La grotte Chauvet, chapelle Sixtine de la préhistoire, fête les trente ans de sa découverte

En 1994, dans les Gorges de l'Ardèche, trois spéléologues ont mis au jour un trésor de l'humanité. Récit d'une trouvaille extraordinaire qui révolutionna les connaissances sur l'art pariétal.
Article rédigé par Valérie Gaget
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Le panneau des rennes et des chevaux de la grotte Chauvet, reproduit à l'identique dans sa réplique, Chauvet 2, à Vallon-Pont-d'Arc, dans l'Ardèche. (PATRICK AVENTURIER / GROTTE CHAUVET 2 ARDECHE)

Depuis la nuit des temps, l'Ardèche cache des joyaux dans ses méandres. Le Pont d'Arc, arche de pierre haute de 54 mètres, creusée par la rivière, attire chaque année des milliers de touristes, en particulier les amateurs de canoé.

C'est tout près de là, qu'un dimanche, le 18 décembre 1994, trois spéléologues ont, sur leur temps libre, décidé d'explorer un trou dans la montagne. Ils ne se doutaient pas qu'ils allaient mettre au jour un trésor qui révolutionnerait toutes les connaissances sur l'art pariétal.

Le Pont d'Arc, dans les gorges de l'Ardèche, à Vallon-Pont-d'Arc, le 15 août 2024. (VALENTINE CHAPUIS / AFP)

Jean-Marie Chauvet (gardien des grottes ornées de l'Ardèche), Éliette Brunel (viticultrice à Saint-Remèze) et Christian Hillaire (agent EDF à Pierrelatte), les trois inventeurs [c'est le terme exact] de la grotte Chauvet, sont des passionnés de spéléologie. Ils s'intéressent à cette zone depuis plusieurs mois.

Les trois amis ont déjà repéré des traces préhistoriques intéressantes dans de petites cavités, des gravures, des dessins, et pensent qu'il y a peut-être encore mieux ailleurs. Ils décident d'explorer les falaises du cirque d'Estre, situées à environ 3 kilomètres à vol d'oiseau du Pont d'Arc. Ils y accèdent par une vire, sorte de balafre taillée dans la roche qui existait déjà à la préhistoire.

Un trou souffleur

Après trois quarts d'heure de montée, ils repèrent ce qui s'appelle un trou souffleur. Un boyau étroit, obstrué par un éboulis, mais qui laisse passer un courant d'air, signe qu'il pourrait y avoir un passage à l'arrière. L'accès est difficile, mais Jean-Marie Chauvet insiste pour continuer et tenter de déblayer l'entrée.

La plus menue, Éliette, se faufile la première, pratiquement à plat ventre, dans le conduit. Ses deux complices, restés en retrait, déblaient les pierres et les débris qu'elle évacue. Ils rampent ainsi sur plusieurs mètres dans le petit boyau. Après plus de 3 heures de progression laborieuse, Éliette, équipée d'une lampe frontale, entrevoit un grand vide qui s'ouvre sous ses pieds. Elle aperçoit le sol, environ dix mètres plus bas.

"Ils sont venus"

Excités par cette découverte, les trois amis repartent chercher une échelle de spéléologie dans leur véhicule et descendent prudemment dans la cavité. Ils découvrent alors, à la faible lueur de leurs lampes, une caverne digne de celle d'Ali Baba. Des concrétions blanches, orangées, rosées, couvertes de cristaux de calcites, scintillent dans l'ombre, comme des diamants, quand la lueur des lampes les effleure. Un palais souterrain, parfaitement préservé grâce à l'effondrement d'une partie de la falaise, ils le comprendront bien plus tard.

Éliette murmure : "Ils sont venus". Sur une paroi, elle vient d'apercevoir des traits rouges et comprend que des humains ont fréquenté ce lieu. À quelle époque ? Impossible de le deviner à ce stade. Comment le trio aurait-il pu imaginer qu'il venait de découvrir la plus ancienne grotte ornée de l'humanité, décorée par les hommes et les femmes du paléolithique ? Le trio avance et s'enfonce dans la caverne aux merveilles. Sur les parois, des mains humaines tamponnées à l'ocre semblent leur souhaiter la bienvenue.

