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Bassines, eaux recyclées, coup de pouce des arbres… Comment les agriculteurs luttent pour survivre à la sécheresse

Plutôt que d'irriguer leurs cultures, certains optent pour des solutions alternatives dans le but d'économiser l'eau, de plus en plus contrôlée par les pouvoirs publics. 

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Un champ de tournesols irrigué à Valensole (Alpes-de-Haute-Provence), le 18 février 2019.  (NORBERT SCANELLA / ONLY FRANCE / AFP)

Hivers trop pluvieux, étés trop secs… Le réchauffement climatique joue avec les nerfs des agriculteurs, chaque année plus nombreux à craindre pour la santé de leurs cultures et de leurs bêtes. Mercredi 29 juillet, alors que 53 départements français étaient placés en alerte sécheresse, dont 13 en vigilance rouge, le syndicat des Jeunes agriculteurs a appelé sur franceinfo à "faire jouer la solidarité entre paysans pour pouvoir mettre à disposition un certain nombre de fourrages d'une région vers une autre pour combler les besoins". Et ce, "en attendant de pouvoir trouver des solutions pérennes".

Face à des conditions extrêmes appelées à se répéter, voire à s'amplifier, les agriculteurs expérimentent différentes méthodes et réfléchissent à l’avenir de leur profession. Franceinfo fait le tour de quelques pistes étudiées ou d’ores et déjà adoptées pour anticiper ce futur plus proche que l’on ne le souhaiterait, dans lequel l’eau est une denrée rare et précieuse.

Multiplier les forages et les "bassines"

En France, la majorité des productions agricoles se fait en agriculture pluviale : elles dépendent des précipitations pour leur approvisionnement en eau. Mais dans les régions en proie à la sécheresse, certains agriculteurs utilisent l'irrigation, acheminant l'eau de manière artificielle pour assurer le rendement de leurs terrains. Ce système concerne 15,3% des exploitations en France, selon le dernier recensement agricole de 2010, indique la revue Sciences, Eaux et Territoires. Les principales cultures irriguées sont le maïs (41% des surfaces irriguées) et les céréales (17%), majoritairement dans le Sud-Ouest, le Centre, l’Alsace et le Sud-Est, d'après les données de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea).

Les 185 hectares de maïs, d'orge et de tournesol d'Olivier Guyon, agriculteur dans le Val de Loire, sont irrigués ainsi depuis 1985. Il arrose ses cultures grâce à des rampes frontales, de grands appareils autonomes que l'on aperçoit souvent l'été dans les champs. "Sans cela, on subit. Si je n'avais pas l'irrigation, je n'aurais plus de rendement", explique l'exploitant de 58 ans à franceinfo. Pour pallier les mois sans pluie, il achemine son eau grâce à des forages "creusés dans des sources en nappe profonde".

Une rampe frontale irrigue le champs de maïs d'Olivier Guyon, à Mesves-sur-Loire (Nièvre).  (LORIS GUYON)

Ces forages, qui captent les eaux souterraines pour alimenter les cultures, sont très critiqués par les associations de défense de l'environnement. Directement creusés dans les exploitations qui nécessitent une irrigation, ils sont également utilisés pour retenir l'eau dans des réserves de substitution d'une dizaine d'hectares en moyenne, appelées "bassines". Elles permettent de stocker l’eau hivernale pour irriguer les cultures d'été des exploitations avoisinantes. Les conflits autour de ces retenues d'eau se sont multipliés ces dernières années, comme en Poitou-Charentes, où le collectif Bassines non merci, composé d'une trentaine d'associations, milite contre l'implantation de seize réserves de substitution accusées de pomper dans les réserves naturelles au moment où les nappes phréatiques se reconstituent.

"Seuls 10% des agriculteurs auront accès à l'eau dans le cadre de ce projet de stockage qui coûte pourtant 40 millions d'euros d'argent public. Et tout ça met en péril le bon état des milieux aquatiques, notamment du Marais poitevin", s'insurge l'agriculteur et député européen (EELV) Benoît Biteau.

Economiser la moindre goutte

Depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics ont commencé à freiner l'irrigation à tout crin, après l'avoir encouragée pendant 30 ans,"en donnant des subventions pour du matériel et via une politique agricole commune favorable", raconte Sébastien Loubier, ingénieur à l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

L'Etat a délivré des autorisations de prélèvement au-delà de ce que le milieu peut supporter aujourd'hui.

