Le redressement est-il vraiment productif ?
A travers une série d'articles, francetv info se penche sur l'action du ministère du Redressement productif. L'arsenal déployé est-il efficace ? Rencontre avec des chefs d'entreprise et des fonctionnaires de Bercy.
"Je vais vous aider." C'est ce que Jean-Marc Sayer avait besoin d'entendre lorsqu'il s'est tourné vers le commissaire au redressement productif (CRP) d'Alsace. Ce cadre de PIM Industrie, fabricant de claviers souples à Marckolsheim (Bas-Rhin), cherchait alors à reprendre le site, placé en redressement judiciaire en février 2013. "C'est grâce à lui que j'ai pu monter le projet et le présenter aux acteurs locaux qui m'ont aidé, comme le conseil régional ou la banque régionale de développement." Aujourd'hui, le pari est presque réussi : l'activité a repris.
Le redressement productif est un "sport de combat" pratiqué par Arnaud Montebourg et ses équipes depuis deux ans, et ce commissaire est l'un des visages du dispositif. Depuis juillet 2012, ils sont 22, un par région, avec pour mission d'endiguer la désindustrialisation qui pénalise la France. Le principe a été défini par l'actuel ministre de l'Economie au début du quinquennat : "Garder ce qu'on a, rapatrier ce qui est parti et créer ce qu'on n'a pas."
Près de 171 000 emplois sauvés, selon Montebourg
Quelques mois après la reprise de l'activité, et malgré la perte de 28 salariés sur 60, Jean-Marc Sayer adresse "un coup de chapeau" au commissaire, qui l'a aidé à convaincre les banques de sauver le site. "Il a toujours essayé de trouver des solutions. Même si nous étions parfois hors des clous, en usant de bon sens, nous y sommes parvenus."
A plusieurs centaines de kilomètres de là, les mêmes commentaires élogieux sont entendus à Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) : c'est tout le village qui remercie aujourd'hui le CRP de Languedoc-Roussillon. La plus grosse entreprise de cette commune de moins de 4 000 habitants, Jallatte, qui fabrique des chaussures de sécurité, a bien failli disparaître l'an dernier. Grâce à l'intervention de Pascal Théveniaud et de Bercy, qui a aidé à trouver un repreneur, une centaine d'emplois ont été préservés, et l'activité a repris. Deux sauvetages qui font partie des 1 340 dossiers d'entreprises traités et des 170 752 emplois préservés que revendique Arnaud Montebourg.
Un commissaire "coincé dans le magma administratif"
Les résultats ne sont pourtant pas toujours aussi concluants. Plus que le rôle du commissaire de sa région, le nouveau patron de l'usine textile Emanuel Lang de Hirsingue (Haut-Rhin), Pierre Schmitt, se souvient de l'année cauchemardesque qu'il a vécue pour préserver l'un des derniers ateliers de tissage français. "C'est plutôt notre persévérance qui a payé", souffle-t-il.
Dans son usine, les machines tissent de nouveau, mais les étiquettes numérotées rappellent qu'elles ont bien failli finir au Pakistan ou en Inde. Arnaud Montebourg s'était lui-même déplacé pour apporter son soutien au repreneur et aux salariés, qui étaient parvenus début octobre à empêcher in extremis la vente des machines par le liquidateur judiciaire.
"Le commissaire est intervenu, mais on l'a senti coincé dans le magma administratif", déplore le chef d'entreprise, qui respecte toutefois le courage politique du ministre à destination des entrepreneurs. Selon lui, l'effort reste insuffisant. "Nous avons réussi à sauver l'entreprise, mais à quel prix ! Alors que nous avions un projet destiné à préserver une partie de la filière textile en Alsace ainsi que des emplois, nous n'avons trouvé que des obstacles et perdu un an d'activité, détaille Pierre Schmitt. Résultat : la reprise est encore plus dure. Déjà que nous sommes laminés par la concurrence, il faut plutôt nous aider à faire notre boulot."
De "l'huile dans les rouages", mais sans moyens
L'un des reproches concerne le profil des commissaires. Pour la plupart, ce sont des fonctionnaires, le plus souvent issus des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). "Ils devraient avoir plus de profils public-privé, estime Vincent Charpin, patron du Medef en Loire-Atlantique interrogé par France Inter. Je ne vois pas comment on peut arbitrer les questions d'entreprises et d'emploi sans les connaître de l'intérieur." Pierre Schmitt est également de cet avis et verrait bien "quelqu'un du terrain, un ancien chef d'entreprise à la retraite" pour épauler les commissaires.
