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YouTube, Facebook, presse... On vous explique pourquoi la directive sur le droit d'auteur, votée par le Parlement européen, pourrait changer votre quotidien

Le Parlement européen a voté mercredi la très sensible réforme du droit d'auteur, dont l'un des objectifs est de mieux répartir les revenus entre les créateurs de contenus et les plateformes qui les diffusent.

Article rédigé par franceinfo
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Le Parlement européen se penche, mercredi 12 septembre, sur la réforme des droits d'auteur. (DAMIEN MEYER / AFP)

C'est une bataille qui oppose artistes et éditeurs de presse aux géants du numérique et aux militants de la liberté sur internet. Les eurodéputés ont donné, mercredi 12 septembre, leur feu vert à la très sensible réforme du droit d'auteur. Son principe est d'inciter les plateformes à mieux rétribuer les créateurs de contenus (article 13), mais aussi de créer un "droit voisin" pour les éditeurs de presse (article 11), qui doit permettre aux journaux et agences d'être rémunérés pour la réutilisation en ligne de leur production. 

Les eurodéputés vont maintenant devoir entamer des négociations avec le Conseil de l'UE (représentant les 28 Etats membres, déjà parvenus à un compromis le 25 mai) et la Commission européenne, afin de s'entendre sur un texte définitif, qui devra de nouveau être voté au Parlement. La réforme devra ensuite être transposée dans la loi de chaque Etat membre.

Franceinfo vous explique pourquoi vous devriez vous intéresser à cette réforme, qui pourrait avoir des conséquences sur votre utilisation d'internet.

Parce qu'elle pourrait modifier votre manière de vous informer

Au Parlement européen, les éditeurs de presse poussent pour que la réforme soit adoptée. Ils défendent en particulier son article 11. "Il s'agit ni plus ni moins que d'introduire le principe d'une juste rémunération des médias", ont estimé les patrons d'une vingtaine d'agences de presse dans une tribune publiée début septembre. Leur argument est le suivant : en proposant des liens et des extraits d'articles sur leurs plateformes, Google, Facebook et les autres géants du web encaissent des revenus publicitaires grâce à des contenus qu'ils n'ont pas financés ou payés. 

Les éditeurs souhaitent donc que ces plateformes partagent une "modeste fraction de leurs revenus avec les producteurs de ces contenus" en instaurant un "droit voisin". Une revendication qui intervient dans un contexte économique tendu pour l'information : "En 2000, la presse générait 5 milliards [d'euros] de recettes publicitaires annuelles, contre 1,7 milliard aujourd'hui, soit une saignée de 70%", explique à Libération Claire Léost, de Lagardère Active.

Concrètement, cette taxe pourrait inciter les plateformes à limiter la diffusion de ces contenus dans les résultats de leur moteur de recherche ou sur les réseaux sociaux pour éviter de payer. C'est ce qui est arrivé en Espagne quand le pays a mis en place un droit voisin : la presse espagnole a disparu de l'agrégateur d'actualités Google News. Selon une étude (en espagnol) relayée par le Parlement européen (en anglais), le trafic de ces sites a baissé de 6 à 30%.

En Allemagne, une réforme similaire a fait perdre à Axel Springer, le plus important groupe de presse du pays, 7% de ses visiteurs. Deux exemples mis en avant par les géants du numérique pour rejeter cette solution. "Nous avons vu deux exemples d'instauration de droits voisins en Espagne et en Allemagne qui n'ont pas été couronnés de succès", a expliqué à l'AFP Siada El Ramly, la directrice générale d'EDiMA, l'association qui défend à Bruxelles les intérêts des plateformes en ligne.

Les défenseurs des libertés numériques, comme la Quadrature du Net, s'opposent à cet article 11 pour une autre raison. "Aujourd'hui, à défaut d'avoir réussi à s'adapter à internet, la presse est prête à renoncer à son indépendance", regrette sur franceinfo l'un de ses militants, Arthur Messaud.

Quand les revenus du 'Monde' ou du 'Figaro' dépendront de Google et de Facebook, pendant combien de temps encore pourra-t-on espérer avoir dans ces journaux des critiques pertinentes des géants du web ?

Arthur Messaud, de la Quadrature du Net

à franceinfo

Les encyclopédies en ligne comme Wikipedia redoutent aussi de possibles conséquences pour le droit de citation. "Créer des liens hypertextes, citer de courts extraits et partager du contenu sont des composantes fondamentales d’internet", alerte Pierre-Yves Beaudouin, président de Wikimédia France, sur son site.

Parce qu'elle risque de vous empêcher de partager des contenus

L'article 13 est le point le plus sensible de cette réforme : il prévoit de filtrer de manière automatique les contenus soumis au droit d'auteur mis en ligne sur YouTube, Facebook, Dailymotion et les autres plateformes. Si ladite plateforme a passé un accord financier avec le titulaire des droits d'auteur, l'internaute pourra partager sans problème ce contenu. Mais s'il n'y a pas d'entente, le contenu sera bloqué. Un système similaire existe déjà sur YouTube avec ContentID, qui repère les vidéos sous copyright. Avec une différence de taille : ce contrôle est réalisé après la mise en ligne, et non avant.

Les opposants à la réforme pointent les limites technologiques d'un tel système. "Ces filtres seront élaborés à partir d'algorithmes 'nourris' d'empreintes numériques qui identifieront les contenus protégés par copyright, expliquait en juillet à franceinfo Julien Lausson, journaliste à Numerama. Mais un tel algorithme ne peut pas forcément distinguer un fichier intégral d'un extrait." Ils redoutent également que ce filtrage ne détruise une partie de la culture web : sera-t-il toujours possible de partager des mèmes, ces images à portée humoristique souvent détournées d'œuvres culturelles, ou des vidéos personnelles où l'on entend de la musique ? "On a déjà vu une vidéo d'un bébé qui dansait être supprimée parce qu'on entendait une musique à la radio. Le curseur est difficilement plaçable", estime Julien Lausson.

Un point de vue partagé par les géants du web. "Si les plateformes ont l'obligation de s'assurer qu'un contenu protégé n'apparaît pas, tout ce qui pourrait être perçu comme une violation des droits d'auteur sera supprimé, avertit Siada El Ramly, la directrice générale d'EDiMA. Par exemple, si je prends une vidéo du spectacle de danse de ma fille et qu'il y a de la musique de fond, l'ensemble de la vidéo devra être retiré de la plateforme sur laquelle elle a été mise."

Parce que ses opposants craignent qu'elle ne renforce la surveillance des internautes

Au-delà des mesures précises du texte, ses opposants dénoncent sa philosophie globale. "Est-ce qu'on veut financer les auteurs en violant les libertés fondamentales de toute la population via la surveillance de masse économique ?" s'interroge Arthur Messaud, de la Quadrature du Net. Pour lui, cette directive renforce la "publicité ciblée", qui "consiste à surveiller tout le monde, tout le temps, partout, et souvent sans notre consentement libre". 

Son association milite pour d'autres solutions. "Nous avons toujours dit que l'impôt nous paraissait une manière bien plus efficace de rééquilibrer le rapport de force que le durcissement de la propriété intellectuelle, qui entraîne toujours des dommages collatéraux sur les libertés", explique, dans Libération, Lionel Maurel, autre militant de la Quadrature du Net.

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