Sébastien Loubier, ingénieur à l'Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

à franceinfo

Mais en 2000, la directive-cadre sur l'eau a instauré l'obligation de protéger les espèces et les milieux naturels. Pour appliquer cette décision européenne, l'Etat a voté en 2006 une nouvelle loi visant à mieux évaluer les volumes. Des prélèvements d'eau ont ainsi été restreints "jusqu'à 50 voire 90% dans certains cas", précise Sébastien Loubier. Il a donc fallu trouver des solutions alternatives.

La plus prometteuse est la technique dite du "goutte-à-goutte", une méthode d'irrigation plus économe puisqu'elle apporte ni plus ni moins que la quantité d'eau nécessaire aux plantations. Dominique Granier, vigneron dans le Gard, a adopté cette méthode il y a une quinzaine d'années, car "le climat naturel ne suffisait plus" pour arroser ses 45 hectares. "J'arrose à fleur de vigne, quelques heures par jour, ça suffit amplement", explique-t-il à franceinfo.

Un pommier arrosé en goutte-à-goutte en France, le 18 décembre 2006.  (CLAUDIUS THIRIET / BIOSPHOTO / AFP)

Cette technique fonctionne très bien pour les vignes, les vergers et sur les plantations à forte valeur ajoutée comme le maraîchage. Mais elle est très compliquée à mettre en place pour l'agriculture céréalière, car "très coûteuse en main-d'œuvre et en capital", affirme Sébastien Loubier.

Adapter les cultures au climat 

Pour résoudre les problèmes que pose l’irrigation, ne suffit-il pas d’opter pour des cultures moins gourmandes en eau ? En moyenne, la France reçoit 750 millimètres de pluie chaque année. "On peut faire de l'agriculture jusqu'à 200 mm environ par an", souligne Ghislain de Marsily, professeur émérite d'hydrogéologie à l'université Pierre et Marie Curie et membre de l’Académie des sciences. "Certes, nous avons encore de la marge, mais nous devons adapter nos types de cultures et la façon de cultiver à la quantité de pluie qui nous arrive", à l’instar des agriculteurs des régions sèches du Sahel ou du Maghreb. Dans son viseur : le maïs.

Il existe des variétés de blé qui supportent mieux la sécheresse, mais on peut revenir à des choses comme le seigle et le sorgho, plus adaptées à un terrain sec.

Ghislain de Marsily, professeur émérite d'hydrogéologie à l'université Pierre et Marie Curie

à franceinfo

En 2019, l'Inra (devenue Inrae en 2020 après sa fusion avec l'Irstea) planchait déjà sur une agriculture adaptée à ces nouvelles conditions, sélectionnant et étudiant les plantes qui couvriront peut-être un jour les exploitations françaises. Pour Ghislain de Marsily, "puisqu’il s’agit de cultures essentiellement destinées à nourrir les animaux, on peut adapter ce qu'on va leur donner".

Un champ de sorgho à Saint-Puy (Gers), le 10 août 2007.  (MAISANT LUDOVIC / HEMIS.FR / AFP)

Pour le député Benoît Biteau, le maïs n’est pas pour autant à proscrire, à condition d’utiliser des variétés adaptées à leur environnement, soit le maïs population, en opposition au maïs standardisé, planté aux quatre coins de la planète. "Ce qui est en jeu, c'est la part de l'alimentation animale et des animaux dans la nourriture globale. On ne peut pas dire que l'évolution soit simple, mais il faut absolument l'engager", déclare Jean-Claude Bévillard, du réseau France nature environnement. "Tout ce maïs irrigué, c'est parce qu'on mange de la viande et qu'on boit du lait, poursuit Sébastien Loubier. Si on réduisait notre consommation de 20%, on réduirait d'autant la surface irriguée."

Pour Guillaume Choisy, directeur général de l’Agence de l’eau Adour-Garonne, "tout le modèle économique doit être revu, de sorte à repenser la gestion de la ressource. Aujourd’hui, les agriculteurs ont besoin de cette eau s’ils veulent espérer faire de la valeur ajoutée". Ainsi, c’est même "vallée par vallée, bassin par bassin" qu’il faut adapter les pratiques, mais aussi revoir le contexte économique dans lequel elles s’inscrivent.

Ranimer la nature et les sols

Et si le problème ne venait pas du ciel, mais de la terre ? "La sécheresse est un problème climatique, bien sûr, mais elle est aussi agronomique", défend Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie. "A contexte hydrique identique, en fonction de la pratique agricole, des fermes vont couler, tandis que d'autres vont tenir le coup et se relever après un épisode de sécheresse." Leur stratégie ? Une armée de soldats des champs, rodés aux extrêmes climatiques depuis la nuit des temps : les arbres.

