"On a l'impression qu'on n'existe plus" : des personnes vulnérables inquiètes après la publication d'un décret les excluant des dispositifs de chômage partiel
Un décret publié le 30 août au Journal officiel réduit la liste des personnes à risques qui peuvent bénéficier de l'activité partielle et exclut aussi les proches qui s'occupent d'eux.
"J'étais en mesure d'isolement depuis mars. Du jour au lendemain, je ne fais plus partie des personnes fragiles et on m'envoie au travail." Louise* est atteinte d'hypertension depuis 2010. Une pathologie qui la classait dans la liste des "personnes vulnérables", susceptibles de développer des formes graves du Covid-19. "Pourquoi serais-je moins susceptible d'attraper ce virus et d'en faire une forme sévère aujourd'hui ?" Ces personnes pouvaient ainsi bénéficier d'un certificat d'isolement, tout comme les personnes partageant leur domicile, pour continuer à télétravailler ou se mettre en chômage partiel.
Or, un décret publié dimanche 30 août au Journal officiel et entré en vigueur le lendemain entérine "la fin des placements en activité partielle (...) des salariés partageant le domicile d'une personne vulnérable". Ce décret réduit aussi la liste des personnes à risques. Au total, sept critères des onze critères de vulnérabilité initiaux ont été retirés du décret du 5 mai 2020. Seuls Mayotte et la Guyane, toujours en état d'urgence sanitaire, ne sont pas concernés.
"Je ne comprends pas"
Les personnes souffrant par exemple de pathologies chroniques respiratoires ou ayant des antécédents cardiovasculaires ne sont plus considérées comme "les plus vulnérables" face au Covid-19. Elles doivent reprendre le travail, en présentiel si leur activité les y oblige. "Je ne comprends pas, on nous a dit que le Covid touche les poumons, mais le gouvernement enlève les malades pulmonaires de la liste des personnes à risque", s'agace Ana auprès de franceinfo. Cette animatrice en maison de retraite est atteinte de la BPCO, une maladie inflammatoire des bronches qui obstrue les poumons.
Psychologiquement, j'ai besoin d'aller travailler, mais j'ai peur pour moi et pour les personnes âgées dont je m'occupe.
Ana, animatrice en maison de retraiteà franceinfo
Même indignation chez ceux vivant avec des personnes à risques. "Pour protéger notre fille, on est restés confinés depuis mars, raconte Claire*. Même pas de vacances et toutes les courses ont été faites en drive." Sa petite fille de 2 ans est atteinte d'une cardiopathie et de la mucoviscidose. Si Claire s'est mise en congé parental pour s'occuper d'elle, son mari, lui, devra retourner au travail. Il est vendeur et a peur de contaminer son enfant. "On a l'impression qu'on n'existe plus", confie Claire. Une pétition a été lancée le 29 août et demande le report de "la date de fin de validité des certificats d'isolement au moins jusqu'à la fin de l'année en fonction de l'évolution de la pandémie".
Camille*, dont le mari a fait un infarctus il y a deux ans, s'interroge. "Est-ce juste un moyen de faire reprendre l'économie coûte que coûte au détriment des futurs malades ?" Ces mesures de protection de l'emploi ont coûté 22,6 milliards d'euros fin juin, selon Le Monde (article abonnés). En juillet, le service de statistiques du ministère du Travail faisait état de 2,4 millions de salariés du secteur privé encore au chômage partiel, contre 4,5 millions en juin.
Des restrictions liées à des "connaissances plus fines" du Covid-19
"Les premiers décrets qui ont ouvert les arrêts de travail ont été pris très tôt, sachant qu'on avait une connaissance très faible du virus", répond à franceinfo le ministère de la Santé. Si "le nouveau décret est plus restrictif, explique la médecin Faïza Bossy, "c'est que le gouvernement a pris du recul par rapport à la pathologie en elle-même". Elle approfondit : "Si les pathologies respiratoires ont été enlevées de la liste, c'est parce qu'au début qu'on pensait que le virus touchait les bronches et provoquait une infection pulmonaire. Alors qu'en fait, il atteint plutôt les vaisseaux des poumons et provoque un décès par embolie pulmonaire. Ceux qui ont des troubles vasculaires à la base y sont donc plus sensibles." Le ministère de la Santé assure que le décret du 30 août s'appuie sur un avis du Haut conseil de la santé publique publié le 30 juin et qu'il a été décidé "en concertation avec des associations de patients".
Faïza Bossy note aussi que le nouveau décret insiste sur le fait que les pathologies visées sont "évolutives ou instables", qui risquent de provoquer une forme sévère du Covid-19 que les maladies stabilisées. "Puisque maintenant, les connaissances du virus sont plus fines, indique-t-elle, on peut rassurer les gens qui ont des pathologies stables pour leur permettre d'aller travailler".
"Nous avons laissé la possibilité pour les gens qui ne sont plus dans la liste d'avoir, sur avis médical de leur médecin traitant, un certificat portant la mention vulnérable", ajoute d'ailleurs le ministère. "Si l'état de santé d'un patient fait dire au médecin qu'il y a un risque, alors il pourra avoir un accès à l'activité partielle." Pour le reste, c'est à l'employeur de "protéger" les travailleurs fragiles qui n'auraient pas accès au chômage partiel et de "renforcer les mesures de sécurité", ajoute le ministère, renvoyant la balle au ministère du Travail. Il rappelle que le télétravail est toujours encouragé pour ceux dont l'activité leur permet.
Pas de mesure pour ceux vivant avec des personnes vulnérables
En revanche, le ministère de la Santé confirme que plus aucune mesure ne concerne les personnes cohabitant avec quelqu'un de vulnérable. Elles vont devoir retourner travailler. "Il faut avoir un échange avec le patron sur la relation salarié/employeur", pour prévoir un renforcement de la sécurité, indique ;le ministère. "Nous allons regarder attentivement la situation et les cas qui vont remonter" pour peut-être réadapter les mesures.
Sans autre mesure d'isolement pour les personnes vivant avec celles vulnérables, "j'ai peur de devoir me résoudre à démissionner de mon poste [de directrice périscolaire] pour protéger mon mari" souffrant d'un double cancer dont une leucémie, se désole Diane*. Son autorisation spéciale d'absence a expiré le 31 août. Elle a pris rendez-vous avec son médecin le 2 septembre afin d'essayer d'obtenir un arrêt de travail lié à une blessure à la cheville. Elle ignore si ce stratagème va marcher. "Accepter la maladie de son conjoint est déjà difficile, mais être la cause de sa mort est encore plus invivable", soupire-t-elle.
* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.
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