: Vrai ou faux Chômage : est-ce que "ça va bien", comme l'affirme Olivier Dussopt pour justifier des règles d'indemnisation plus dures ?
Le ministre du Travail estime qu'il faut restreindre les conditions d'attribution de l'assurance-chômage pour remédier à la pénurie de main-d'œuvre. Mais l'embellie sur le marché de l'emploi ne devrait pas forcément durer, préviennent les économistes interrogés par franceinfo.
Le marché du travail se porte "bien", selon Olivier Dussopt. "Le nombre de demandeurs d'emploi continue de diminuer", s'est félicité le ministre du Travail, mercredi 27 juillet, sur Twitter, après la publication des derniers chiffres du chômage. D'après la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), à la fin du deuxième trimestre 2022, le nombre d'inscrits à Pôle emploi de catégorie A,B et C a baissé de 8,9% sur un an.
"Nos règles d'indemnisation doivent tenir compte de la situation du marché de l'emploi", estime le ministre dans un entretien au Parisien. D'où la volonté du gouvernement de réformer l'assurance-chômage, qui est perçue en période de croissance comme un frein à l'embauche. Autrement dit, d'après Olivier Dussopt, les demandeurs d'emploi seraient plus enclins à toucher le chômage qu'à reprendre un travail, alors même que les "chefs d'entreprises n'arrivent pas à recruter".
"Quand ça va bien, on durcit les règles. Et quand ça va mal, on les assouplit."
Olivier Dussopt, ministre du Travaildans "Le Parisien"
Mais les chiffres de l'emploi sont-ils si bons que cela ? Et justifient-ils une réforme de l'assurance-chômage ?
Le chômage au plus bas depuis 2008
"La situation actuelle de l'emploi n'est pas bonne, elle est exceptionnelle", acquiesce Bertrand Martinot, économiste libéral chargé du marché du travail à l'Institut Montaigne. "On a eu un rebond extraordinaire de l'emploi en 2021 qui résulte en partie, évidemment, d'un effet de rattrapage de 2020, mais pas seulement, souligne-t-il. Le climat des affaires a été globalement très bon, une partie des créations d'emploi s'explique aussi par l'explosion de l'apprentissage qui a transformé des stagiaires d'université ou d'école en salariés." Selon l'Insee, depuis 2021 jusqu'au premier trimestre 2022, pas moins de 743 800 emplois ont été créés dans le secteur privé.
Henri Sterdyniak, économiste classé à gauche, membre du collectif Les Economistes atterrés, opine : "Le taux de chômage est bas, le meilleur depuis 2008." Il s'élevait au premier trimestre 2022 à 7,1%, selon l'Insee. "Mais il ne faut pas oublier le reste", nuance l'économiste. "Au 2,95 millions inscrits à Pôle emploi en catégorie A, il faut ajouter 2,2 millions de personnes dans les catégories B et C." Et Henri Sterdyniak de sortir la calculette :
"Cela fait 5,15 millions de personnes [précaires]. On ne peut pas dire non plus que la situation soit si fabuleuse."
Henri Sterdyniak, économisteà franceinfo
Si les inscrits en catégorie B et C ne sont pas comptabilisés dans le taux du chômage publié par l'Insee, car ils ont exercé une activité à temps partiel, ils n'en sont pas moins en recherche d'emploi.
Vers une croissance "médiocre" ?
Autre nuage à l'horizon : la baisse du chômage semble marquer le pas. Au 2e trimestre 2022, selon la Dares, le nombre de demandeurs d'emploi n'a diminué que de 0,6% alors qu'au trimestre précédent, la baisse était de 5,3%, soit 9 fois plus. "On peut dire qu'on a mangé notre pain blanc", déplore Henri Sterdyniak. "Jusqu'à présent tout s'est bien passé mais maintenant on est dans une situation où les entreprises sont dans une grande incertitude." Et d'ajouter : "Les prévisions économiques sont même d'une croissance extrêmement médiocre, de l'ordre 1% pour la fin de cette année."
"L'économie ralentit, beaucoup de signaux sont à l'orange voire au rouge cramoisi : le pouvoir d'achat se dégrade à cause de l'inflation, la hausse des prix de l'énergie va comprimer les marges des entreprises."
