Onze questions pas si bêtes sur le loup
Le seuil symbolique de 500 loups a été atteint en France. Pour éviter une recrudescence d'attaques de cheptels, le nombre d'abattages autorisés a été revu à la hausse. Une méthode qui divise.
Figure familière des contes, dévoreur de brebis qui cristallise les passions... Le loup, absent du territoire jusqu'en 1992, est aujourd'hui présent dans une trentaine de départements. La population de "canis lupus" vient d'être estimée à 530 adultes dans l'Hexagone, a annoncé, vendredi 7 juin, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Or, ce seuil de viabilité de l'espèce, fixé par le plan loup du gouvernement, devait théoriquement être atteint en 2023. Pour faire face à cette augmentation, des tirs dits de "prélèvement" – autrement dit des abattages – sont autorisés, au grand dam des écologistes. Où vivent les loups aujourd'hui ? Risquent-ils d'attaquer les hommes ? Faut-il vraiment les tuer ? Entre mythe et réalité, franceinfo apporte les réponses à toutes les questions que vous vous posez sur le loup.
1Pourquoi en parle-t-on autant ?
Si le loup est une espèce protégée, il serait aussi à l'origine de 3 674 attaques en 2018 contre plus de 12 500 animaux, principalement des ovins. Et l'année 2019 continue d'être marquée par ces attaques. Dans la nuit du 27 au 28 mai 2019, un troupeau a été attaqué à Allain (Meurthe-et-Moselle), amenant à 26 le nombre d'agneaux de cet élevage tués par un loup au mois de mai. Dans le Gard, à Beauvoisin, une éleveuse a récemment dû euthanasier une dizaine de ses bêtes. Ses moutons avaient été attaqués par des loups deux fois en deux jours.
2 Ils sont si nombreux que cela en France ?
D'après le Groupe national Loup, le cap des 500 loups sur le territoire français a été dépassé. Un chiffre qui correspondrait au seuil de viabilité de l'espèce. Mais plusieurs experts interrogés par franceinfo critiquent une barre symbolique qui "n'a rien de significatif ni de technique, (...) sans fondement juridique ni scientifique", selon les termes d'Yves Vérilhac, directeur général de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et membre de Conseil national de la protection de la nature.
La présence des loups en France est en fait relativement faible par rapport à nos voisins européens. En Italie, on compte au moins 1 000 loups. En Espagne, ce sont entre 2 000 et 2 500 loups qui arpentent le territoire. Contrairement à la France, ces pays mènent des politiques bien différentes et depuis bien plus longtemps. Le loup est une espèce strictement protégée en Italie (les abattages n'y sont donc pas permis). Le loup est également très présent en Roumanie, "avec plusieurs milliers d'individus" et il peut y être chassé.
3Comment les loups sont-ils comptabilisés ?
Les loups sont recensés grâce à un réseau de 4 000 observateurs présents dans plus de 35 départements. Ces correspondants, chapeautés par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), récoltent des données visuelles et biologiques qui, une fois analysées, permettent d'établir un traçage des loups.
On peut connaître l'individu et on peut retracer son parcours géographique. On connaît les meutes et on peut les identifier.
Nicolas Jeanresponsable de la "mission loup" à l'ONCFS
Pour l'éthologue Geneviève Carbone, cette méthode de comptage des loups est à relativiser. "On ne peut pas tous les compter, on ne leur a pas mis à tous un collier émetteur. En réalité, on va estimer le taux de reproduction et on calcule une dynamique. Mais peut-être qu'entre deux points de la courbe, il y a eu des accidents qu'on n'a pas pris en compte."
4Comment le loup est-il revenu en France ?
Contrairement à une idée reçue, le loup n'a pas été réintroduit dans l'Hexagone par l'homme mais y est revenu naturellement au début des années 1990. Présent sur près de 90% du territoire aux XVIIIe et XIXe siècles, il a été traqué et avait totalement disparu dans les années 1930. Ce sont des gardes forestiers du Parc national du Mercantour (Alpes-Maritimes) qui ont repéré l'animal en 1992. Venu d'Italie, où il n'était pas chassé, le loup a en fait traversé les Alpes.
