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Quatre questions sur la très décriée réforme européenne du droit d'auteur

Le texte, qui entend adapter à l'ère du numérique une législation européenne vieille de 2001, une époque où YouTube n'existait pas, a reçu 348 votes pour et 274 contre. 

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une manifestante favorable à la réforme européenne du droit d'auteur, le 26 mars 2019, à Strasbourg. (FREDERICK FLORIN / AFP)

Après trois ans de débats, la réforme du droit d'auteur a été adoptée, mardi 26 mars, en session plénière au Parlement européen. Un texte qui a fait l'objet d'un lobbying sans précédent de la part de ses partisans comme de ses opposants. Car une fois que cette directive européenne sera transposée dans la loi des 28 Etats membres, les producteurs de contenus, comme les artistes et les éditeurs de presse, seront rémunérés par les plateformes, dès que leur production sera partagée. Franceinfo revient en quatre questions sur cette réforme du droit d'auteur et sur les critiques qu'elle suscite.

Quel est le but de cette réforme ?

Le texte vise à adapter le droit d'auteur à l'ère du numérique. Des vidéos, des photos, des chansons, des textes sont partagés en un clic sur les plateformes et les réseaux sociaux mais leurs auteurs ne sont pas toujours rétribués pour leur utilisation. Quelque 171 artistes français ont ainsi signé une tribune intitulée "Les bons géants qui devinrent ogres" demandant une rémunération plus juste de la part des plateformes qui utilisent leurs contenus.

Aujourd'hui lorsqu'un internaute publie, par exemple, un contenu sur YouTube protégé par le droit d'auteur, lui seul peut être poursuivi légalement. L'hébergeur ne peut être inquiété que lorsqu'il a été averti à plusieurs reprises qu'un contenu sujet à contentieux circule sur sa plateforme. Si le texte européen entre en vigueur, les plateformes comme Facebook, Twitter ou YouTube seront tenues pour responsables de la circulation d'une œuvre protégée sur leur réseau.

Qu'est-il reproché à ce texte ? 

Les détracteurs du texte ont une bête noire : l'article 13. Celui-ci fait l'objet d'une intense campagne de critique sur les réseaux sociaux, avec un hashtag dédié. Une fois la directive adoptée, les plateformes seront tenues responsables des contenus publiés par leurs milliards d'utilisateurs et devront s'assurer qu'ils respectent bien le droit d'auteur.

Pour ce faire, le plus simple est d'utiliser des filtres de téléchargement automatiques. Dès qu'un internaute mettra en ligne un contenu sur Dailymotion, par exemple, un algorithme vérifiera que celui-ci est conforme au droit d'auteur. Ce filtrage transforme "la plateforme ouverte dédiée au partage et à l'innovation en un outil pour la surveillance et le contrôle automatisés de ses utilisateurs", s'insurgent dans une lettre un groupe d'architectes et de pionniers d'internet. 

Le texte stipule que les plateformes "doivent donc obtenir une autorisation des ayant-droits, par exemple en concluant un contrat de licence". Concrètement, si la plateforme a passé un accord financier avec un titulaire des droits d'auteur, ses contenus pourront être librement partagés par les internautes. 

Pourquoi les GAFA s'inquiètent-ils ? 

Les détracteurs du texte, comme les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), estiment que cet article 13 les obligerait à contracter une multitude d'accords. "Les modèles économiques et les investissements des grandes et petites plateformes vont être affectées" signalent les pionniers du numérique, dont Tim Berners-Lee, l'inventeur du Web dans leur lettre adressée au président du Parlement Européen, en juin 2018. 

Les plateformes qui proposent aux utilisateurs de générer eux-mêmes des contenus sont concernées et estiment que le texte est contraire à la liberté d'expression

"Créer des liens hypertextes, citer de courts extraits et partager du contenu sont des composantes fondamentales d’internet", alertait Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France, sur son site en 2018. Les acteurs du web redoutent une suppression massive des contenus, par crainte, pour les hébergeurs, de devoir rétribuer leurs producteurs. "Si aucun droit de licence n'est versé, les extraits devront sans doute être effacés des moteurs de recherche", ajoute aujourd'hui Wikimedia.

"Si les plateformes ont l'obligation de s'assurer qu'un contenu protégé n'apparaît pas, tout ce qui pourrait être perçu comme une violation des droits d'auteur sera supprimé", avertit aussi Siada El Ramly, la directrice générale d'EDiMA, l'association qui défend à Bruxelles les intérêts des plateformes en ligne.

Si je prends une vidéo du spectacle de danse de ma fille et qu'il y a de la musique de fond, l'ensemble de la vidéo devra être retiré de la plateforme sur laquelle elle a été mise.

Siada El Ramly

Le texte européen apporte quelques garanties pour éviter les suppressions injustifiées de contenus. Ainsi, une plateforme ne sera pas poursuivie si elle prouve qu'elle a "tout mis en œuvre pour obtenir une autorisation" avec un créateur de contenus.

Les chansons et les vidéos sont-ils les seuls contenus concernés ?

Si Jean-Jacques Goldman, David Guetta, Sandrine Bonnaire font partie des 171 personnalités qui ont signé la tribune favorable à ce texte européen, des journalistes comptent également parmi les signataires. Car les médias sont aussi concernés par ce texte. En vertu de l'article 15, les plateformes en ligne, comme Google Actualités, seront tenues de rémunérer les éditeurs de presse si une partie de leurs contenus sont utilisés et publiés sur ces plateformes. C'est une revendication de longue date de nombreux médias, en proie à des difficultés pour monétiser leurs contenus en ligne.

En proposant des liens et des extraits d'articles sur leurs plateformes, Google, Facebook et les autres géants du web encaissent en effet des revenus publicitaires grâce à des contenus qu'ils n'ont pas financés ou payés. Les éditeurs de presse souhaitent donc que ces plateformes partagent une "modeste fraction de leurs revenus avec les producteurs de ces contenus" en instaurant un "droit voisin".

Du coup, les plateformes pourraient limiter la diffusion de contenus journalistiques pour ne pas devoir payer une taxe. La presse espagnole, où un dispositif similaire a été mis en plus, n'apparaît plus dans Google News. En Allemagne, une réforme identique a fait perdre 7% de ses visiteurs à Axel Springer SE, le plus important groupe de presse du pays.

Toutefois, les plateformes seront exemptées de rémunérer les éditeurs, si seulement "des mots individuels" ou "de courts extraits" sont publiés.

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