"On est payés au ras des pâquerettes" : cinq salariés rémunérés juste au-dessus du smic racontent leur sentiment de "déclassement"

Article rédigé par Alice Galopin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 13min
Une auxiliaire de puériculture, une fleuriste, une coiffeuse, un CPE et une factrice témoignent de leur "démotivation" face à la faible évolution de leur salaire. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Alors que le gouvernement entend "désmicardiser la France", une auxiliaire de puériculture, une fleuriste, une coiffeuse, un CPE et une factrice, déçus de leur faible progression salariale, témoignent du manque de "valorisation" de leur travail.

C'est l'un des principaux objectifs du gouvernement Attal : "désmicardiser la France". En 2023, près d'un salarié sur cinq (17,3%) était rémunéré au smic. Un niveau jugé "historique" par la Dares, le service des statistiques du ministère du Travail. Les huit revalorisations du salaire minimum depuis 2021, qui est indexé sur la hausse des prix, l'ont porté à 1 766,92 euros brut par mois pour un temps plein (soit 1 398,69 euros net).

Mécaniquement, les bas salaires qui se trouvaient légèrement au-dessus du smic ont été progressivement rattrapés par celui-ci, entraînant un tassement des grilles salariales. En parallèle, le Premier ministre a assuré le 27 mars qu'il fallait "revoir le système des allégements de cotisations" patronales qui, en l'état actuel, n'incite pas suffisamment les entreprises à augmenter les petits salaires, selon lui.

Dans ce contexte, les hausses de salaires figureront parmi les principales revendications des syndicats dans les cortèges des manifestations du 1er-Mai. A cette occasion, franceinfo s'est plongé dans les fiches de paie de cinq salariés payés "quasiment au smic". Face à leur faible progression salariale et au manque de "valorisation" de leur expérience, ils témoignent de leur "démotivation"

Laura*, auxiliaire de puériculture (1 431 euros net)

Laura, auxiliaire de puériculture, gagne 1 431 euros net par mois. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

"On ne fait pas ce métier pour le salaire", reconnaît Laura*, auxiliaire de puériculture diplômée d'Etat. Après quatre ans dans des crèches associatives, cette trentenaire a rejoint en 2021 "une crèche en délégation de service public gérée par une entreprise privée", dans le Sud-Ouest. "Quand je suis entrée dans le privé, j'ai gagné 30 euros brut de plus par rapport à mon précédent salaire", se remémore-t-elle. Depuis une augmentation de 100 euros brut obtenue fin 2022, elle perçoit une trentaine d'euros de plus que le smic : 1 431 euros net. 

"J'avais l'espoir qu'avec l'ancienneté et l'expérience, j'arriverais à un salaire correct."

Laura*, auxiliaire de puériculture

à franceinfo

Contrairement aux crèches associatives, les crèches privées n'étaient encadrées, jusqu'à récemment, par aucune convention collective obligatoire. Ce que Laura regrette. Mais un accord a été signé fin février (en PDF) pour les intégrer à la convention collective des entreprises de services à la personne. Dans le même temps, le gouvernement a incité en mars les branches du secteur à augmenter leurs employés d'une centaine d'euros net d'ici la fin de l'année. 

Alors que l'exécutif vise la création de 200 000 nouvelles places en crèche d'ici 2030, la filière est confrontée à un manque de personnel, lié à des salaires trop bas et des conditions de travail difficiles. Laura décrit un métier "éprouvant", qui "génère beaucoup de stress" et où les heures supplémentaires sont "régulières" pour "pallier les absences". "La rémunération est ridicule, dans le sens où on nous demande de plus en plus de responsabilités", poursuit l'auxiliaire, citant l'exemple de "la délivrance de médicaments à des enfants sous certaines conditions", autorisée depuis 2021

Face à "une accumulation de fatigue physique et psychologique", Laura a été placée en arrêt maladie en novembre. Désormais en congé maternité, elle compte se reconvertir dans le secrétariat médical. "Entre l'investissement physique et psychologique que demande mon métier et ce que j'y gagne, j'estime que le jeu n'en vaut plus la chandelle", justifie-t-elle.

