Pollution, insécurité, économie parallèle... Comment l'orpaillage illégal gangrène la Guyane
La lutte contre cette pratique fait partie des revendications de certaines communes de Guyane, en proie à une crise sociale sans précédent. Franceinfo revient sur les conséquences de cette activité clandestine.
C'est une ruée vers l'or qui coûte cher à la Guyane. Quelque 10 000 orpailleurs clandestins œuvraient dans le département en 2014, selon l'ONG WWF. Cette activité clandestine inquiète le collectif de Maripasoula A No Wi Opo, créé jeudi 23 mars, en marge de la crise qui paralyse la région d'outre-mer. Au-delà du besoin d'infrastructures et de fonctionnaires, A No Wi Opo réclame "une éradication de l'orpaillage illégal". Mais quel est l'impact de ces garimpeiros, souvent venus du Brésil ou du Suriname, sur la Guyane ? Franceinfo s'est penché sur la question.
Des trafics en tout genre sous la canopée
Quelque 5 à 10 tonnes d'or sont illégalement extraites du sol guyanais chaque année, selon une estimation du WWF. Cette activité, menée par des hommes parfois lourdement armés, est synonyme d'une "forte insécurité" pour les habitants de Maripasoula, dans l'ouest de la Guyane. Cette commune très enclavée est située le long du fleuve Maroni, à la frontière avec le Suriname. "Dernièrement, les habitants ont constaté, en se rendant dans la forêt, que des sites clandestins s'étaient créés un peu partout", rapporte Lydina Dada, du collectif A No Wi Opo, à franceinfo. Selon cette professeure des écoles, les habitants n'osent plus "s'aventurer dans certaines zones pour chasser ou pêcher".
"Les orpailleurs utilisent les cours d'eau pour transporter du carburant, du mercure ou de la nourriture", ajoute Bérangère Blin, directrice adjointe du Parc amazonien de Guyane (PAG). Sous la canopée, une véritable économie parallèle s'est enracinée. La responsable du PAG évoque "des trafics de drogue" et "de la prostitution", qui s'organisent autour de ces sites miniers.
"Le sud de la Guyane et la zone frontière avec le Suriname se transforment en véritable far-west où les règlements de compte sont monnaie courante", renchérit Slate. Les militaires et gendarmes français sont régulièrement confrontés à ces violences. "Il est fréquent que les garimpeiros soient armés et il y a des échanges de tirs ponctuels avec les membres de l'opération Harpie [de lutte contre l'orpaillage illégal], indique l'état-major des armées à franceinfo. Il y a parfois des blessés, comme dans toute opération militaire. Nous prenons ces risques très au sérieux."
Certains affrontements avec les garimpeiros se sont avérés dramatiques. Deux militaires ont été tués lors d'une opération contre un site d'orpaillage clandestin près de Dorlin, sur la commune de Maripasoula, en juin 2012. Deux gendarmes, qui participaient également à cette opération, ont été blessés dans l'embuscade. Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, avait dénoncé une "volonté de tuer".
Déforestation et contamination au mercure
Les habitants s'inquiètent aussi de l'impact écologique de cette activité. Pour récupérer le précieux métal, les garimpeiros retournent la terre à proximité des cours d’eau aurifères. La déforestation est anarchique. Une étude de chercheurs de Sinnamary révèle ainsi un "lien très fort entre le cours mondial de l’or et la déforestation liée à l’orpaillage illégal". "Lorsque le cours de l’or était en deçà de 400 dollars l’once, voici une quinzaine d’années, environ 2 000 hectares de forêts étaient annuellement abattus par l’orpaillage, explique Camille Dezécache, auteur de l’étude, à La Croix. Quand il a flambé, pour atteindre 1 600 dollars l’once en 2011-2012, la déforestation a touché près de 9 000 hectares par an."
Sans compter la pollution au mercure, dont les garimpeiros se servent pour amalgamer l’or. L'utilisation de ce métal lourd est, en théorie, interdite depuis 2006. Mais il est employé en grande quantité dans les exploitations clandestines, avant d’être rejeté dans les cours d’eau. La concentration en mercure du sol guyanais est ainsi huit fois supérieure à celle de la métropole, précise Slate. Les poissons sont également contaminés.
Certaines populations amérindiennes, qui vivent notamment de la pêche, sont particulièrement affectées. Selon une enquête de l’Institut de veille sanitaire, réalisée en 1998, 57,4% des Wayanas, l'un des six peuples amérindiens vivant en Guyane près d'un cours d'eau, ont un taux de contamination supérieur aux normes maximales. "A terme, la pollution des fleuves risque également d'affecter la population du littoral", avertit Bérengère Blin. La situation est d'autant plus alarmante que l'exposition au mercure est extrêmement toxique, selon l'OMS. Elle peut entraîner des malformations fœtales, un retard de développement neurologique ou de croissance, ou encore des troubles digestifs et immunitaires.