Bertrand Martinot, économisteà franceinfo
"Le marché du travail va aller beaucoup moins bien dans les mois qui viennent", prévient-il encore.
Le Canada érigé en modèle
C'est donc dans ce contexte qu'Olivier Dussopt entend réformer l'assurance-chômage. Le chantier doit s'ouvrir à la rentrée en concertation avec les partenaires sociaux. Et le ministre veut s'inspirer de l'étranger pour mener sa réforme, au Canada plus exactement, où les indemnisations sont déjà modulées en fonction de la conjoncture économique.
Le Canada fait ainsi figure de modèle pour le gouvernement. En juillet 2022, le taux de chômage canadien a atteint un taux record de 4,9%, mais c'est surtout le faible taux de chômeurs longue durée qui frappe. Selon une étude de l'Unédic datant d'avril 2021, en 2019, parmi les demandeurs d'emploi canadiens, 8,5% étaient des chômeurs de longue durée, contre 38,8% en France.
La logique canadienne en matière d'indemnisation pour atteindre ces résultats repose sur une différenciation régionale. Selon le taux de chômage régional, il faut travailler plus ou moins d'heures pour avoir le droit aux allocations : dans une région à moins de 6% de chômage, il faut travailler plus de 700 heures sur les 52 dernières semaines, alors que dans une région avec plus de 13,1% de taux de chômage, il suffit d'avoir travaillé 420 heures sur la même période. Suivant la même logique, le nombre de semaines indemnisées varie de 14 à 45 semaines. Toutes ces modalités de calculs sont destinées à mieux indemniser les demandeurs d'emploi des régions où il est difficile de trouver un travail, et au contraire de "durcir les règles" dans les régions où le marché de l'emploi est meilleur.
Ce fonctionnement fait néanmoins l'objet d'un certain nombre de critiques au Canada. Un rapport publié en mai 2022 par l'Institut de recherche en politiques publiques, un organe québécois, "conclut à l'inefficacité croissante d'un régime trop complexe et miné par d'évidentes faiblesses". Sont pointées du doigt des règles d'admissibilité excessivement restrictives qui ont abouti à l'exclusion d'un grand nombre de chômeurs de l'indemnisation. Le pourcentage de Canadiens sans emploi bénéficiaire de l'assurance-chômage est ainsi passé d'environ 88% en 1990 à moins de 40% en 2019. Sans préciser les mesures auxquelles il fait référence, Olivier Dussopt se veut rassurant et "tout ce qui est fait au Canada n'est pas forcément duplicable en France", assure-t-il sur Public Sénat.
Une réforme à contretemps ?
Reste que cette réforme risque de se confronter à d'autres problèmes en France. "Il peut être pertinent de modifier les curseurs de l'assurance-chômage quand la conjoncture évolue mais il ne faut pas que ce soit à contretemps", prévient Bertrand Martinot.
"Imaginez qu'on durcisse les conditions d'indemnisation pour le 1er janvier 2023 et qu'on s'aperçoive que nous sommes en récession fin décembre 2022 et que le chômage explose..."
Bertrand Martinot, économisteà franceinfo
Pour Henri Sterdyniak, le modèle canadien ne correspond pas à la situation du marché du travail dans l'Hexagone : "S'il existe des emplois vacants en France, c'est parce qu'ils offrent de mauvaises conditions de travail ou nécessitent des compétences particulières pour lesquelles il faut former les personnes."
Pire encore, un durcissement supplémentaire des conditions d'accès à l'assurance-chômage serait néfaste pour le travail saisonnier. "La précédente réforme qui a fait passer la durée d'éligibilité à l'indemnisation de 4 à 6 mois de travail a un peu tué le petit boulot : si on vous propose un boulot d'un mois mais que vous vous apercevez que ce boulot d'un mois réduit de façon importante vos droits pour les 6 mois à venir, vous allez le refuser", remarque l'économiste.
Enfin, il faut souligner qu'à la fin de l'année 2021, plus de 30% des demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi – soit 1,7 million de personnes – n'étaient pas indemnisés. Tout durcissement des règles d'attributions de l'allocation chômage n'incitera pas ces personnes à retrouver un travail. Et si la situation se dégrade d'ici quelques mois, la nécessité d'une réforme de l'assurance-chômage à la canadienne sera alors plus difficile à justifier.
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