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Pourquoi la formation des policiers, au menu du "Beauvau de la sécurité", pèche par ses lacunes

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des élèves policiers, le 25 novembre 2016, à l'Ecole nationale de police de Nîmes (Gard). (PASCAL GUYOT / AFP)

Cette question fait l'objet d'une réunion, lundi. L'occasion de revenir sur son contenu et de soulever les problèmes qu'elle pose.

C'est le premier des "sept péchés capitaux" qui pèsent sur les forces de l'ordre, aux yeux de Gérald Darmanin. "Il y a une erreur fondamentale que nous avons commise au ministère de l'Intérieur : c'est le peu de formation que nous offrons à nos policiers", avait exposé l'actuel locataire de la place Beauvau, le 30 novembre 2020, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale. Deux mois plus tard, ce thème se retrouve au cœur des débats du "Beauvau de la sécurité", annoncé par Emmanuel Macron en pleine polémique sur les violences policières. La question de la formation fait l'objet d'une réunion, lundi 8 mars, a appris franceinfo auprès du syndicat Unité SGP Police-Force ouvrière.

Pour Gérald Darmanin, "raccourcir la formation initiale, c'est-à-dire quand on embauche un policier, n'était pas une bonne mesure". Le ministre de l'Intérieur faisait référence à la nouvelle formation des gardiens de la paix, entrée en vigueur en juin. Alors que les futurs policiers avaient jusque-là un an de formation, dont deux mois de stage, la scolarité est désormais de huit mois en école de police, entrecoupés de trois semaines de stage. Les élèves enchaînent ensuite avec une Formation adaptée au premier emploi (Fape), d'une durée de 16 mois. Ils sont en réalité lancés dans le grand bain : cette seconde période correspond à une première affectation, même si elle est accompagnée de modules d'e-learning (enseignement à distance) et d'un suivi individualisé.

"Un référent dans chaque commissariat"

C'est là que le bât blesse, selon des syndicats de police qui critiquent cet accompagnement et l'absence d'un réel encadrement pendant ces 16 mois sur le terrain. "On souhaite la création d'un métier de tuteur à même d'encadrer, de suivre, de conseiller et d'aider le jeune policier, y compris pendant son e-learning. On veut un référent dans chaque commissariat", expose à franceinfo Emmanuel Pasquier, secrétaire national Unité SGP Police-FO, qui participe aux réflexions en cours. Thierry Collas, délégué zonal Sud de l'Unsa Police, pointe lui le manque d'anticipation pour les nouvelles promotions : "Les tuteurs ne sont pas formés, et de toute façon il faut au moins deux ans pour être bon." 

Ce formateur en techniques de sécurité en intervention (TSI), dans l'une des 12 Ecoles nationales de police (ENP) où se déroule la formation initiale, enseigne la partie pratique : préparation physique, cours d'armement, tirs, techniques de défense et d'intervention sur la voie publique... Or, ces professionnels sont aujourd'hui en nombre insuffisant. Pourtant, leur rôle est crucial : ils scrutent chaque geste, chaque parole des étudiants et les reprennent si nécessaire, comme le montre ce reportage de France 2 à l'ENP de Roubaix (Nord).

"Techniques d'intervention, enseignements juridiques, sciences humaines... La formation initiale est plutôt bien faite, avec tout ce qu'il faut. Mais ça va trop vite, c'est dur à intégrer", souligne Thierry Collas. Surtout en huit mois. Une durée bien plus courte que chez certains voisins européens : en Allemagne, en Finlande et en Norvège, la formation des policiers dure trois ans. "Lorsque vous donnez une formation que vous réduisez de 12 mois à huit mois en école, vous n'avez pas le temps de faire une formation complète, une formation éthique des agents. On apprend aux policiers à se faire respecter par la force. En Allemagne et au Danemark, on apprend aux policiers à se faire respecter par leurs capacités à communiquer", explique à Brut le sociologue Sebastian Roché, spécialiste des questions policières et de sécurité.

"La scolarité est réduite en durée, mais pas en travail personnel. Les contenus abordés sont parfois denses", reconnaît Nicolas auprès de franceinfo. Formateur généraliste à l'ENP de Sens (Yonne), il constate la "fatigue" de ses élèves, auxquels il apprend les aspects théoriques, tels que les cadres légaux, la déontologie, l'usage des réseaux sociaux, les infractions, la procédure pénale, le recueil d'une plainte... "J'étais satisfaite, car après quatre ans d'études et une maîtrise, j'étais habituée à m'organiser dans mon travail. Mais certains étaient quand même largués", atteste Lola*, policière de 28 ans, sortie d'école en juin 2020. Tout dépend de ce que l'on a fait avant, du fait que l'on soit étranger à l'univers de la police ou non : les promotions sont très hétérogènes, à l'image du recrutement. 

"On devient flic sur le terrain, pas à l'école"

Pour compenser un manque d'effectifs sous Nicolas Sarkozy, les "vannes" ont été grand ouvertes pendant le quinquennat de François Hollande, puis avec Emmanuel Macron. Résultat : "un appauvrissement des viviers de recrutement", comme le démontre un rapport de la commission des lois du Sénat publié fin 2019. Arrivé en école en 2014, après une vie active dans un autre secteur, Louis*, policier affecté à Orly (Val-de-Marne), a connu cette situation. "Des bâtiments ont rouvert car on était plus nombreux que prévu. C'était de l'abattage ! On a besoin de monde, mais la durée d'apprentissage ne peut pas être raccourcie pour compenser", déplore-t-il. Même si, pour lui, rien ne remplace le terrain.

"On a coutume de dire que ce qu'on apprend à l'école, il faut le désapprendre au commissariat."

