Réforme des retraites : la procédure accélérée est-elle "une procédure normale" comme l’affirme le gouvernement ?
Le projet de loi de la réforme des retraites fait l’objet d’une procédure accélérée au Parlement. Pour le secrétaire d'État chargé des retraites, elle "n'a rien d’accélérée, c’est une procédure normale". Dans les faits, c’est un peu plus compliqué que ça.
Neuf jours de débat, une commission noyée sous quelque 22 000 amendements et une bataille autour du temps de parole... La réforme des retraites est présentée lundi 17 février à l'Assemblée nationale. Un calendrier serré dû au choix du gouvernement de passer par une procédure accélérée pour faire voter la loi avant l'été. Une procédure dénoncée par l'opposition, et régulièrement par les parlementaires.
La procédure "n’a rien d’accélérée, c’est une procédure normale", a déclaré le secrétaire d'État chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, lundi 10 février sur France Inter. Qu'en est-il vraiment ? La Cellule Vrai du faux vous explique cette pratique législative.
Une procédure prévue par la Constitution
Dans la procédure législative, un projet de loi ou une proposition suit un mouvement de va-et-vient entre Assemblée et Sénat. On l'appelle la navette parlementaire. L’objectif est d’adopter un texte identique. Un délai minimal de six semaines entre le dépôt d’un texte devant la première assemblée saisie et sa discussion en séance publique (et quatre semaines devant la seconde) doit être respecté afin que le projet soit examiné en commission. Il faut aussi deux lectures par chambre au minimum. La navette peut durer longtemps et se poursuit tant que tous les articles n’ont pas été adoptés à l'identique. L’adoption par navette "reste le mode normal d’adoption des lois", peut-on lire sur le site du Sénat.
Avec la procédure normale, la réforme des retraites ne serait pas adoptée avant juin ou septembre 2021 alors qu'en procédure accélérée, ce sera en juin 2020.
Dominique Rousseau, constitutionnaliste à l'université Paris 1à franceinfo
La procédure accélérée est quant à elle prévue par l’article 45 de la Constitution. Depuis sa révision en 2008, la procédure accélérée remplace la procédure d’urgence qui était exceptionnelle. Si ce n’est pas la procédure "normale", elle est aujourd’hui très souvent utilisée. Concrètement, la procédure accélérée peut réduire la navette à une seule lecture par chambre et supprime les délais. Elle fait donc gagner du temps.
Un usage qui s'est banalisé
Son recours est devenu quasi systématique. Dès sa mise en place en 2008, l'utilisation de la procédure accélérée par le gouvernement s'est intensifiée, passant de 103 textes de loi entre 2008 et 2012 à 228 sous le quinquennat de François Hollande. Depuis le début du quinquennat d'Emmanuel Macron, "plus de la moitié des projets et propositions de loi ont été adoptés par la procédure accélérée", note le constitutionnaliste Dominique Rousseau. Emmanuel Macron avait en effet annoncé dans son progamme électoral sa volonté d'"appliquer cette procédure par défaut" estimant que "la procédure parlementaire doit être plus efficace et plus rapide".
"Dans la pratique, l’exception est devenue le principe", explique le professeur Rousseau. Cette banalisation répond, selon lui, à une demande de l’opinion publique pour que les lois soient adoptées plus vite, mais aussi à la volonté des gouvernements de "montrer une efficacité politique et tirer le bénéfice d’une loi avant la fin du quinquennat", précise-t-il. Dernièrement, la loi pour la confiance dans la vie politique ou la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme en 2017 ont été votées de cette façon.
Une procédure souvent dénoncée
Souvent décriée par les parlementaires, qui estiment qu'elle ne respecte pas le temps parlementaire nécessaire, la procédure accélérée peut être suspendue. Pour cela, il faut que les conférences des présidents de l’Assemblée et du Sénat le demandent conjointement.
"Le problème c’est la concordance des temps", continue le professeur Rousseau."Le temps législatif, gouvernemental et de la société ne concordent pas. Les parlementaires veulent du temps pour améliorer le texte, le gouvernement montrer qu'il agit". Véritable enjeu politique dans le cas de la réforme des retraites, pour le moment seul le Sénat, majoritairement d’opposition, a demandé fin janvier le retrait de la procédure accélérée.
Dans la procédure accélérée, après une lecture dans chaque assemblée, si un désaccord demeure, le Premier ministre peut réunir une commission mixte paritaire pour rédiger une version commune. Et si le désaccord persiste, "le dernier mot revient à l’Assemblée nationale, explique Dominique Rousseau. Et à l’Assemblée, le gouvernement quel qu’il soit est sûr d’avoir la majorité".
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