Mort de Charles Aznavour : "C’était plus que le dernier des géants, c’était l'un des premiers"
"Depuis Edith Piaf, il n’était pas arrivé une chose pareille à la chanson française", assure Bertrand Dicale, le spécialiste de la chanson française sur franceinfo.
Charles Aznavour était "une révolution aussi importante que celle de Brassens ou de Brel pour la chanson française", estime Bertrand Dicale, spécialiste de la chanson française sur franceinfo après la mort de l'artiste à 94 ans lundi 1er octobre. "Aznavour, c'est au moins 500 chansons enregistrées en anglais, en espagnol, en italien, en allemand", précise-t-il.
franceinfo : Peut-on dire que c'était le dernier des géants de la chanson française ?
Bertrand Dicale : C’était plus que le dernier des géants, c’était l'un des premiers. Ce qu’on considère aujourd’hui comme le chanteur français classique, c’est-à-dire quelqu’un qui chante à la première personne, qui incarne ses personnages, qui a cette façon de chanter à la fois romantique et réaliste en même temps, c’était lui le premier. Au début des années 60, il est devenu une star et c’est une révolution aussi importante que celle de Brassens ou de Brel pour la chanson française. Il a installé des standards. La chanson Je m'voyais déjà est révolutionnaire. Charles Aznavour bâtit sa gloire en racontant cette histoire d’artiste raté. Cela ne se faisait pas, on ne racontait que les succès. C’est un coup de génie. Et puis c’est un interprète, un auteur, un compositeur. Il a écrit des tubes pour d’autres, pour Johnny, pour Marcel Amont, pour Les Compagnons de la chanson, Edith Piaf. Mais c’était aussi une force. Il avait 94 ans, ill travaillait toujours, il avait des concerts à faire. Il a commencé à l’âge de 9 ans : il gagne sa vie depuis l’âge de 9 ans ! C’est une énergie, une puissance. On n’imagine pas à quel point Aznavour s’est fait injurier par la presse et par ses pairs, par des artistes qui disaient ça ne marcherait jamais : avec sa voix, avec son physique, avec ce qu'il chante. Et pourtant cela a marché.
Est-ce l’histoire d’une revanche ?
C’est l’histoire d’une gigantesque revanche. La revanche de Charles Aznavourian et celle du peuple arménien. Il s’est battu pour lui, pour ses parents, pour ses grands-parents disparus dans le génocide arménien. Il était né en France un peu par hasard. Ses parents rêvaient de partir aux États-Unis. Quand ils ont découvert que ce petit garçon né à Paris aurait un passeport français alors qu’ils attendaient le visa pour les États-Unis, ils ont décidé de rester en France. C’est pour ça qu’il avait cet amour pour la France, comme quelqu’un qui a choisi la France.
Peut-on dire que c'est l'un des artistes français les plus connus dans le monde entier ?
Charles Aznavour, c’est au moins 500 chansons enregistrées en anglais, en espagnol, en italien, en allemand. Il était fier d’être le plus célèbre des Français quand il allait à Bakou, à Montevideo, à New York. On connaît ces chansons, on a sa voix dans l’oreille. Depuis Edith Piaf, il n’était pas arrivé une chose pareille à la chanson française.
Comment expliquez-vous sa longévité ?
Aznavour l’a dit dès le départ : le travail. Un talent immense de mélodies, d’auteur, un immense talent d’interprète, et puis le travail, le travail, le travail. À aucun moment, il n’a jugé que c’était fini. Un de ses derniers défis, c’était de chanter à Bercy. Pour lui, c’était une nouvelle aventure et à chaque fois, il n’a pas tenté l’aventure en comptant sur la chance, c’était toujours en travaillant.
C'était aussi un chanteur auquel on pouvait s'identifier...
Si on enlève le costume de Charles Aznavour il ressemble à n’importe qui. Et c’est sa force, À l'époque pourtant les stars sont de "vrais hommes", comme Gilbert Bécaud. Des artistes qui font un mètre 80, qui sont beaux alors que lui est tout petit, pas très beau. Et c’est de ça qu’il va faire une force. Toute sa vie il va chanter la vie des ratés, la vie des gens ordinaires, pas la vie des héros.
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