Traces de mains et figures animales de la grotte Chauvet reproduites dans sa réplique Chauvet 2, à Vallon-Pont-d'Arc, dans l'Ardèche. (PATRICK AVENTURIER / GROTTE CHAUVET 2 ARDECHE)

Grâce à l'effondrement d'une partie de la falaise calcaire qui a scellé le grand porche d'entrée qu'empruntaient hommes et animaux préhistoriques, Chauvet est restée cachée pendant 21 500 ans. Elle n'a jamais été ouverte au public, contrairement à la grotte de Lascaux, en Dordogne. Seuls quelques privilégiés ont la chance d'y pénétrer chaque année, notamment pour l'étudier quand le taux de gaz carbonique n'est pas trop élevé.

Jean Clottes sera le premier préhistorien, spécialiste de l'art pariétal, à expertiser la grotte Chauvet. Les études scientifiques entreprises à partir de 1998 par une équipe interdisciplinaire ont permis de la dater plus précisément : les dessins les plus anciens remonteraient à -38 000 ans, presque deux fois plus que les peintures pariétales retrouvées dans la grotte de Lascaux qui dateraient de -20 000 ans. On était alors en période glaciaire. La cavité s'enfonce dans la falaise sur environ 200 mètres de long. Sa superficie totale avoisine 8 500 m2, l'équivalent de trois terrains de football. Certaines salles sont très volumineuses (18 mètres de hauteur pour la salle Hillaire, 40 mètres de large sur 50 mètres de long et plus de 10 mètres de hauteur sous plafond pour la salle des Bauges), tandis qu'à d'autres endroits, il est impossible de se tenir debout.

La salle du crâne de la grotte Chauvet, reproduite dans sa réplique Chauvet 2, à Vallon-Pont-d'Arc, dans l'Ardèche. (PATRICK AVENTURIER / GROTTE CHAUVET 2 ARDECHE)

Sur les parois de Chauvet courent plus de 400 espèces d'animaux dont certaines comme la panthère et le hibou sont uniques dans l'histoire de l'art pariétal. Au paléolithique récent (période allant de -40 000 à -12 000 ans), la cavité était fréquentée par de nombreux animaux, mais l'ours des cavernes était son occupant principal.

Cette espèce aujourd'hui disparue était d'une taille impressionnante : jusqu'à trois mètres de haut pour les mâles qui pesaient entre 400 et 500 kg. Ils venaient dormir dans la grotte. On a recensé près de 300 bauges, sortes de nids d'ours, de 80 cm à 1,5 mètre de diamètre dès les premières salles et jusqu'au fond de la caverne.

L'ours des cavernes a laissé son empreinte

Les murs portent de multiples traces de griffures et de frottements prouvant qu'ils ont occupé les lieux précocement, entre -42 000 et -35 000 ans. Les experts pensent que c'était un moyen pour l'animal de déposer une odeur afin de faciliter ses déplacements dans le noir. Des empreintes d'oursons montrent également que la grotte était une pouponnière où les ourses venaient mettre bas.

Selon Carole Fritz, directrice de l'équipe de recherches scientifiques, 4 000 ossements d'ours ont été mis à jour en trente ans, ce qui représente environ 190 individus. L'une des pièces les plus impressionnantes de la grotte a été baptisée la salle du crâne. On y voit un crâne d'ours posé de façon ostentatoire sur un rocher. Les savants essaient de comprendre ce geste et sa signification, explique Carole Fritz. "On pense que ce sont des mythes qui structurent les relations entre les humains", avance-t-elle.