Juliette*, fleuriste (1 476 euros net)

Juliette, fleuriste depuis huit ans, est payée 1 476 euros net par mois. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Après des études dans la vente et la restauration, Juliette* s'est réorientée en 2016 pour devenir fleuriste. Un CAP et un brevet professionnel en poche, elle a été embauchée en CDI en août 2021 dans une petite boutique de la région lyonnaise. Grâce à ses diplômes, la jeune femme de 30 ans a été recrutée comme "fleuriste très qualifiée" sur la grille salariale de son secteur et gagne 1 476 euros net. 

Dans sa profession, les revalorisations sont maigres. En octobre 2023, son salaire a augmenté de 20 euros brut, après que les partenaires sociaux de sa branche ont été contraints de négocier pour remettre en conformité le niveau des salaires du secteur. Car sous l'effet des hausses successives du smic, la précédente grille, entrée en vigueur seulement cinq mois plus tôt, comportait des minimas en dessous du salaire minimum. Juliette regrette que ces pourparlers "prennent en général beaucoup de temps". "Ce ne sont pas eux qui se retrouvent en galère en fin de mois", souffle-t-elle. 

"Actuellement, je suis à moins de 100 euros au-dessus du smic", alors que "ça fait presque huit ans que je suis dans le même métier", rappelle-t-elle. Une situation qu'elle juge également "peu valorisante", au regard du "faible écart" avec la rémunération de l'apprentie dans sa boutique : "Je suis contente pour elle, mais d'un autre côté, c'est assez frustrant".

Patricia, coiffeuse (1 424 euros net)

Patricia, coiffeuse depuis 40 ans, est rémunérée 1 424 euros net par mois. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Patricia manie ciseaux et sèche-cheveux depuis environ quarante ans dans le Grand Est. A l'été 2019, elle a rejoint un salon de coiffure spécialisé dans les techniques à base de produits naturels. "C'est un bel avancement dans ma carrière, même si le salaire n'évolue pas", nuance l'employée de 55 ans. Durant son parcours professionnel, Patricia a toujours été "quasiment au smic". Sa dernière fiche de paie, datée de mars, s'élève à 1 424 euros net. Soit tout juste 26 euros au-dessus du smic. Patricia a été recrutée à l'échelon "coiffeuse hautement qualifiée" de sa grille salariale et n'a pas progressé depuis. 

La convention collective de la coiffure prévoit uniquement une prime en fonction de l'ancienneté dans l'entreprise. D'ici quelques mois, la quinquagénaire percevra le montant minimum de cette prime, fixée à 36 euros à partir de cinq ans dans le même salon. "Même pas de quoi se payer un resto avec", grince-t-elle. Sa rémunération n'a progressé qu'au fil des renégociations de sa branche professionnelle. Entre son embauche en 2019 et mars 2024, son salaire brut a augmenté de 171 euros, alors que le smic a été revalorisé de 245 euros sur la même période, selon les données de l'Insee.

"On est payés au ras des pâquerettes", se désole Patricia. Un nouvel accord a été négocié en début d'année pour mettre en conformité la branche avec la hausse du smic entrée en vigueur en janvier, et devrait bientôt permettre à Patricia de gagner 30 euros brut supplémentaires. "C'est un métier magnifique, mais il est tellement mal rémunéré qu'à la fin, même les bons éléments finissent par chercher autre chose", déplore Patricia. Elle appelle le gouvernement à légiférer pour garantir de meilleures conditions de rémunération dans certains corps de métiers : "Il faut que la loi augmente les salaires pour les métiers manuels, comme coiffeur, mécanicien, boulanger, fleuriste ou vendeur"

Nicolas*, CPE en collèges et lycées (1 650 euros net)

Nicolas*, CPE contractuel, gagne 1 650 euros net par mois. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Depuis quatre ans, Nicolas* enchaîne les missions dans les collèges et lycées de l'ouest de la France en tant que conseiller principal d'éducation (CPE). "Je suis rentré dans l'Education nationale comme surveillant, payé au smic", retrace l'homme de 34 ans. Il reprend ensuite des études pour devenir CPE, valide une licence, mais échoue au concours pour obtenir le statut de titulaire et commence à exercer comme contractuel. "L'évolution de ma vie personnelle m'a finalement encouragé à rester contractuel" pour être "à proximité de mon domicile", explique ce jeune père.

