Loi Travail : pourquoi la CGT durcit le mouvement
En pointe de la contestation, le premier syndicat de France est à la manœuvre dans le blocage des raffineries.
"Face à ce que nous demandons, c'est-à-dire l'écoute de ceux qui ne sont pas contents, on choisit de bomber le torse, gonfler les muscles. Que le gouvernement écoute, que le président de la République écoute plutôt que de choisir la force !" Invité de RTL lundi 23 mai, Philippe Martinez est resté ferme. Pour le secrétaire général de la CGT, qui compte prendre la tête de la prochaine journée nationale de mobilisation, jeudi, seul compte le retrait du projet de loi Travail.
Face à l'intransigeance du gouvernement, la centrale syndicale a choisi de montrer à son tour les muscles : depuis plusieurs jours, elle est à la manœuvre des blocages de raffineries et dépôts de carburant. Pourquoi avoir choisi cette stratégie ?
Parce que c'est son dernier espoir pour contrer la loi Travail
Une pétition signée 1,3 million de fois et près d'une dizaine de journées de mobilisation n'ont pas suffi à enterrer la loi Travail. Difficile pourtant d'affirmer que le mouvement "s'essouffle", tant les chiffres de la participation aux manifestations en France sont variables. Il y a certes eu un pic de mobilisation, le 31 mars, avec 1,2 million de manifestants dans toute la France selon les organisateurs (390 000 selon la police), mais les autres dates n'ont jamais rassemblé plus de 500 000 personnes, même selon les estimations hautes des syndicats. Le dernier rendez-vous, le 17 mai, a réuni tout au plus 220 000 opposants à la loi El Khomri, 68 000 selon le ministère de l'Intérieur. Et les syndicats opposés au texte appellent à une nouvelle journée de grève jeudi 26 mai.
"Dans la fonction publique, les préavis de grève ne prennent pas", écrit La Croix. Alors les organisations opposées au texte, CGT en tête, cherchent d'autres moyens de peser et "d'installer le mouvement dans la durée". Car un long cheminement parlementaire attend encore la loi, qui ne devrait pas être promulguée avant fin août. Or, dans les raffineries, la CGT, majoritaire, peut compter sur la Fédération nationale des industries chimiques (Fnic), l'une des plus radicales. Selon un dirigeant d'un syndicat réformiste, cité par Libération, le blocage des raffineries et dépôts de pétrole est pourtant un aveu de faiblesse : "Le signe qu'ils sont minoritaires. Ils se radicalisent d'autant plus qu'ils sont peu nombreux."
La CGT prend donc le risque de se mettre à dos une partie de la population, pourtant majoritairement opposée à la loi Travail, en fermant le robinet d'essence. "Pour que le gouvernement nous entende, il faut qu'on touche au porte-monnaie", estime Franck Barbay, secrétaire du comité central d'entreprise de la Compagnie industrielle du Havre (CIM), interrogé par Le Journal du dimanche. Sur la seule plateforme Total de Normandie, plus grande raffinerie de France, la cessation d'activité représente 2 millions d'euros de pertes par jour. "Ça va coûter des points de croissance", reconnaît Thierry Defresne, délégué CGT, toujours dans Le JDD.
Pour tenter de fédérer ses troupes
La centrale de Montreuil n'est pas épargnée par la crise du syndicalisme : alors qu'elle comptait plus de 3 millions d'adhérents en 1953, la CGT ne comptabilisait en 2014 qu'à peine plus de 680 000 membres. Mais, ces dernières années, le plus vieux syndicat français a connu des turbulences internes que le durcissement du conflit avec le gouvernement a reléguées au second plan.
Le départ de Bernard Thibault, qui a quitté la CGT en 2013 après en avoir été à la tête durant quatorze ans, a ouvert une crise de direction au sein de la centrale. Les adhérents restent échaudés par le scandale qui a visé son successeur, Thierry Lepaon, incarnation d'une ligne réformiste qui divisait les troupes. Intronisé à la tête de la CGT en 2013, il avait dû démissionner après que Le Canard enchaîné eut révélé que le syndicat avait pris en charge le coût des rénovations de son appartement et de son bureau.
