Armes françaises au Yémen : les journalistes de Disclose condamnent une "atteinte au secret des sources" après leur audition par la DGSI
Geoffrey Livolsi et Mathias Destal ont été entendus, mardi, dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure. En cause : la publication d'une note classée "confidentiel défense" dans leur enquête sur l'utilisation d'armes françaises au Yémen.
"C'est une volonté claire de nous fragiliser dans notre travail de journaliste et nous intimider pour la suite." Mathias Destal, cofondateur du site d'investigation Disclose, a commenté, mercredi 15 mai, sur franceinfo, son audition par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). La veille, lui et Geoffrey Livolsi, l'autre cofondateur de Disclose, ont été entendus pour leur enquête sur l'utilisation d'armes françaises au Yémen. Ils sont notamment inquiétés par la justice pour avoir détenu puis publié des documents classifiés "confidentiel défense".
Les journalistes ont été reçus au 4e sous-sol de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), mardi, à 9h30, dans des salles séparées, en compagnie de leurs avocats. Les enquêteurs de la DGSI avaient préparé sept pages de questions. Ces derniers "ont notifié à Mathias Destal et Geoffrey Livolsi qu’ils n’étaient pas entendus en tant que journalistes", rapportent les deux intéressés dans un communiqué, mardi soir. Un choix qu'ils jugent "proprement scandaleux".
[COMMUNIQUÉ] Lors de leur audition mardi 14 mai, qui fait suite à la publication de l'enquête "Made in France", les journalistes de @Disclose_ngo se sont vus notifier par les enquêteurs de la DGSI qu'ils n'étaient pas entendus comme journalistes. Proprement scandaleux ⤵️ pic.twitter.com/Y634WPOtql
— Disclose (@Disclose_ngo) 14 mai 2019
Résultat : les auditions n'ont duré qu'une heure environ car les journalistes ont gardé le silence. "Pour nous, c'est complètement absurde de nous dissocier de notre qualité de journaliste. Nous publions ces documents parce que nous sommes journalistes et qu’ils intéressent le débat national", s'est défendu Mathias Destal sur franceinfo.
"Ils n’ont fait que leur travail, ils n’ont fait que leur mission d’information", abonde, auprès de franceinfo, Virginie Marquet, l'une de leurs avocats. "Nous avons fait savoir que c’est bien en leur qualité de journalistes qu’ils ont fait ces révélations", insiste-t-elle.
Mais selon elle, les enquêteurs de la DGSI ont ignoré cet argument. Mathias Destal et Geoffrey Livolsi ont été entendus à titre personnel et non en tant que directeurs de la publication de Disclose. Le site d'investigation, lui, n'est pas inquiété, précise ainsi Geoffrey Livolsi.
Atteinte à la liberté de la presse
Virginie Marquet craint que l'affaire sorte finalement du cadre de la loi sur la liberté de la presse de 1881, qui garantit notamment la protection des sources, et se retrouve traitée par des juges spécialisés dans le terrorisme. L'enquête préliminaire est d'ailleurs menée par le parquet antiterroriste.
Pourtant, "toutes les questions ont tourné autour de la publication, remarque Virginie Marquet, soulignant que des questions portaient sur les sources.
Les enquêteurs ont demandé qui leur avait fourni les documents et par quel moyen. Poser la question est, en soi, une tentative d’atteinte au secret des sources.
Virginie Marquet, avocate des journalistes de Discloseà franceinfo
Selon Geoffrey Livolsi, les autorités cherchent à envoyer un message "en direction des sources des journalistes et qui est de dire 'où que vous soyez, on va vous poursuivre'". "Ce qui nous permet de travailler, ce sont les sources, la protection des sources, rappelle-t-il auprès de Loopsider. Et aujourd’hui, c’est ce principe qui est remis en question par cette procédure. On cherche à tout prix à identifier nos sources, par tous les moyens possibles."
« Le message envoyé aux sources c'est "où que vous soyez, on vous trouvera" »
— Loopsider (@Loopsidernews) 15 mai 2019
Pour avoir révélé que des armes vendues par la France étaient utilisées par l'Arabie saoudite au Yémen, @GeoffreyLivolsi a été arrêté par la DGSI. Il dénonce une atteinte à la liberté de la presse. pic.twitter.com/vU8YcIiXdE
Cette situation n'est pas une surprise, reconnaît Virginie Marquet. "La publication a été longuement et mûrement réfléchie. Il y a très peu de précédents car rares sont les documents classifiés qui ont été publiés. On s'attendait à cela, abonde-t-elle. Mais quand Florence Parly, la ministre des Armées, dit que Mathias Destal et Geoffrey Livolsi sont 'en infraction avec toutes les règles et toutes les lois de notre pays', c'est un peu exagéré", juge-t-elle. Et de commenter : "Les journalistes ne sont pas au-dessus des lois, mais ils sont protégés par le droit de la presse."
La suite de la procédure est floue. "Les enquêteurs ont refusé de nous dire où en était l'enquête préliminaire, on ne sait pas ce qui va se passer après", ajoute Geoffrey Livolsi auprès de franceinfo. Toutefois, les journalistes de Disclose ne comptent pas lever le pied. "Tout cela ne nous refroidit pas. On estime que l'on a fait notre travail de façon légitime", martèle-t-il. Avec cette audition, ils ont intensifié les précautions pour continuer à travailler en sécurité. "Nous avons renforcé nos process d'échanges d'informations. On passe par davantage de logiciels chiffrés, et d'autres moyens, ajoute-t-il. L'essentiel, c'est de protéger nos sources. Nous préférons prendre les coups, nous, plutôt que nos sources."
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