Pourquoi ce retour ? "Si un garde-manger existe ailleurs, il va forcément y aller", sourit Jean-David Abel, spécialiste du loup pour l'association France Nature Environnement (FNE), interrogé par franceinfo. Autre élément de réponse : les loups ont une tendance naturelle à se disperser.
Quand les petits atteignent l'âge de maturité, ils quittent la meute. C'est le phénomène de la dispersion. Ils partent alors seul ou à plusieurs dans une direction qu'ils ignorent et parcourent une dizaine voire une centaine de kilomètres de manière aléatoire.
Geneviève Carboneà franceinfo
Les loups présents en Italie ont donc quitté naturellement leur territoire pour s'installer ailleurs. Il faut savoir qu'avec la ratification de la convention de Berne, la chasse du loup sans autorisation a été interdite en France en 1989, une date coïncidant presque avec le retour des loups sur le sol français.
5Où et comment vit-il ?
La présence du loup est associée aux montagnes. Mais, petit à petit, il s'est installé dans une trentaine de départements situés à "l'est d'une diagonale reliant la Somme aux Pyrénées-Orientales", d'après Murielle Guinot-Ghestem, cheffe de l'unité "prédateurs-animaux déprédateurs" à l'ONCFS, citée par La Croix. L'Office national de la chasse et de la faune sauvage propose d'ailleurs une carte de la présence du loup en France (et son évolution depuis 2002) sur son site internet.
Le phénomène de "dispersion" explique cet étalement. "Au départ, il va s'installer dans des zones où l'activité humaine est peu présente, sans que ce soit pour autant son habitat préférentiel, développe Geneviève Carbone. Cela ne l'empêche nullement de s'installer en zone urbaine."
Il n'y a rien d'étonnant à avoir des loups près des villes.
Yves Vérilhacà franceinfo
Un temps stoppé par des barrières géographiques à franchir, comme une route ou un fleuve, le loup a fini par se disperser au-delà du Rhône mais aussi par s'approcher des villages.
6Risque-t-il de s'attaquer aux hommes ?
"Aucun scientifique ne remettrait en question cette possibilité", confirme Geneviève Carbone, qui cite plusieurs exemples à travers le monde. "Pour autant, l'homme n'est pas une proie du loup loin de là et ne l'a probablement jamais été car il ya beaucoup plus simple pour le loup", explique l'éthologue. Le loup a en effet des proies de prédilection : les grands herbivores comme les cerfs ou les chevreuils, les sangliers, les lièvres, les rongeurs...
Le loup est un mammifère supérieur qui a spontanément peur de l'homme et aura davantage un comportement de fuite face au danger et au risque.
Jean-David Abelà franceinfo
Les deux spécialistes s'accordent sur la possibilité d'un accident. Le responsable de France nature environnement préfère mettre en garde : "Ce n'est pas parce que le loup a logiquement peur de l'homme et que ce dernier ne l'agresse pas, qu'un individu ne peut pas attaquer parce que vous êtes trop près de sa tanière ou de ses petits."
7Mais pourquoi en a-t-on peur alors ?
L'imaginaire français associe le loup à la dangerosité : c'est d'ailleurs la légende de la bête du Gévaudan, responsable supposée de la mort d'une centaine d'hommes entre 1764 et 1767, qui donnera lieu à la traque des loups, précipitant sa disparition du territoire. "Quand notre lien à la nature se distend, qu'elle devient inquiétante, qu'on est davantage dans une relation de maîtrise où la nature nous appartient, le loup devient l'espèce sur laquelle on projette nos craintes. Et il est traité comme tel" , analysait Geneviève Carbone sur franceinfo en 2017.
Dans l'Hexagone, la présence du loup fait débat, entre l'Europe et la France, entre les écologistes et les éleveurs, entre les ruraux et les urbains. Son retour a surtout perturbé les éleveurs, qui n'étaient plus habitués à prendre en compte cette menace. "Il y a donc un apprentissage de la coexistence qui n'est pas facile que ce soit techniquement et ou culturellement", remarque Jean-David Abel, de France nature environnement.
En plus d'être une espèce protégée en Italie, empêchant sa chasse, sa présence massive fait que les populations ont pu s'habituer à cohabiter avec le loup. "Attention, note encore Jean-David Abel, cela ne veut pas dire que tout se passe bien mais on savait qu'il fallait se protéger, qu'il était là. Personne n'a pensé qu'il fallait l'éradiquer."
