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Pourquoi la Bretagne en crise inquiète tant le gouvernement

L'exécutif doit affronter la colère des Bretons face aux plans sociaux qui se succèdent et à l'écotaxe qui cristallise les tensions. Un enjeu politique majeur pour le pouvoir socialiste.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des manifestants opposés à l'écotaxe arrachent une barrière de sécurité sur une route à Pont-de-Buis (Finistère), le 26 octobre 2013. (FRED TANNEAU / AFP)

Les manifestations contre l'écotaxe durent depuis plusieurs mois en Bretagne. Mais c'est la première fois qu'elles atteignent un tel degré de violence. Samedi 26 octobre, la RN 165 près de Pont-de-Buis (Finistère) a été le théâtre d'affrontements dignes d'une guérilla. Un millier de manifestants ont affronté gendarmes mobiles et CRS. Un homme a eu la main arrachée.

Pour tenter de désamorcer ces tensions, également issues de l'épuisement du modèle économique breton, le gouvernement a promis des aménagements de cette taxe poids lourds, lundi 28 octobre. Des élus bretons doivent être reçus à Matignon mardi. Francetv info vous explique pourquoi l'exécutif a raison de s'inquiéter de la crise en Bretagne.

Parce que c'est une terre ancrée à gauche 

"François, qu'as tu fais (sic) depuis un an ?" Réponse : "Berrien". Le photomontage d'un François Hollande souriant devant le panneau d'entrée de ce village du Finistère a remporté un franc succès sur internet, constate Le Télégramme.

Les Bretons ont voté à 56,35% pour le socialiste au second tour de la présidentielle. Cinq points de plus que la moyenne nationale. Un an et demi après sa prise de fonction, leur déception est grande, souligne France 3 Bretagne. La promesse du candidat de ratifier la charte européenne des langues régionales a été oubliée. Et le projet de décentralisation a accouché d'une souris.

A cinq mois des élections municipales et à sept mois des européennes, les socialistes ont beaucoup à perdre en Bretagne. Rennes, Nantes, Quimper, Lorient, Brest, Saint-Nazaire : les grandes villes bretonnes sont détenues par la gauche. L'ancrage du PS y est historique : il date des municipales de 1977, lorsque la région a basculé à gauche. Gare au vote sanction en pleine crise économique et politique.

"La déception va forcément engranger beaucoup d'abstention", estime Jean-Jacques Monnier, spécialiste de l'histoire politique de la Bretagne, dans Le JDD. "La gauche ne risque pas grand-chose mais son recul serait symboliquement notable sur cette terre", y ajoute Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop.

Parce que le FN y gagne du terrain

Hausse des taxes en pleine crise économique, augmentation du chômage sur fond de concurrence étrangère : plusieurs ingrédients sont réunis pour permettre au Front national de prospérer dans la catholique, modérée et pro-européenne Bretagne. Un Front national déjà fort de succès locaux. 

Avec 13,24% des voix à la dernière présidentielle, "jamais le Front national n'avait été aussi haut en Bretagne", remarque Le Télégramme"Le FN a globalement une marge de progression immense dans tout l'ouest. Et ce parti l'a bien compris", appuie le géographe Christophe Guilluy, dans Le JDD

"Autrefois, nous considérions la Bretagne comme une terre de mission ; elle était assez imperméable à nos idées, notamment en raison de la force de la tradition démocrate-chrétienne. Cette fois, les cartes sont complètement rebattues ; le fameux modèle breton est en train d'imploser", confirme au Figaro Gilles Pennelle, le secrétaire départemental du FN et tête de liste aux municipales à Fougères. Signe qui ne trompe pas, Marine Le Pen était en campagne à ses côtés, samedi. 

Parce que le lobby breton est puissant

La Bretagne "n'a jamais été aussi bien représentée au pouvoir", note Le Monde. Le gouvernement compte quatre ministres bretons, liste Le Télégramme. A la Défense, Jean-Yves Le Drian, ancien président PS de la région Bretagne et fidèle de François Hollande ; à la Décentralisation, Marylise Lebranchu, ex-députée de Morlaix ; à l'Agriculture, Stéphane Le Foll, qui a des attaches personnelles en Bretagne ; et à la Consommation, le Finistérien Benoît Hamon.

Plus, le premier d'entre eux, Jean-Marc Ayrault, "si l'on se réfère à la 'Bretagne historique' incluant Nantes", renchérit Le Monde. Et il y a aussi le maire de Quimper, Bernard Poignant, devenu conseiller de François Hollande à l'Elysée et surnommé par la presse "l'oreille du président". A cela s'ajoutent 21 députés bretons dans les rangs de la majorité à l'Assemblée.

Un "Breizh Power" efficace, comme le confie dans Le Monde Jean-Jacques Urvoas, député du Finistère et président de la commission des lois. Le quotidien du soir raconte comment, un peu moins d'une fois par mois, ces élus bretons se réunissent au ministère de la Défense. Récemment, ils y ont dit leur mécontentement quant à l'écotaxe. Jean-Yves Le Drian s'est fait leur porte-parole au sein du gouvernement. Avec un certain succès. Quand il a annoncé son plan d'aide pour la Bretagne, Jean-Marc Ayrault a glissé que l'écotaxe pourrait être aménagée.

Parce que la Bretagne symbolise les maux du pays

A elle seule, la Bretagne concentre tous les enjeux auxquels le gouvernement doit faire face. Son modèle économique, reposant sur une agriculture et une industrie agroalimentaire intensives, est à bout de souffle. Ses agriculteurs et éleveurs sont soumis à une chute des cours de leurs produits. 

Les plans sociaux s'y succèdent. Ses entreprises peinent à résister à la concurrence internationale accrue de pays comme l’Allemagne qui pratiquent le "dumping social" en embauchant une main-d’œuvre bon marché, venue souvent des pays de l'Est. Une solution adoptée par des entreprises bretonnes elles-mêmes, comme aux abattoirs Gad. Cependant, elle a nourri la contestation dans cette société en grande difficulté. 

Enfin, l'opposition virulente des Bretons à l'écotaxe n'est que la manifestation la plus vive d'un ras-le-bol fiscal généralisé auquel le gouvernement est confronté. Depuis deux mois, il est d'ailleurs déjà revenu sur plusieurs dispositions fiscales.

Parce que les manifestants bretons peuvent être violents

"Les agriculteurs bretons ont une solide tradition de bras de fer avec l’Etat", rappelle La Croix. Et les souvenirs de leurs coups d'éclat sont encore présents dans les mémoires.

En 1961, un jeune syndicaliste agricole et entrepreneur, Alexis Gourvennec, demande que l'Etat l'aide à créer une coopérative des producteurs d’artichauts et de choux-fleurs à Saint-Pol-de-Léon. Pour se faire entendre, il mobilise en quelques heures 200 tracteurs et 1 500 agriculteurs. Ils prennent d'assaut la sous-préfecture de Morlaix et bloquent la ville.

En 1994, ce sont les marins-pêcheurs qui manifestent, à Rennes, contre la baisse des ventes et des prix du poisson, et la concurrence européenne. Leur manifestation vire à l'émeute et se solde par l'incendie du Parlement de Bretagne, provoqué par des fusées de détresse tirées par manifestants.

Parmi les protestataires qui se sont attaqués, samedi, au portique écotaxe de Pont-de-Buis, certains étaient coiffés de bonnets rouges. Une référence à ceux portés lors de la Révolte du papier timbré, un mouvement de contestation qui a agité la Bretagne en 1675, en réaction aux taxes imposées par Colbert pour renflouer les finances royales. Un soulèvement antifiscal, déjà.

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