Les maîtres du paléolithique

Il y a trente ans, les trois inventeurs de la grotte Chauvet n'ont pas seulement découvert une cavité très ancienne et parfaitement conservée. Ils ont amené une révolution des connaissances sur l'art pariétal en mettant à jour une "chapelle Sixtine de la préhistoire". Tous ceux qui ont eux la chance de l'admirer "pour de vrai" disent que l'expression n'est pas usurpée et confient leur émotion.

Dans la première partie de la grotte, on trouve plusieurs dessins réalisés avec des empreintes de paumes de mains. Puis viennent une hyène, une panthère, une tête d'ours. Quand arrive la fresque des chevaux qui s'étire sur environ 7 mètres de large, on réalise à quel point les hommes et les femmes qui ont peint ce trésor étaient des artistes inspirés. Ils ont pris soin d'utiliser les reliefs des parois pour donner du volume et du dynamisme à leurs compositions. Utilisant du charbon de bois (les scientifiques ont retrouvé des restes de feux de bois au pied de certaines parois), à la lueur de leurs torches, ils ont recréé un grand troupeau. On jurerait entendre la cavalcade.

Le panneau des chevaux reproduit dans la réplique de la grotte Chauvet, Chauvet 2, à Vallon-Pont-d'Arc, dans l'Ardèche. (PATRICK AVENTURIER / GROTTE CHAUVET 2 ARDECHE)

Ces femmes et ces hommes, des Homo sapiens comme nous, maîtrisaient déjà des techniques complexes comme l'estompe, le pochoir ou encore la perspective. Ils utilisaient des pigments naturels comme le charbon, l'ocre rouge et le manganèse. La dernière salle, tout au fond de la grotte Chauvet, abrite sans conteste leur chef-d'œuvre : le panneau des lions. Les quelques photos de cette fresque monumentale diffusées par les médias au lendemain de la découverte feront le tour du monde.

C'est Jacques Toubon, alors ministre de la Culture, qui dévoile l'extraordinaire nouvelle lors d'une conférence de presse, le 18 janvier 1995. Dans les années qui suivront, il y aura plusieurs procédures judiciaires complexes, parfois rocambolesques, entre les trois inventeurs de la grotte, l'État, les familles propriétaires des terrains environnant la grotte, les agences de photographie ayant vendu les images, etc.

Une réplique pour tous

En 2014, vingt ans après sa découverte, en 2014, le site est classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco. Un an plus tard, le 10 avril 2015, le président François Hollande inaugure sa réplique, la plus grande reproduction de grotte ornée au monde, sur les hauteurs de Vallon-Pont-d'Arc. Le chantier a duré près de quatre ans. Son but est d'ouvrir Chauvet à tous ceux qui n'entreront jamais dans la vraie grotte.

Ce fac-similé s'appellera d'abord "Caverne du Pont d'Arc" puis, après une énième bataille judiciaire, Chauvet 2 Ardèche. Il ne s'agit pas d'une copie parfaite, la grotte étant immense, mais d'une sélection de morceaux choisis de la vraie grotte, en particulier ses plus beaux panneaux ornés réalisés notamment par les ateliers d'Alain Dalis en Dordogne et par le peintre préhistorien Gilles Tosello.

Grotte Chauvet 2 Ardèche. (FABRE SPELLER ARCHITECTES / PATRICK AVENTURIER)

Pour célébrer les trente ans de la découverte, mercredi 18 décembre, la grotte Chauvet 2 Ardèche prévoit "une fin de journée portes ouvertes gratuite exceptionnelle". Les visiteurs inscrits pourront visiter la réplique "en autonomie" à partir de 14H30 et surtout, rencontrer, dans le centre de conférence, à 16 et 17 heures, deux des trois inventeurs de la grotte : Jean-Marie Chauvet et Éliette Brunel (Christian Hillaire ne pouvant être présent).

Après la projection d'un film de 33 minutes baptisé La Découverte, ils dédicaceront des livres, signeront des autographes et raconteront, encore et encore, l'histoire de cette formidable journée qui changea à jamais le cours de leur vie.

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