Un arbre, c'est le meilleur modèle de développement durable qui soit.

Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie

à franceinfo

S’ils n’ont besoin de rien, "dans les cultures, ils créent un microclimat, un habitat pour la biodiversité, ils vont stocker du carbone, réguler le cycle de l'eau, etc.". Dans une exploitation ou dans une prairie, ils feront de l’ombre en été et limiteront l’évaporation, tandis qu’en hiver, ils protégeront les sols de ces nouveaux aléas. "A la fois parasol et parapluie", résume l’agronome, qui met en avant l’efficacité de ces principes pour répondre à la détresse des éleveurs en manque de fourrage.

L’agroforesterie fait partie d’un ensemble de techniques consistant à redonner à la nature l’opportunité de se défendre elle-même. Au lieu de labourer le sol, "on le laisse travailler" et créer de la matière organique appelée humus. "Il joue un rôle déterminant dans la capacité de rétention d'eau", poursuit Fabien Balaguer. "Consommés et consumés" par des décennies de pratiques éreintantes, les sols "ne sont plus des éponges, mais des passoires" où l’eau s’écoule sans même s’infiltrer.

Des veaux à Plougonven (Finistère), le 13 mai 2020. (QUEMENER YVES-MARIE / MAXPPP)


Quand il s’est installé à 30 ans, Anthony Frison, agriculteur dans le Loiret et agronome, a mis en place une agriculture de conservation des sols. "Je ne peux pas augmenter leur épaisseur, alors j'augmente leur porosité, soit la capacité à capter l'eau quand elle tombe", simplifie-t-il.

Pour ce faire, il faut que le sol soit vivant (insectes et autres vers de terre), toujours protégé en surface par une culture, une plante, ou une grande quantité de résidus de culture morte. A l’opposé du cliché du vaste champ de céréales "au sol nu cinq mois dans l’année" à cause de la monoculture, le céréalier (mais pas que) compte une cinquantaine de cultures sur les 250 hectares de son exploitation. "J’ai des légumineuses, du trèfle, de la luzerne, des radis, des citrouilles entre mes arbres, du maïs", énumère ce défenseur de la plante si décriée. "Chez moi, elle fait 3 mètres de haut et s’occupe de pomper le carbone de l'air pour le réinjecter sous forme de sucre dans les sols et faire de la matière organique." Grâce à la rotation des cultures, le sol est nourri, mais jamais écoeuré.

Recycler les eaux usées 

A la sortie des stations d’épuration, les eaux usées qui proviennent notamment de notre usage domestique sont traditionnellement rejetées dans la nature. Une opportunité manquée pour l’agriculture ? En 2019, le Conseil des ministres européens de l’environnement a adopté un projet de règlement facilitant l'utilisation d'eaux urbaines résiduaires à des fins d'irrigation agricole. Cependant, même si des projets se développent (des vignes dans les Corbières, des pommes de terre sur l’île de Ré, etc.), la France a du retard en la matière. Selon la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), seul 0,6% des prélèvements par l’agriculture provient des eaux usées traitées, contre 8% en Italie et jusqu’à 80% en Israël. 

Rémi Declercq, directeur de projet à Ecofilae, une société de conseil spécialisée dans l’économie circulaire de l’eau (REUT ou "ReUse"), lie ce retard à un "problème de perception". Or, la technique est prometteuse, bien que très complexe à mettre en œuvre. "Si on veut atteindre une qualité d’eau suffisante pour l'irrigation, il faut ajouter une unité de traitement complémentaire aux stations d’irrigation. Il faut aussi développer des infrastructures de stockage et des réseaux de distribution, des canalisations enterrées, pour acheminer l’eau", détaille-t-il. 

Une station de traitement des eaux usées, à Wattrelos, dans le Nord, le 9 juillet 2019.  (THIERRY THOREL / MAXPPP)

Les infrastructures sont lourdes et coûteuses, mais le potentiel certain pour les territoires qui font aujourd’hui ce pari. Autrefois réservé aux grandes villes et à leurs grandes stations d’épuration, le dispositif doit s’adapter à des petites structures s’il veut se développer dans les zones rurales où l’on a le plus besoin de cette eau. Dans l’Hérault, le village de Saint-Jean-de-Cornies teste ainsi un dispositif devant permettre d'arroser du fourrage, des plantes pour de l'élevage et des jardins partagés, explique Rémi Declercq. "Mais en aucun cas il ne s’agit d’une solution miracle. C’est plutôt un levier parmi d’autres." Aussi, pouvoir recycler l’eau ne doit pas pousser à toujours plus de consommation, conclut-il. 

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