Les magistrats français sont au bord de la crise de nerfs, selon une étude du Syndicat de la magistrature
Selon cette enquête, les magistrats travaillent en moyenne 10 heures par jour et sont un quart à déclarer travailler tous les week-ends.
La charge de travail a des conséquences néfastes sur la vie privée et professionnelle des magistrats, mais aussi indirectement sur le fonctionnement de la justice en France, révèle lundi 3 juin France Inter, qui s'est procuré une enquête menée par le Syndicat de la magistrature.
Dans cette étude, menée auprès de plusieurs centaines de professionnels (754 professionnels, soit 9% des magistrats de France), à tous les niveaux du système judiciaire, le syndicat décrit "une magistrature au bord de la rupture et des professionnels ne tenant souvent plus que par passion pour leur métier, par conscience de l'importance de leur mission, ou par acharnement à faire face coûte que coûte".
Un temps de travail de 10,02 heures par jour en moyenne
L'enquête souligne que les magistrats travaillent trop souvent dans des conditions difficiles et ne s'en rendent pas toujours compte. L'un d'eux assure même que leurs "référentiels sont loin d'être la norme, on a en quelque sorte intériorisé qu'une journée de 10 et 12 heures n'était pas très grave". Près d'un quart des répondants disent travailler au moins 11 heures chaque jour. Le temps de travail quotidien est de 10,02 heures en moyenne, sans prendre en compte les périodes de pic d'activité, les permanences ou le travail réalisé le week-end ou pendant les congés.
Seul 1,19% des magistrats interrogés ne travaille jamais le samedi ou le dimanche (sauf lorsqu'ils sont de permanence). Près d'un quart (23,7%) des magistrats travaillent tous les week-ends, et 41% au moins un week-end par mois.
"Ne pas le faire me conduit à culpabiliser, à tout le moins à ne pas vivre pleinement le temps de loisir pris car le retard s’accumule", explique un président de chambre en Cour d'appel. Enfin, les trois quarts des magistrats qui ont répondu à l'enquête ont déjà travaillé pendant leurs congés.
Un impact sur la qualité du travail
Cette surcharge de travail presque permanente a des conséquences sur la qualité des décisions rendues, qui ont pourtant un impact énorme sur la vie de leurs concitoyens. 78,24% des magistrats interrogés estiment que la charge de travail a un impact sur la qualité du travail. "J’ai parfois l’impression de faire du travail à la chaîne", regrette un vice-procureur. "Il faut tenir un certain rythme, ce qui implique de survoler certains dossiers", reconnaît un juge.
Certains regrettent de ne pas avoir assez de temps pour la réflexion, la recherche juridique et l'actualisation des connaissances. Ils s'inquiètent de rendre des décisions aux motivations "insuffisantes", voire de faire "des erreurs dues à une relecture insuffisante", ou encore de passer à un "traitement expéditif des contentieux de masse". "Je préfère travailler le soir tard, le week-end ou pendant les vacances plutôt que de rendre des décisions bâclées. Mais la fatigue a peut-être un impact sur la qualité de mes décisions", explique un conseiller en Cour d'appel.
L'étude s'inquiète aussi de l'impact de cette surcharge de travail sur les relations avec les collègues (67,51% des répondants), sur leur vie privée (93,24%) et sur leur santé (57,43%). "Je culpabilise, soit à l’égard de mes proches en raison de mon indisponibilité, soit sur le plan professionnel lorsque finalement je choisis de privilégier ma vie privée (ce qui est rare)", explique un vice-président de TGI. Une juge des enfants l'avoue : "Je pense régulièrement à une reconversion professionnelle. Je ne suis en poste que depuis trois ans".
Pourtant, la majorité des répondants ne se définit pas comme "en situation de souffrance au travail". Seuls 31,96% reconnaissent leur souffrance professionnelle.
"350 magistrats" sortiront d'école en septembre prochain, selon le ministère de la Justice
Du côté du ministère de la Justice, on répond que plusieurs réformes sont justement en cours pour mieux répartir cette surcharge de travail. "C'est un constat largement assuré par la Chancellerie", assure son porte-parole, Youssef Badr, qui rappelle que la garde des Sceaux est entourée de magistrats. Il explique qu'"au lieu de regarder la charge d'une juridiction, il faut regarder la charge du magistrat".
Le ministère rappelle aussi sa "politique de recrutement", lancée "depuis plusieurs années". "On a réduit quasiment de moitié le nombre de postes vacants", assure Youssef Badr, qui met aussi l'accent sur les promotions à venir de l'École nationale de la magistrature, l'ENM, "qui tourne à plein régime", avec en septembre prochain la sortie de "350 magistrats". Enfin, il évoque le recrutement "d'assistants spécialisés, d'assistants de justice, de magistrats honoraires, qui permettent au magistrat de se concentrer sur son cœur de métier".
Les solutions arrivent, promet donc la Chancellerie : "On a un budget qui augmente, ça va finir par changer", explique son porte-parole. "Si on maintient l'effort dans les années à venir, ça changera".
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