante, elle enchante, au fil de ses collaborations avec de nombreux artistes comme les batteurs André Ceccarelli et Fabrice Moreau, les pianistes Alain Jean-Marie et Carine Bonnefoy, les saxophonistes Francesco Bearzatti et Renato D'Aiello, le guitariste Serge Merlaud, les contrebassistes Mauro Gargano et Giovanni Licata.... Elle se produit dans des festivals, dans divers clubs et scènes de jazz de Paris et sa région, comme le Sunset/Sunside, le Studio de l'Ermitage ou le Baiser Salé.

En tant que pédagogue, à partir du milieu des années 1990, elle fait aussi des merveilles, notamment à l'Ariam (Association régionale d'informations et d'actions musicales, agence fermée en 2017) de l'Île-de-France où elle retrouve Thierry Peala et côtoie entre autres les chanteuses Laurence Saltiel, Isabelle Carpentier, ainsi que le guitariste Pierrick Hardy avec lequel elle va entamer une longue collaboration.

Plus tard, elle fait partie des piliers de Crest Jazz Vocal, effervescent rendez-vous estival qui combine festival et académie de chant, dans la Drôme. À Paris, toujours avec ses amis et complices Thierry Peala et Laurence Saltiel, elle cofonde Edyvoice, structure qui fédère ateliers musicaux, chorales, jam sessions, master-classes avec de prestigieux invités comme Norma Winstone, grande voix du jazz britannique. Ce collectif offrira d'innombrables belles soirées aux amateurs de jazz vocal.

"Un swing démoniaque"

En tant qu'artiste, enseignante et coach vocal, Laura Littardi emporte adhésion, estime et respect inconditionnels, tant auprès de ses élèves, qu'auprès des musiciens qui l'accompagnent dans ses projets musicaux et pédagogiques. "C'est une des plus grandes chanteuses que j'ai été amené à connaître", confie le batteur Niko Sarran. "Une musicalité à toute épreuve, un swing démoniaque. Nous avons collaboré sur plusieurs albums ensemble. La musique était en elle. Elle fait partie à tout jamais de mon histoire."

Le bassiste Christian Duperray, autre collaborateur de longue date de Laura Littardi, lui rend aussi un vibrant hommage : "Ce que j'admirais le plus, c'est l'ensemble de sa personne. Sa musique provenait du profond d'elle-même. Elle cultivait la sincérité, l'accord avec elle-même, pour ensuite l'adresser, l'offrir aux musiciens et à son public. On peut parler de feeling. Chez Laura, ça allait très loin et son auditoire était toujours très touché. Dans sa pédagogie, c'est la même chose, elle inspirait et proposait d'abord la bienveillance."

Un talent méconnu de mélodiste

Un autre talent, plus méconnu, de Laura Littardi, est celui de compositrice, très douée tant en matière de mélodies que d'arrangements. "Très tôt, elle a commencé à développer ses propres compositions, se souvient le vocaliste Thierry Peala. À peine sortie du CIM, elle jouait sur des scènes un peu plus importantes que moi, et elle s'essayait déjà à ses compositions que je trouvais extraordinaires."

Le chanteur aimerait beaucoup retrouver ses travaux et enregistrements des années 1990 qui n'ont pas donné lieu à des disques... L'album Inner Dance de Laura Littardi s'ouvrait sur une composition personnelle, Sunny Days.



Le pianiste Benoît de Mesmay, l'un de ses accompagnateurs fidèles, ajoute : "Elle avait un sens très affiné de la réharmonisation de thèmes qu'elle affectionnait, issus du répertoire du jazz ou de la chanson en général. Nous avions un projet ensemble en cours sur cette thématique, car nous partagions cette passion commune de 'réhabiller' façon haute couture – c'était son expression – les morceaux qui nous inspiraient..."

"Laura allait très loin dans l'harmonie tout en ayant du groove et du soul", souligne de son côté Thierry Peala. Le chanteur insiste enfin sur "la sincérité" et "la curiosité" sans limites qui animaient son amie dans tous ses projets artistiques. "Elle s'émerveillait de tout. Et elle avait une générosité, un humour... Tous ses élèves le disent, elle avait une grande bienveillance et elle essayait toujours de faire avancer les gens, sans jamais les heurter."

Une cérémonie d'obsèques a lieu jeudi 22 août, à 13h30, à la Grande Coupole du cimetière du Père-Lachaise. Une collecte doit être organisée à cette occasion pour aider sa famille.

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