8 La population de loups va-t-elle augmenter ?
En 2025, 800 loups pourraient vivre en France, selon des estimations basées sur une croissance de la population lupine de 10%. Mais c'est sans compter sur les autoroutes que les loups doivent traverser, les lignes de chemin de fer, les fleuves... Autant d'accidents qui peuvent freiner cette progression du nombre de loups. "Plus la population se développe et plus des jeunes en dispersion se font tuer par des meutes", ajoute Jean-David Abel. Par ailleurs, Nicolas Jean pointe une inconnue : la conséquence de l'augmentation des tirs de prélèvement pour les tuer.
9 C'est quoi au juste ces "tirs de prélèvement" ?
L'expression "tirs de prélèvement" désigne en fait l'autorisation de tuer des loups. Pour l'année 2019, le gouvernement a donné son feu vert pour tuer 17% de la population lupine en France – contre 10% auparavant. "Attention, cette hausse n'est pas un quota à atteindre mais bien un plafond maximal", prévient Jean-David Abel, vice-président de France nature environnement.
Le loup est une espèce protégée donc on ne le touche pas comme on le veut.
Jean-David Abelà franceinfo
En 2018, 51 loups ont été tués sur le territoire national pour un effectif évalué à 430 individus – soit 11,8% de la population.
10Mais pourquoi ces tirs divisent-ils autant ?
Parce que certains estiment que ce n'est pas assez pour lutter contre le loup. Ainsi dans un communiqué commun, la FNSEA, la Fédération nationale bovine (FNB) ou encore la Fédération nationale ovine (FNO) réclament la suppression du plafond de prélèvement, la possibilité pour les éleveurs de tirer "sans conditions" ainsi que "le prélèvement de meutes entières" pour aboutir à "zéro attaque", rapporte Le Monde.
Tous les producteurs ne sont pas de cet avis. Eleveuse d'ovins et de chèvres dans les Alpes-Maritimes, Annie Sic s'inquiète elle de l'extension des tirs de défense pour les éleveurs : "Si on me dit que j'ai le droit d'être armée, je n'en ai ni le temps, ni les compétences", s'inquiète cette cadre de la Confédération paysanne.
D'autant qu'une expertise scientifique (en PDF) commandée par le ministère de l'Environnement concluait en février 2017 sur l'absence de preuves relatives de l'efficacité des abattages de loups pour la protection des troupeaux, jugeant même les tirs de prélèvement contre-productifs. Avec les tirs, les meutes se disperseraient davantage multipliant ainsi les attaques de troupeaux.
11Quelles peuvent être les autres solutions ?
Parmi les mesures de protection, les spécialistes interrogés par franceinfo prônent une combinaison d'actions telles que davantage d'aides au gardiennage, la présence de chiens de troupeaux, l'installation de clôtures hautes... "Si on décide à la fois de sauvegarder la présence du loup et le pastoralisme, il faut mettre en place des choses pour protéger les éleveurs et que ça soit pris en charge par l'Etat", estime Annie Sic. Des dispositifs tels que la "brigade loup" chargée de garder les troupeaux et mise en place en 2015 par Ségolène Royal.
Jean-David Abel rappelle par ailleurs que 50% des dommages en 2018 ont eu lieu sur quelque 200 exploitations. "Le gouvernement pourrait se donner les moyens de baisser les dommages en allant sur ces exploitations et en réalisant des analyses de vulnérabilité pour voir où la protection pêche", souffle-t-il. Néanmoins, ce dernier, tout comme Yves Vérilhac, indique ne pas être contre les tirs contre les loups si les exploitations subissent malgré tout des attaques.
Enfin, apprendre à cohabiter avec le loup, prédateur longtemps disparu de notre territoire, est essentiel pour Yves Vérilhac, qui invite à "se protéger avec respect contre les prédateurs". Geneviève Carbone en appelle également à une sensibilisation dès le plus jeune âge : "Pour avoir une relation de cohabitation apaisée, pour percevoir la richesse de l'autre, il faut développer grandement une éducation à l'environnement."
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