Coopératives, AOP et qualité : comment les producteurs de comté font-ils face à la crise du lait ?
Depuis trente ans, les producteurs de comté ont mis en place un système de production coopératif qui permet d'assurer une meilleure qualité du fromage, une meilleure répartition des revenus et une négociation sereine avec la grande distribution.
Au milieu du marasme qui s'empare de l'agriculture française, rares sont les exploitants qui ont encore le sourire. C'est pourtant le cas des 2 700 producteurs de lait utilisé dans la fabrication du comté. Leurs revenus sont régulièrement en hausse, notamment grâce à un système coopératif qui leur permet de limiter la production.
Claude Vermot-Desroches, le président du Comité interprofessionnel de gestion du comté (CIGC), explique comment ces producteurs s'assurent un avenir en misant sur la solidarité des producteurs et sur la qualité des produits.
Francetv info : Quels sont les signes du succès de la filière de production du comté ?
Claude Vermot-Desroches : Contrairement à ce qui se passe dans de nombreux secteurs agricoles, nos prix sont en augmentation régulière depuis plusieurs années. En 2014, notre prix de vente moyen du lait était de 475 euros les 1000 litres (contre 368 pour le reste de la filière lait). Le secteur du comté est aussi celui où l'on voit le plus d'installations de jeunes agriculteurs, avec deux jeunes qui démarrent pour trois départs en retraite. Mais, au final, nos producteurs de lait ne sont pas plus riches ici qu'ailleurs, leurs installations sont plus petites, mais ils ont confiance dans l'avenir de leur filière, et ils n'hésitent pas à investir, assurant un peu plus leurs revenus à venir.
En quoi votre mode de production est-il différent ?
Ce n'est pas une production industrielle, mais une production qui est restée artisanale. Chaque producteur est rattaché à un atelier de production, une de nos 160 fruitières, à qui il fournit son lait où il est transformé en comté. Les trois quarts de ces ateliers sont des coopératives. Ici, donc, contrairement à ce qui se passe dans des filières comme la viande, les producteurs se sont organisés pour assurer eux-mêmes la première transformation.
Les affineurs, chez qui les fromages patientent en cave pendant un minimum de quatre mois, sont en majorité des entreprises régionales qui croient dans le produit et investissent beaucoup, y compris celles qui appartiennent à de grands groupes laitiers comme Lactalis. Et chacun des acteurs cotise auprès de la CIGC, qui est autonome financièrement.
Qu'est-ce qui explique la réussite du comté ?
Le secret, c'est la qualité du produit. C'est le fruit du travail qui a été effectué depuis près de trente ans en matière de recherche, qui nous a permis d'améliorer la qualité et le process de fabrication, tout en restant artisanal. Par exemple, une fruitière a l'obligation d'utiliser du cuivre, alors que les normes européennes imposent l'inox. Autrefois, on avait une dérogation de l'Europe. Mais on a fait des recherches pour prouver que travailler avec du cuivre est bénéfique pour le consommateur. Du coup, c'est devenu une norme permise par Bruxelles.
Votre cahier des charges, très strict, n'est-il pas un obstacle coûteux ?
Ce cahier des charges [qu'il faut respecter pour obtenir l'appellation d'origine protégée] nécessite plus de précautions, plus d'attention, mais il permet d'obtenir un produit de qualité qui garantit le succès de la filière. En matière d'agriculture, on a imposé des limitations de production de lait à l'hectare, d'utilisation d'engrais à l'hectare ou encore l'interdiction de nourrir les vaches avec des OGM. Mais ça, on ne l'a pas fait par conviction, on l'a fait parce que le consommateur le demandait. Je trouve que, dans d'autres productions, on se dit trop : "Le consommateur mangera ce qu'on lui propose." C'est faux, écouter le consommateur porte ses fruits.
Votre grande différence avec les autres secteurs, c'est surtout que vos producteurs s'entendent pour limiter la quantité de fromages produits...
Effectivement, nous sommes une des deux AOP françaises qui ont un plan de limite de l'offre. On limite les volumes mis en place sur le marché, alors que le principe de la libre concurrence interdit ces pratiques, au nom de la protection du consommateur. Mais nous prétendons que, aujourd'hui, c'est le contraire, il n'est pas protégé. Il ne faut pas créer la rareté, mais, en maîtrisant l'offre, nous augmentons la qualité et nous permettons à notre filière de vivre. Ce qui tue les marchés, ce sont les raz-de-marée de production, qui font s'écrouler les ventes, chuter les prix, et baisser la qualité.
C'est surtout un gros avantage pour négocier avec la grande distribution, non ?
La marge que s'octroie la grande distribution, elle est la même que dans d'autres secteurs, entre 30 et 40%. Mais elle sait qu'elle ne peut mépriser les acteurs de la production de comté. Elle voudrait bien obtenir de plus grands volumes, pour faire jouer la concurrence sur les prix entre les producteurs, mais elle fait face à notre solidarité. Et, surtout, elle doit s'aligner sur ce que veut le consommateur. On peut lui proposer une imitation un peu moins chère, le consommateur voudra quand même du comté, parce qu'il connaît la qualité de notre produit.
Ces principes de production axés sur la qualité sont-ils transposables dans d'autres secteurs agricoles ?
Tout n'est pas transposable, comme notre cahier des charges, bien sûr. Mais ce qui manque ailleurs, ce sont de vraies organisations interprofessionnelles, personne n'arrive à s'entendre au sein d'une filière. Nous, nous nous entendons sur la production. Et la valeur ajoutée du produit est ainsi répartie entre tous les acteurs, et pas entièrement dans la poche d'un seul opérateur. Bien sûr, il y a parfois des débats houleux, mais on prend le temps d'arriver à une décision unanime. Cet esprit de solidarité peut être difficile à mettre en place. C'est le cas en Franche-Comté avec l'IGP (indication géographique protégée) de la saucisse de Morteau, où les marges sont faibles et où les salaisonniers ne sont pas faciles à convaincre.
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