: Enquête "Une fois qu'ils ont eu le concours, il est quasiment impossible de les renvoyer" : dans les écoles de police, des ratés dans le recrutement
C'est un des sujets du Beauvau de la sécurité : comment mieux former les policiers ? Peut-être en étant plus sélectif lors de leur recrutement. L'exigence a baissé ces dernières années, selon les syndicats : même lors de leur formation, les agents peuvent se permettre des écarts graves. En guise de sanction, ils se voient juste retirer quelques points...
Renforcer les rangs de la police : c'était une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017. "Dix mille emplois supplémentaires de policiers et de gendarmes seront créés sur la durée du quinquennat", s'engageait-il à Toulon, en février 2017. Il faut donc recruter beaucoup et former vite. Mais est-ce au prix de l'exemplarité des élèves gardiens de la paix ? "L'Œil du 20 heures" a enfilé l'uniforme pour mener l'enquête.
C'est une affiche placardée sur les murs des neuf écoles de police en France qui le détaille : pendant leur formation, si les élèves se conduisent mal, ils perdent des points. Par exemple, pour infraction à la législation sur les stupéfiants : 50 à 60 points de retrait. Ivresse publique : 30 points en moins. Violences délictuelles: 30 à 60 points de retrait. Plus étonnant encore, les élèves peuvent récidiver. Ils perdent alors deux fois plus de points, et après 100 points perdus, c'est la porte. En principe.
"Ceux qui rentrent, ils sortiront quoi qu'il arrive"
Car aujourd'hui, certains formateurs dénoncent une trop grande tolérance. Pour remplir les objectifs de recrutement, ils disent devoir fermer les yeux sur certains comportements. "S'ils ont un mauvais comportement, ils peuvent avoir jusqu'à 100 points retirés, mais ce n'est pas pour ça qu'ils vont être renvoyés de la police nationale", témoigne un formateur qui souhaite rester anonyme. "Une fois qu'ils ont été intégrés, qu'ils ont eu leur concours, il est quasiment impossible de les renvoyer. Et on nous l'a dit lors de réunions avec des officiers : ceux qui rentrent, ils sortiront quoi qu'il arrive !"
Ce formateur cite un exemple dans son école : deux mois après l'arrivée d'un élève, celui-ci fait l'objet d'un signalement par ses supérieurs, transmis à la sous-direction du recrutement de la police nationale. Il y est écrit : "Elève gardien de la paix non autorisé à manipuler des armes (...) tendances suicidaires (...) dépôt de plainte à son encontre pour violences conjugales".
Le formateur évoqué plus haut en a discuté avec ses collègues : "On s'est dit : 'untel c'est un cas désespéré, violences familiales, garde à vue, interné en psychiatrie, conduite en état d'ivresse, accident, délit de fuite…' La totale. Et au final, il n'est pas viré." Le stagiaire n'a pas été suspendu ni exclu, il a simplement redoublé. Combien sont-ils exactement à être sanctionnés pour des comportements délictuels ? Impossible de le savoir.
Selon la police nationale, sur les 3 631 reçus en 2020, 12 stagiaires sont passés en commission de discipline, huit ont été exclus, et deux ont redoublé. Mais pour les syndicats de police, leur nombre serait sous-estimé.
"On ne peut pas avoir des policiers voyous"
Denis Jacob, le secrétaire général d'Alternative Police-CFDT, dénonce cette tolérance à l'égard des comportements. "Que l'on puisse accepter de commettre des infractions en tant que futur policier, avant même qu'ils ne soient policiers, c'est prendre le risque d'avoir ensuite des policiers qui commettent des dérapages, prévient-il. Et l'administration, elle sera tenue responsable. On ne peut pas avoir des policiers voyous, ce n'est pas possible."
Au ministère de l'Intérieur, Gérald Darmanin reconnaît l'existence d'une grille qui tolère des mauvais comportements. Il affirme qu'elle sera supprimée.
"Il n'y a pas de petits faits qui seraient inacceptables à moitié. C'est pour cela qu'on va revenir sur cette grille et que ceux qui font des violences délictuelles ne doivent évidemment pas porter l'uniforme. On peut parler du passé ; moi ce qui m'intéresse, c'est l'avenir. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura plus de grille de points l'année prochaine."
Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieurà France 2
Le ministre a annoncé que dès l'année prochaine, la durée de formation initiale des policiers sera rallongée de quatre mois et que les critères de sélection seront revus.
Parmi nos sources :
Grille de retrait de points :
Grille de Retraits de Points (002) by yannicksanchez on Scribd
Livre blanc de la sécurité intérieure, un document de près de 200 propositions qui "doit inspirer l'action du ministère de l'Intérieur pour les années à venir", selon les mots du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin.
Guide de l'élève gardien de la paix en formation initiale
Site web : DevenirPolicier.fr
Liste non exhaustive.
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