Filière automobile : "L'inquiétude, c'est que le déclin de l'emploi continue à cause de l'électrification" des véhicules, souligne un économiste
Emmanuel Macron reçoit aujourd'hui les représentants du secteur qui s'inquiètent du financement de la transition écologique.
"L'inquiétude, c'est que le déclin de l'emploi continue à cause de l'électrification", des véhicules, a souligné Bernard Jullien, économiste, lundi 12 juillet sur franceinfo. Il réagissait à l'appel à l'aide de la filière automobile pour financer sa transition écologique. Alors que l'Elysée reçoit aujourd'hui les représentants du secteur qui demandent à l'Etat 17 milliards d'euros d'ici à 2025, le spécialiste de l'industrie automobile a cependant estimé que "si l'Etat doit s'engager à la hauteur souhaitée par la plateforme de la filière, alors il faudra quand même que constructeurs et équipementiers s'engagent sur la localisation des activités industrielles et des véhicules" en France.
franceinfo : La fin des moteurs thermiques en 2035 en Europe alors que l'objectif initial en France est de 2040, cela vous semble réaliste ?
Bernard Jullien : Cela semble surtout la seule manière de faire si, comme s'y est engagée l'Europe, on veut aller vers la neutralité carbone en 2050. On s'est aperçu que les objectifs qu'on s'était donnés en termes de réduction des émissions pour l'échéance 2030 ou 2035, étaient peu compatibles avec cela. Si on attendait 2040, on ne serait pas à la neutralité carbone des véhicules circulant en 2050. Cela oblige donc à hâter un peu plus sérieusement le processus et ça crée évidemment cette sorte de vent de panique qui peut être associé à la réunion d'aujourd'hui.
Puisque la difficulté c'est qu'aujourd'hui en France, moins d'une voiture sur dix vendue est une électrique…
Oui. Il y a le problème commercial qui concerne les concessionnaires. Et puis il y a évidemment, et c'est cela qui concerne l'attention de la plateforme de la filière, la question industrielle puisqu'on sait que pour fabriquer un véhicule électrique il faut beaucoup moins d'heures de travail qu'il n'en faut pour fabriquer un véhicule diesel et même un véhicule essence. Evidemment, l'inquiétude, c'est que le déclin de l'emploi, qui a déjà été très fort depuis quinze ans à cause des délocalisations, continue désormais à cause de l'électrification. Il y a donc une mobilisation autour de cette question des technologies associées à l'électrique et des métiers ou des investissements qu'il faudrait faire pour ne pas continuer à voir l'emploi décliner. Il faut souligner qu'il y a quand même des demandes d'aide très fortes de la part des industriels qui correspondent à beaucoup d'argent public et il y a peut-être un problème de compatibilité dans cette manière de voir le rôle de l'Etat dans l'automobile. Il y a quand même un défaut d'engagement sur les volumes qui seraient produits en France. Si l'Etat doit s'engager à la hauteur souhaitée par la plateforme de la filière, alors il faudra quand même que constructeurs et équipementiers s'engagent sur une localisation d'activités industrielles et des véhicules. On sait que les véhicules sont quand fabriqués très volontiers dans les pays low cost alors qu'ils sont achetés dans des pays comme le nôtre. Cette manière de vouloir le beurre et l'argent du beurre doit être mise en question par les autorités publiques. Si investissement lourd il doit y avoir, alors il doit y avoir un deal.
Il faut aussi relocaliser la production de batteries. Où se fait-elle principalement aujourd'hui ?
On en est au tout début : la cartographie de la production de batteries n'est pas forcément significative de ce qu'elle sera à terme. Mais on doit quand même noter qu'aujourd'hui on a une grande partie de ce qu'on appelle les "gigafactories" qui sont plutôt allemandes. Il y a aussi aujourd'hui des grands projets au Royaume-Uni, il y en a d'autres en Italie et puis il y a deux, trois projets en France. On sent très bien que l'Europe, qui est habituée à jouer comme un espace de mise en concurrence des pays et des usines, continue un peu de jouer sur ce mode-là. C'est assez peu compatible avec l'idée d'un plan Marshall. Si chacun tire contre le voisin, on aura des effets qui seront problématiques. Il y a, pour la France, une renégociation de sa place dans l'Europe de l'automobile qui doit se jouer en même temps que ces plans-là.
La crainte du secteur automobile, d'où ces 17 milliards d'euros demandés, c'est de voir disparaître des emplois, 100 000 exactement dans le secteur. Va-t-il falloir reconvertir ces milliers de salariés ?
Effectivement, il y a deux problématiques. D'abord de localisation des véhicules : si on aide les gens à acheter des voitures qui ne sont pas assemblées en France, ça va précipiter le mouvement. Et puis, de toute façon, il y a des technologies, il y a des métiers qui vont être affectés. Il va falloir soit mettre en œuvre des amortisseurs sociaux comme la pré-retraite, soit tenter de trouver d'autres débouchés que l'automobile pour un certain nombre d'industriels, ce qui est extrêmement compliqué et demandera des aides significatives. Je pense que les autorités publiques sont alertées par les industriels, il y a déjà eu un mouvement de ce type-là à cause du déclin du diesel. L'électrification c'est une espère de seconde lame dans un mouvement de déclin des véhicules diesel, thermiques et hybrides. C'est évidemment inquiétant pour les bassins d'emplois concernés et les salariés, d'où la présence des syndicats [à l'Elysée]. Il est logique qu'on ait une mobilisation assez forte de l'ensemble des acteurs publics et privés autour de ces questions-là.
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