De 300 à 400 militaires mobilisés en permanence
Pour faire face à ces problèmes, l’Etat français s’est engagé dans la lutte contre l’orpaillage clandestin dès 2008. Dans le cadre de l’opération Harpie, l'armée, les gendarmes et la police aux frontières collaborent pour repérer les sites illégaux et les démanteler. Sur les 2 100 membres des Forces armées en Guyane (FAG), quelque 300 à 400 militaires sont affectés en permanence à cette mission, détaille l’état-major des armées à franceinfo.
Ils travaillent depuis des bases avancées dans la forêt amazonienne, pour instaurer des contrôles sur les cours d'eau et "tarir les flux de ravitaillement" des garimpeiros. Ils effectuent également des missions de reconnaissance en forêt ou "organisent des opérations coups de poing pour détruire les installations et saisir les biens" des orpailleurs illégaux. Selon les chiffres du ministère de la Défense, les résultats sont là : le nombre de sites clandestins a chuté de 70% entre 2014 et juillet 2016.
"Les 'garimpeiros' se réorganisent"
Mais l'action des autorités françaises semble atteindre ses limites. L'Observatoire des activités minières estimait qu'il y avait 235 chantiers illégaux actifs en Guyane au 1er janvier 2016, selon les données transmises à franceinfo par la préfecture de Cayenne. A la fin décembre, ce nombre était passé à 302 sites. "Les garimpeiros se réorganisent, se redistribuent sur le territoire et vont là où le risque est moindre sur le moment", explique le Parc amazonien de Guyane dans son rapport d'activité annuel (PDF). Ses responsables ont recensé 139 chantiers sur leur territoire en novembre 2016, soit "le plus haut niveau de sites illégaux jamais observé (...) depuis le début des campagnes de survols en mars 2008".
La commune de Maripasoula a été victime de cette recrudescence : le PAG y dénombrait 91 sites d'orpaillage clandestins en novembre 2016. Soit une hausse de l'activité illégale de 75% en un an. "Cette zone est la plus reculée. On peut donc emporter moins d’hommes et rester moins longtemps sur zone", explique le lieutenant-colonel Jean-Pierre Chanard, chef de la division opérations des FAG, dans le rapport d'activité du parc.
C'est un peu ce que j’appelle la "marteau-thérapie" : plus on tape, plus l’adversaire se lasse et arrête de venir. Dans les zones plus reculées, c’est plus difficile à mettre en œuvre.
Jean-Pierre Chanard, chef de la division opérations des FAGau Parc amazonien de Guyane
Cette hausse de l'activité illégale est également due au manque de moyens humains : la brigade de Maripasoula a perdu 32 gendarmes mobiles en septembre 2016. Ils n'étaient plus que cinq en mars 2017, selon Lydina Dada, du collectif A No Wi Opo. "Les forces de lutte sont passées d’une capacité de quinze missions hebdomadaires à une", note le rapport du Parc amazonien. Dans certaines zones, "l’orpaillage illégal a de fait explosé et les orpailleurs se sont mis à travailler à découvert".
"Il faut faire pression sur le Brésil et le Suriname"
Pour les responsables du Parc amazonien, l'action gouvernementale est encore insuffisante. "Il faut démultiplier les capacités d'action des hommes sur le terrain", martèle Bérengère Blin, interrogée par franceinfo. Les garimpeiros connaissent bien le terrain et sont donc très mobiles. Les militaires, eux, ne sont affectés aux bases avancées en forêt que pour quelques mois. En raison des conditions extrêmes, les effectifs sont renouvelés à intervalles réguliers. "Nous avons une vingtaine d'agents du parc qui peuvent les guider, mais ce n'est pas suffisant pour endiguer l'activité aurifère illégale, s'inquiète la directrice adjointe du Parc amazonien. Il faut plus d'hommes, mais aussi plus d'interventions héliportées pour parvenir à surprendre les garimpeiros."
Mais le véritable problème se trouve de l'autre côté de l'eau. Les bases logistiques servant au ravitaillement des sites d'orpaillage clandestins sont toutes situées sur l'autre rive des fleuves Maroni et Oyapock, qui délimitent le département. Ces frontières sont toutefois floues pour les populations locales. Les efforts du Brésil et du Suriname voisins pour lutter contre l'orpaillage illégal sont en outre limités. "Paris doit faire pression sur ces pays pour qu'ils s'engagent véritablement dans la lutte contre l'activité aurifère clandestine, prône Bérengère Blin. Tant que ces bases pousseront comme des champignons sur la rive d'en face, les autorités françaises pourront faire leur maximum : l'orpaillage illégal continuera de ronger la Guyane."
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