Elu en catastrophe début février 2015 pour prendre la relève, Philippe Martinez a misé sur une ligne dure pour être reconduit lors du congrès de la CGT organisé à Marseille en avril. Une manière de remobiliser sa base, estime Le Figaro (article payant) : "Pour ressouder les troupes, rien de mieux que de se trouver un ennemi commun : en l'occurrence, le gouvernement." Le nouveau patron du syndicat est même allé jusqu'à s'afficher en une du Journal du dimanche en train de jeter un pneu dans le brasier allumé devant le dépôt pétrolier Total d'Haulchin (Nord). "Du jamais-vu", selon un expert social cité par le quotidien conservateur.
Si pas vu Pourquoi la #CGT attise la crise (Une Journal du Dimanche) pic.twitter.com/QOvySMs0kf
— Gilles Klein (@GillesKLEIN) 23 mai 2016
Parce qu'elle se sent menacée par la CFDT
Ce durcissement de la ligne politique de la CGT s'explique également par la concurrence grandissante des organisations plus modérées au sein du paysage syndical français. "Même si elle reste la première centrale syndicale, [la CGT] perd des parts de marché au bénéfice des syndicats réformistes, même dans ses bastions comme la SNCF ou EDF, au profit de la CFDT, voire, chez Renault, de la CFE-CGC", analyse dans Le Parisien (article payant) Raymond Soubie, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions sociales.
La dernière mesure d'audience de la représentativité syndicale, qui agrège les scores enregistrés par les différentes organisations lors des élections professionnelles, sonne à cet égard comme un avertissement pour la CGT. En 2013, elle réunissait 26,77% des suffrages, talonnée par la CFDT et ses 26%. A quelques jours du congrès de Marseille, au cours duquel il a été reconduit dans ses fonctions, Philippe Martinez expliquait à la presse spécialisée que la CGT risquait de perdre son titre de premier syndicat de France au début de l'année 2017. En cause : l'impossibilité, pour un grand nombre de salariés, de se tourner vers la CGT, implantée dans moins d'entreprises que la CFDT.
On a fait une analyse pointue, et on constate – c'est le plus gros problème – qu'il y a un différentiel de 300 000 électeurs entre la CFDT et nous, ce qui signifie que ce sont 300 000 électeurs qui peuvent voter pour la CFDT et pas pour la CGT.
Le patron de la centrale s'inquiète d'autant plus qu'il sait que sa concurrente a les faveurs du gouvernement. Au moment d'annoncer le recours au 49.3 à l'Assemblée nationale, Manuel Valls n'a ainsi pas manqué de vanter le "compromis" obtenu sur la loi Travail avec les syndicats qu'il a qualifiés de "réformistes". "A un an de la présidentielle, François Hollande et Manuel Valls veulent parfaire leur image sociale-démocrate, revivifier le dialogue social", analyse Cécile Cornudet dans Les Echos. Pour l'éditorialiste, cette stratégie échaude la CGT, qui "se sent en danger et sort les griffes". "[Elle] n'a plus les moyens de susciter une mobilisation d'ampleur et d'engager une vraie guerre, alors elle choisit la guérilla. Médiatique et sociale."
Parce que le texte de loi la pénalise directement
La CGT demande le retrait de l'intégralité du projet de loi Travail. Mais un point particulier du texte risque de lui coûter cher. La confédération souligne que dans cette nouvelle mouture du Code du travail, "c'est l'accord d'entreprise qui prévaut sur l'accord de branche ou la loi, même quand il est moins favorable". Dans les entreprises sans représentation syndicale, les employeurs pourront négocier directement avec des salariés "mandatés" par un syndicat, "qui ne bénéficieront pas des droits et protections des élu.e.s et syndicats, et seront davantage sous pression de l'employeur", fait valoir la CGT.
Ce changement ne va pas arranger les affaires de la confédération, implantée dans un moins grand nombre d'entreprises que la CFDT. "C'est l'essence même de la CGT qui est en jeu et son positionnement contestataire", analyse un ministre, dans Le JDD. Une position plus facile à tenir à l'échelle nationale et lors de négociations de branche qu'au sein d'une entreprise où "de plus en plus de négociations servent d'abord à imposer aux salariés un ensemble de sacrifices (sur leurs rémunérations, leur temps de travail, etc.) en échange de la promesse donnée (mais pas toujours respectée !) de maintenir l'emploi", explique Baptiste Giraud, maître de conférences en sciences politiques à Marseille, sur son blog.
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