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"C’est un exercice de 96 heures non-stop, sans pause" : dans les rues fictives de Jeoffrécourt, les soldats français s’entraînent au combat urbain

À Sissonne, dans l’Aisne, une ville fictive de 5 000 habitants permet aux soldats français revenus de missions de s’entraîner dans les conditions du combat urbain.

Article rédigé par franceinfo - Franck Cognard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Soldats à l'exercice à Jeoffrécourt, un ville reconsituée dans le camp militaire de Sissonne (Aisne).  (FRANCK COGNARD / RADIO FRANCE)

Au cœur des 6 000 hectares du camp militaire de Sissonne (Aisne) se dresse la ville de Jeoffrécourt. On y trouvera une zone pavillonnaire, avec ses maisons et jardins, une zone industrielle, avec ses entrepôts, un centre-ville avec sa mairie, sa gare, ses commerces. Les bâtiments sont vrais, en dur, avec des vrais couloirs, des vraies pièces, des vrais volets ou rideaux de fer. Rien de plus banal, en somme, sauf que … tout est fictif. Jeoffrécourt est en effet une vraie-fausse ville qui permet aux soldats de retour de mission de s’entraîner dans les conditions réelles du combat en environnement urbain. Ce jour-là, la compagnie du deuxième régiment d’infanterie de marine doit prendre et sécuriser le centre-ville. "C’est chaud en terme de réalisme : on est complètement dedans, décrit le capitaine David. On est sur un combat de haute, voire de très haute intensité."

On dispose des moyens avec lesquels on partirait en opération, face à un ennemi actif qui se réarticule en fonction de notre intensité.

Capitaine David

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L'ennemi vit à demeure à Jeoffrécourt. Ou quasi : ces soldats qui mènent la vie dure aux marsouins du 2e Rima connaissent la ville, ses caches, ses points hauts par cœur. C'est l'essence du combat urbain : déloger des hommes armés d'un terrain qui n'a plus de secrets pour eux. Aussi, pour cette vraie-fausse "Forad" ("force adverse"), l’objectif est que ceux qui s'entraînent en bavent. "Le but est de faire de la perte de façon intelligente, indique le sergent-chef Julien. Si un entraîné est sur une ouverture mais mal posté, nous le prenons à partie pour lui dire 'Attention, en réel, tu serais détruit…'"

Exercice au camp militaire de Sissonne (Aisne). (FRANCK COGNARD / RADIO FRANCE)

Dans les rues fictives de Jeoffrécourt, les soldats français s’entraînent au combat urbain

"Avec un système simulation laser, explique le commandant Sekou, chef adjoint du bureau entraînement et instruction, on arrive à reproduire les effets du champ de bataille, que ce soit sur les morts, les blessés, les effets des armes etc. C’est une expérience vécue. On n’est pas dans un laser game. C’est un exercice de 96 heures non-stop, sans pause tactique ni pause déjeuner, c’est du combat jour et nuit."

" C’est moins rapide que dans les films"

L'exercice est intense. Et malgré un rapport de force favorable de 6 pour 1, minimum nécessaire pour une opération réelle, la prise du centre-ville est longue. La compagnie est jeune, moins expérimentée que d'autres venues auparavant. Mais quel que soit le niveau d'aguerrissement des fantassins qui s'entraînent ici, ils ne progressent pas comme dans les films, à fond, sans s'arrêter. Une idée reçue à oublier : "Dans un film on veut de l’action, que cela avance, explique le capitaine Martin, qui dirige les instructeurs sur le terrain. Ici, il y a parfois un peu de temps d’attente, le temps que les appuis se mettent en place, que les sections sécurisent leur zone. Tous les enseignements des engagements en zone urbaine, c’est que l’on a un rythme plus lent : 100 mètres à l’heure. Il faut reconnaître tous les bâtiments, prendre en compte leur hauteur, les zones souterraine. C’est moins rapide que dans les films : c’est la réalité."


À la fin de chaque journée, pendant que ses soldats restent dans la ville, l'officier du 2e Rima se rend à la "trois alpha" ("analyse après action"), un débriefing de ce qu'il a réussi ou pas dans son approche tactique. "On ne ment pas : on dit la vérité sur ce qu’il s’est passé, commente le capitaine Grégory, le chef du centre opérations. On souligne ce qui ne s’est pas bien passé, ce qui a été mal exécuté, en l’illustrant avec les vidéos des cameramen qui sont sur le terrain pour appuyer les points saillants." 

Nous faisons attention à maintenir un lien fort entre les instructeurs et les entraînés. On cherche davantage à convaincre qu’à être saignant.

Capitaine Grégory, le chef du centre opérations

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Les visages sont marqués, à la fin de la journée : les rues sont jonchées de douilles, parsemées de traces de suies là où les grenades ont explosé. Jeoffrécourt n'est qu'un des villages d'exercice du Cenzub (centre d'entrainement aux actions en zone urbaine) de Sissonne, où entre les soldats à aguerrir, ceux qui jouent les adversaires, les instructeurs et l'encadrement, plus de 500 personnes sont sur le terrain. Chaque session de 15 jours revient à près d'un million d'euros.

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