Au-delà de leurs contacts et de leurs connaissances aiguisées du labyrinthe administratif, les CRP sont loin d'être les magiciens du redressement productif. Leurs pouvoirs restent limités. "Ils mettent tout le monde autour de la table pour tenter de sauver ce qui peut l'être, mais il leur manque des moyens financiers", tempère ainsi Jean-Philippe Normand, de la CGPME Basse-Normandie. "On n'est pas là pour cela, rappelle Pascal Théveniaud, commissaire au redressement productif en Languedoc-Roussillon. Nous sommes là pour mettre de l'huile dans les rouages, proposer aux entreprises des solutions et les aiguiller vers des financeurs, comme la Banque publique d'investissement."
Plutôt qu'un chéquier, des investisseurs étrangers
Pas question pour Bercy, en pleine course aux économies, de fournir un chéquier à ses CRP. Les ministres du Commerce extérieur et du Redressement productif ont donc nommé, en novembre 2013, un référent unique investissements (RUI) par région pour les épauler, avec pour mission de faciliter et accompagner les projets d'investisseurs étrangers.
En Bourgogne, Cyril Charbonnier suit actuellement 23 dossiers d'investissement de plus de trois millions d'euros chacun. "Nous facilitons leur arrivée en France en accélérant les procédures d'obtention de titres de séjour auprès du tribunal administratif", détaille-t-il. Les référents ont également à leur disposition deux outils d'accompagnement financier : la prime à l'aménagement du territoire (PAT) et l'aide à la réindustrialisation (ARI). Des aides qui ne sont pas versées à la légère : “On marque ces entreprises à la culotte pour vérifier qu'elles respectent leurs engagements, notamment en termes d'emplois", insiste Cyril Charbonnier.
Le ministre à la rescousse sur les dossiers chauds
Mais quand les enjeux sont trop importants, c'est à Bercy que tout se joue. Les exemples ne manquent pas : Alstom, Goodyear ou encore Mory Ducros. A chaque fois, Arnaud Montebourg monte au créneau et mène la contre-offensive. Mais d'autres dossiers, moins médiatiques, sont pilotés par son cabinet.
C'est notamment le cas de la société Vencorex, près de Grenoble, spécialisée dans la production de matières plastiques. Obligée de transformer sa production pour affronter la concurrence, la direction thaïlandaise a annoncé fin 2013 envisager la fermeture d'une partie de son site en Isère, menaçant 300 emplois directs, mais également plusieurs centaines parmi les sous-traitants.
Sur ce dossier, qui mêle sauvetage de l'emploi et négociations avec un groupe étranger, c'est Bercy qui prend le relais et qui pèse de tout son poids pour mettre tout le monde autour de la table. L'intervention du ministère a un impact réel, au moins dans les esprits. "Quand votre directeur général reçoit une lettre directe adressée par le cabinet du ministre et le convoquant à une réunion sur ce sujet, l'affaire est immédiatement prise très au sérieux", confie un cadre d'une entreprise concernée. Dans ce genre de cas, "on fait venir l'actionnaire, mais pas dans le but de lui taper sur les doigts, précise Pascal Théveniaud. On se présente pour aider, et sauver ce qui peut l'être."
"Ce qui choque, c'est l'absence de doctrine économique "
Cyril Charbonnier en est parfaitement conscient : "Le secteur industriel français est sinistré." Alors sauver quelques entreprises, au coup par coup, est-ce une bonne stratégie ? Pour ce référent unique investissements qui a aussi été CRP durant quelques mois, il ne faut pas abandonner pour autant les bassins d'emploi en difficulté. "On incite les entreprises à les réinvestir et à aider au développement de nouvelles compétences."
Pour l'économiste Augustin Landier, ces efforts au cas par cas sont plutôt des "coups médiatiques destinés à afficher un volontarisme politique". Ce chercheur à l'Institut d'économie industrielle de l'université de Toulouse peine à évaluer ce redressement productif et reste dubitatif sur l'efficacité du dispositif. "Chaque jour, au niveau macro-économique, des milliers d'emplois sont détruits, mais ils ne passent pas dans le radar médiatique. Ce qui est choquant, c'est l'absence de doctrine économique. On ne sait pas quel est le projet sur le long terme, il n'y a pas de logique."
Pourtant, officiellement, de grandes orientations ont été tracées avec les 34 plans de reconquête industrielle présentés par François Hollande et Arnaud Montebourg en septembre. Des nanotechnologies au TGV du futur, en passant par les tissus intelligents et les objets connectés, les filières industrielles françaises les plus prometteuses des dix années à venir doivent êtres mises en avant pour devenir des relais de croissance dans la compétition mondiale. Et permettre de "redresser" une industrie française toujours à la peine.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.