"En devenant CPE, je pensais que j'allais forcément monter en compétences, et donc en salaire, explique Nicolas. Mais sur mon premier poste, j'étais à l'échelon le plus bas de la grille de rémunération." Et depuis son premier contrat, en septembre 2021, son traitement brut n'a augmenté que de 131 euros, passant de 1 719 euros à 1 850 euros, sous l'effet de la revalorisation du point d'indice de 3,5% en 2022 puis de 1,5% en 2023. Dans le même temps, le smic a lui augmenté de 212 euros.

"En théorie, ma rémunération peut être renégociée tous les trois ans, à condition de ne pas avoir connu d'interruption de service de plus de quatre mois", expose Nicolas. En pratique, les missions proposées en début de carrière rendent cette perspective "relativement compliquée". "De fait, je n'ai pas eu l'occasion de renégocier mon salaire", constate-t-il. Pour compléter sa rémunération, Nicolas bénéficie toutefois de deux primes d'une centaine d'euros par mois chacune : une prime "Grenelle" et une prime versée dix mois dans l'année aux CPE. Ces "coups de pouce", qui ne sont pas du salaire et ne comptent donc pas dans le calcul de la retraite, portent sa fiche de paie à 1 650 euros net. 

Un résultat jugé "démotivant" pour le CPE. "Si on prend mon salaire de base brut, sans les primes, il y a un écart de 50 euros avec les surveillants. On a pourtant des responsabilités en plus : les conseils de classe, les commissions éducatives, les nuits d'astreinte, énumère-t-il. J'ai les mêmes prérogatives que mes collègues CPE titulaires, qui, eux, sont mieux payés."

"Au final, j'ai le sentiment d'être plus un 'super surveillant' qu'un CPE."

Nicolas*, CPE contractuel

à franceinfo

"L'investissement dans mon évolution de carrière, ma reprise d'études, ne me semblent ni récompensées ni valorisées, lâche-t-il, amer. Ce sentiment de déclassement, c'est la pire des choses qu'on puisse ressentir quand on est spécialisé dans son travail et qu'on s'est battu pour en arriver là"

Violette*, factrice (1 500 euros net)

Violette*, factrice en Charente-Maritime, est rémunérée 1 500 euros net. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

A 46 ans, Violette* sillonne les routes de Charente-Maritime chaque matin à bord de sa camionnette La Poste. En vingt-cinq ans de carrière, le quotidien de cette factrice a beaucoup changé. La distribution du courrier ne représente plus qu'une faible part de son activité. Un manque à gagner pour le groupe, qui tente de diversifier ses opérations. Durant sa tournée, Violette se rend régulièrement auprès d'habitants âgés et éloignés de leurs proches pour s'assurer qu'ils se portent bien. "Les services qu'on faisait avant gratuitement pour les gens sont devenus payants", observe-t-elle. 

"On nous en demande de plus en plus parce que La Poste peine à faire du chiffre. Mais derrière, ça ne suit pas niveau salaire."

Violette*, factrice

à franceinfo

Les fins de mois sont "compliquées" pour cette mère célibataire qui gagne environ 1 500 euros net par mois. Un salaire occasionnellement grossi par des heures supplémentaires et une prime d'environ 360 euros versée deux fois par an. Au fil de sa carrière, sa fiche de paie "a évolué très lentement, car quand on prend un échelon, on ne gagne qu'une dizaine d'euros de plus par mois", déplore-t-elle. Malgré le dégel du point d'indice, dont elle a bénéficié en tant que fonctionnaire, Violette a vu la différence entre son traitement indiciaire et le smic brut se réduire. En janvier 2021, avant la crise inflationniste et les revalorisations du salaire minimum qui en ont découlé, l'écart était de 235 euros. Début 2024, il n'était plus que de 177 euros.

Violette s'inquiète de ses perspectives d'évolution : "L'un de mes collègues, qui vient de partir en retraite, touchait 1 650 euros net [de salaire] en ayant fait toute sa carrière à La Poste en tant que fonctionnaire." La postière, l'une des dernières à avoir été recrutée comme fonctionnaire dans le groupe, regrette par ailleurs les disparités salariales en fonction du statut des employés. "Les jeunes qui travaillent à La Poste et qui ne sont pas fonctionnaires ont un salaire supérieur au mien", rit-elle avec ironie. "Je travaille avec un jeune intérimaire qui touche presque 1 600 euros net, illustre Violette. On n'a plus envie de s'investir dans une boîte qui ne nous revalorise pas."

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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