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Pollution au diesel : après les logiciels truqueurs des voitures, les boîtiers tricheurs des camions !

Publié
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par Sylvain Tronchet
Radio France

Des transporteurs déconnectent les systèmes antipollution grâce à des boîtiers en vente sur internet. La combine se répand et les autorités tardent à réagir. 

La triche sur les moteurs diesel ne concerne pas que les voitures des particuliers. Les poids lourds qui circulent en France comme en Europe sont pour une bonne part munis d'un système qui permet de désactiver le dispositif antipollution. En toute illégalité, et avec des conséquences dramatiques en termes de pollution. En cause : de petits boîtiers qui, pour une centaine d'euros, évitent aux camionneurs de refaire le plein d'AdBlue, l'additif qui permet de réduire les émissions en oxydes d’azote (NOx).

L'AdBlue est un additif qui permet de "traiter" les émissions

Cela peut paraître paradoxal, mais quand ils ne sont pas trafiqués, les camions de dernière génération polluent nettement moins que les voitures qui sortent actuellement des chaînes de production des constructeurs automobiles. Ce constat a été tiré par l’ONG américaine ICCT. C'est aussi elle qui a révélé le scandale Volkswagen. Dans son étude, elle montre qu'en conditions réelles, les camions émettent deux fois moins d’oxydes d’azote (NOx) que les automobiles. La raison de cette prouesse technique ? Les dispositifs antipollution qui équipent les poids lourds sont nettement plus contraignants. Et l'utilisation de l’AdBlue permet de "traiter" les gaz déchappement et de réduire les NOx.

Schéma du système AdBlue  (THOMAS JOST / RADIO FRANCE)

L'AdBlue, un liquide composé d’urée (CO2 et ammoniaque) et d’eau chimiquement pure, est injecté dans le circuit d'échappement en amont du catalyseur et permet de retraiter les gaz d’échappement. Il convertit la majeure partie du NOx en vapeur d’eau et en nitrogène inoffensifs pour la nature.

Si le réservoir d’AdBlue est vide, le moteur du camion se bride, et il perd 20% de sa puissance. Un moyen efficace d’obliger les "étourdis" à rouler en limitant leurs émissions polluantes. Mais l’AdBlue a un coût, environ 1 000 euros par an et par camion. "Il faut savoir qu’un camion ne dégage en moyenne que 6 000 euros de marge annuelle", indique Demba Diedhiou, le coordinateur transports chez France nature environnement. Dans un secteur où la concurrence est rude et les coûts serrés, il est donc tentant de se passer de ce coûteux additif.

Des dispositifs illégaux permettent de "shunter" le système AdBlue

Il suffit de faire une petite recherche internet pour constater que des dizaines de sociétés proposent des boîtiers qui permettent de rouler sans AdBlue, parfois pour moins de 100 euros. En France, des garages qui ont pignon sur rue les vendent et les installent en toute impunité. Nous avons contacté l’un d’entre eux dans le Sud de la France en nous faisant passer pour un transporteur. L’homme nous explique tranquillement qu’il a "de nombreux clients qui se plaignent parce que quand ils n'ont plus d'AdBlue, le véhicule se met en sécurité. Notre boîtier, poursuit-il, shunte le système Adblue. Ça permet de rouler sans le liquide. C'est interdit, donc on vend ça comme boîtier de dépannage."

Des dizaines de sites internet proposent des boîtiers permettant de se passer d'AdBlue sans spécifier clairement qu'ils sont illégaux, comme ici le 10 mai 2017. (Capture d'écran / DR)

Même pour un "dépannage", utiliser ce genre de boîtier est totalement illégal. Surtout, les conséquences pour nos poumons sont catastrophiques. "Un camion qui roule sans AdBlue, c'est comme s’il polluait autant qu’un camion de première génération, qui sont interdits à la circulation aujourd’hui, prévient Demba Diedhiou. Si ce système se généralise, le scandale Volkswagen représente 50% de ce qui va nous arriver."

Les camions qui roulent en France ne sont pas contrôlés

Difficile d’évaluer le nombre de poids lourds qui polluent plein pot grâce à ces boîtiers. En Allemagne, une enquête de la chaîne de télévision ZDF a montré que jusqu’à 20% des poids lourds en provenance d’Europe de l’Est étaient probablement équipés de ce dispositif. Sans doute est-ce pour cela que les autorités allemandes ont semblé réagir, comme nous le confirme notre vendeur du sud de la France : "En Allemagne, il y a souvent des contrôles de système AdBlue sur la route. Quand nos clients vont en Allemagne, ils remettent le fusible en place donc lors du contrôle le véhicule est conforme. En France, pour l'instant, je touche du bois, aucun client n'a eu de soucis."

Un boîtier Adblue en vente sur internet avec sa notice de montage le 10 mai 2017.
 (Capture d'écran / DR)

Et pour cause, d’après nos informations, aucune recherche de ce type de dispositif n’est effectuée par les forces de l’ordre. "Ils se concentrent uniquement sur les temps de conduite", nous confirme un spécialiste du sujet.

Les autorités connaissent le problème mais tardent à réagir

Les autorités françaises ne peuvent pourtant pas dire qu’elles ignorent le problème. Le ministère des Transports a déjà été interpellé par la presse professionnelle du secteur. La députée PS Delphine Batho a dénoncé cette fraude lors de la remise de son rapport sur l’industrie automobile. "J’ai demandé la saisine immédiate de la répression des fraudes. Les sites internet qui vendent des dispositifs doivent être fermés, il doit y avoir des procédures judiciaires. On ne peut pas laisser ça comme ça. Il faut que l'exécutif fasse le nécessaire, ça me parait indispensable", déplore l’ancienne ministre de l’Écologie.

Pourtant, lorsque le sujet est revenu sur la table lors de la dernière réunion de la commission Royal sur les émissions polluantes, le 27 avril. Les responsables du ministère ont de nouveau semblé être désarmés. Et pourtant, repérer les véhicules polluants n’est pas très compliqué. "Il y a déjà des technologies pour détecter les véhicules polluants, explique Julia Poliscanova, spécialiste du sujet pour l’ONG Transport & Environnement. Ce sont des appareils pas chers et très simples d’utilisation, qui peuvent, à distance, mesurer les émissions et même flasher le véhicule. La technologie est là, mais la répression manque."

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