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Des avocats décortiquent le cas du rappeur Nick Conrad, visé par une enquête après son clip "Pendez les Blancs"

Après la polémique sur son clip “Pendez les Blancs”, plusieurs responsables politiques ont réclamé des poursuites judiciaires à l’encontre du rappeur Nick Conrad. Le parquet de Paris a ouvert une enquête mercredi.

Article rédigé par franceinfo - Céline Delbecque
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Capture d'écran du clip "PLB" de Nick Conrad, le 27 septembre 2018. (NICK CONRAD / YOUTUBE)

La polémique l'a sorti de l'anonymat. Quasi inconnu il y a quelques jours, le rappeur Nick Conrad est désormais dans le viseur de la justice, après la médiatisation de son clip de la chanson PLB, pour "Pendez les Blancs". Il était entendu vendredi 28 septembre 2018 dans le cadre d'une audition libre dans les locaux de la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), porte de Clichy à Paris.

>> "Pendez les Blancs" : la polémique créée par le clip du rappeur Nick Conrad résumée en quatre actes

Le titre, aux paroles violentes, a suscité la colère sur les réseaux sociaux, mais également au sein de la classe politique, poussant même le gouvernement à prendre position sur le sujet. Au-delà de ces réactions politiques, nous avons interrogé plusieurs avocats pour comprendre, juridiquement, ce que risquait le rappeur.

Que dit la loi ?

Les paroles de PLB sont explicites : "Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs, attrapez-les vite et pendez leurs parents, écartelez-les pour passer le temps divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands. Fouettez-les fort faites-le franchement, que ça pue la mort que ça pisse le sang." Après la polémique, le parquet de Paris a ouvert, mercredi 26 septembre, une enquête pour "provocation publique à la commission d’un crime ou d’un délit". "La violence extrême des paroles" justifie de telles mesures judiciaires, estime Stéphane Babonneau, avocat pénal au barreau de Paris, interrogé par franceinfo. "Ce genre de propos est lourdement puni par la loi sur la presse du 29 juillet 1881 [article 24], par cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende", précise le spécialiste.

"Mais dans les faits, il est peu probable que Nick Conrad soit condamné à une telle peine", nuance-t-il. Ces dernières années, plusieurs interprètes ont en effet été condamnés pour des paroles jugées ultraviolentes, mais ont rarement écopé de la peine maximale. "Lorsqu’on regarde les décisions de justice rendues dans des cas similaires, on se rend bien compte que les tribunaux savent faire la distinction entre des débordements dans des paroles de chanson et un véritable appel au meurtre, analyse Stéphane Babonneau. Les sanctions sont généralement bien inférieures à ce que prévoit le texte en théorie."

Pour l'avocat, ce genre d’enquête est également symbolique. "La loi est claire : quand on appelle à la commission d’un crime, même dans le cadre d’une production artistique, on commet une infraction." L’avocat précise même que Nick Conrad pourrait être accusé de complicité, si un meurtre est commis au nom de ses paroles : "L’article 23 [de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse] indique que si l’appel est suivi de faits, la personne qui l’a prononcé est complice de la personne qui est passée à l’acte."

Comment le rappeur se défend ?

Interrogé sur la violence de ses paroles, Nick Conrad affirme qu'il ne s'agit pas d'"un appel à la haine" comme le définit la loi, mais d'une "fiction", dans laquelle il joue un personnage de raciste. "[Cela] montre des choses qui, du début à la fin, sont vraiment arrivées au peuple noir, tous les éléments qui sont cités dans le morceau, un à un, ont vraiment touché et marqué le peuple noir dans sa chair, a-t-il expliqué à RTL mercredi soir. Ce clip est supposé amener à réfléchir et pas rester en surface." Il défend un morceau "plus profond qu'il n'y paraît" et refuse de renier son texte : a touche le racisme, c'est la beauté de ce morceau, ça reste de l'art."

Un argument "irrecevable", pour Emmanuel Pierrat, avocat et coauteur du Code de la liberté d'expression (Anne Rideau Editions, 2018). "Si Nick Conrad avait voulu jouer sur un discours politique, avec de l’humour ou du second degré, il aurait dû, légalement, le préciser, par exemple dans un avertissement dans la vidéo, expliquant la finalité de son message. Il ne l’a pas fait."

Nick Conrad peut-il invoquer la liberté d'expression pour défendre son texte ? "Elle est garantie dans la loi de 1881 et dans la Convention européenne des droits de l’homme, et heureusement. Mais elle n’est pas absolue, explique à franceinfo l'avocat Fayçal Megherbi. Si on enfreint la limite de l’injure ou de l’insulte, et si on suscite une réaction d’hostilité à l’égard d’un groupe de personnes en raison de ses origines, comme c’est ici le cas, on n’est plus dans la liberté d’expression. On se retrouve dans l’incitation à la haine et à la violence, ce qui est puni par la loi." 

On ne peut pas toujours se cacher derrière l’humour, la liberté d’expression ou la création artistique, surtout lorsque l’on fait l’apologie de crimes ou que l’on appelle à la haine raciale.

Fayçal Megherbi, avocat

à franceinfo

Comment ont été jugés les cas similaires ? 

Nick Conrad est loin d’être le seul interprète à susciter de telles polémiques  avec ses paroles. "Ces dernières années, des dizaines de rappeurs ont été condamnés pour leurs propos, que ce soit envers les femmes, la police, ou des minorités", explique Emmanuel Pierrat.

En 2013, le chanteur Orelsan avait par exemple écopé de 1 000 euros d’amende avec sursis pour "injure et provocation à la violence à l’égard des femmes", pour sa chanson Sale pute. En 2016, les artistes Rémy et Poposte étaient condamnés à 500 euros d’amende avec sursis pour "apologie du crime" et "injure publique", lorsqu’ils évoquaient leur "sourire quand un flic crève", dans le clip de leur chanson Première Dinguerie. Les groupes NTM, Sniper ou 113, entre autres, ont également eu plusieurs démêlés avec la justice pour les propos tenus dans leurs chansons.

"Il faut savoir que ce genre de polémiques revient de manière cyclique dans l’espace public, rappelle Stéphane Babonneau. La violence des propos chantés par les rappeurs peut choquer l’opinion publique ou les politiques, qui saisissent la justice. Nick Conrad n’est pas le premier et ne sera pas le dernier."

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