Louis, policier

à franceinfo

"Pendant les exercices, on s'entraîne avec nos collègues, on retient nos gestes, on est plus soft. C'est le monde des Bisounours, dans la réalité ça ne se passe jamais comme ça", témoigne-t-il. "On devient flic sur le terrain, pas à l'école", résume Lola. "Les individus dangereux sont joués par des élèves, complète Nicolas, le formateur généraliste de l'ENP de Sens. Sur le terrain c'est réel, et quelquefois, cette rupture est compliquée."

En particulier lorsque les étudiants sont immergés dans la "vraie vie" plus tôt que prévu. C'est ce qui s'est passé en 2015, l'année des attentats meurtriers qui ont frappé la France. Toutes les promotions ont été envoyées sur le terrain après seulement 10 mois de scolarité, sans avoir pu effectuer le stage pratique de deux mois. "Je faisais de la protection de bâtiments officiels, ce n'était pas très compliqué. Mais j'étais considéré comme un effectif à part entière, comme si j'étais déjà titulaire", relate Louis. L'année 2020 restera aussi dans les annales : à cause du Covid-19, Lola n'a effectué que six mois de formation en école et sept semaines de stage, avant d'exercer en police-secours à Paris. Aujourd'hui, elle est stagiaire et s'attend à être titularisée en juin. "Il me reste quelques lacunes, que mes collègues m'aident à combler aujourd'hui."

"On fait avec les moyens du bord"

"J'ai commencé à goûter au vrai métier de policier un an après", relate Souleymane*, envoyé dès novembre 2015 en banlieue parisienne. Des territoires où les jeunes sortis d'école sont concentrés. "On est catapultés dans des postes de jeunes encadrants sans être formés pour", regrette ce policier de 30 ans. Alors qu'il n'avait que deux ans d'expérience, il raconte avoir dû gérer un dispositif pour extraire des collègues caillassés dans un quartier. "J'étais formé aux violences urbaines, mais formé à agir, pas à les encadrer. Je n'étais pas gradé pour. Donc on fait avec les moyens du bord", dénonce-t-il.

A l'instar de Souleymane et de nombreux policiers, Karim, jeune gardien de la paix de 26 ans depuis trois ans en région parisienne, se plaint, pour sa part, de l'absence de formation continue. "Nous ne sommes plus accompagnés quand nous sortons de l'école", déplore-t-il au micro de franceinfo. Pour des policiers, cela signifie qu'ils ne peuvent jamais s'entraîner à pratiquer, revoir ou perfectionner des gestes techniques d'intervention au cours de leur carrière. Ce qui peut avoir de graves conséquences dans leur comportement et engendrer des dérives de leur part. "Pour avoir une technicité optimale, il faut s'habituer à faire ces gestes. (...) Il peut y avoir des gestes qui ne se font pas, et finalement ça tourne au drame, par ce manque de formation", admet-il. Seule obligation pour les policiers : s'entraîner à trois tirs par an, condition sine qua non pour obtenir l'autorisation de porter une arme hors service. Et encore, les créneaux sont difficiles à trouver.

Des cours de déontologie "bâclés"

"La formation continue est la grande sacrifiée", confirme à franceinfo Jean-Marc Berlière, historien spécialiste des polices en France. Depuis 1992, il intervient à l'Ecole nationale supérieure de la police (ENSP) de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, près de Lyon, qui forme les commissaires et les officiers de police. En une journée, il explique "les missions auxquelles ont été confrontés les policiers lors de certaines périodes de l'histoire, parfois difficiles, comme sous l'Occupation". "Je fais aussi un pas de côté sur l'attitude morale, car je cherche le débat et la réflexion, pour parler d'éthique", détaille ce professeur émérite. Il ne s'exprime pas devant les gardiens de la paix, mais a conçu un film d'une heure diffusé dans les ENP depuis deux ans. L'idée est d'élargir les questionnements sur le métier, de s'ouvrir vers l'extérieur. 

Un point cruellement absent de la formation des policiers, "qui reste refermée sur elle-même", selon Sebastian Roché, qui a lui-même enseigné pendant plus de vingt ans à l'ENSP, avant d'être évincé en 2019. "Ce sont essentiellement des policiers qui forment d'autres policiers. Cela peut créer des difficultés et couper la police de son environnement", explique le sociologue dans Le Monde. "La formation s'est recentrée sur les gestes techniques ('Comment me défendre ? Comment tirer ?'), que les syndicats et le ministère appellent à tort le 'cœur de métier'. Manquent donc les parties 'soft skills' et 'habileté sociale' (compétences relationnelles), éthique (...) et réflexion sur la place de la police dans le système politique et dans la société. Elles sont centrales chez les polices les moins violentes et les plus appréciées du public." 

Souleymane renchérit : "Les cours de déontologie et de psychologie sont bâclés. On en a trois dans l'année et c'est censé être acquis." Et de dénoncer l'entre-soi et le racisme qui peuvent en découler.

"On n'est pas assez formés sur la relation avec les autres."

Souleymane, policier

à franceinfo

"On est familiers du terrain, mais pas forcément de ses acteurs. Les jeunes ne connaissent pas les policiers et les policiers ne connaissent pas les jeunes. Cela fait du tort, le fossé s'agrandit de jour en jour", se désole encore le policier, qui se dit "attaché au relationnel" sans pour autant "se détacher de sa mission première : 'Assister, servir, protéger". Pour y remédier, Souleymane essaie de créer une association qui rapprocherait police et population. "L'idée est de faire intervenir des acteurs associatifs directement en formation, ou avec des chefs de service, dans le but d'échanger", argumente ce fonctionnaire marqué par la police de proximité, qui voudrait renouer le lien. Les relations entre forces de l'ordre et population, c'est justement l'autre grand chantier du "Beauvau de la sécurité", dont il est question.

*Les prénoms ont été changés.

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