L'avenir selon les salariés de PSA : "On va sauter de l'avion sans parachute"
En rejetant un recours des syndicats CGT et Sud, la justice valide pour le moment le plan de reclassement de la direction, prévu pour accompagner la fermeture du site d'Aulnay en 2014. Nous avions recueilli des témoignages d'ouvriers avant la décision.
"On peut être fiers de notre combat, fiers de nos trois mois de grève !" Perché sur une estrade, Jean-Pierre Mercier harangue une petite foule d'irréductibles, mercredi 24 avril. Le délégué CGT du site PSA d'Aulnay, voué à la fermeture, et une centaine de grévistes sont venus crier leurs revendications sous les fenêtres du siège parisien du constructeur automobile, où se déroule le conseil annuel des actionnaires. Fiers lorsqu'ils regardent en arrière, ces salariés en colère n'en sont pas moins inquiets lorsqu'ils s'interrogent sur l'avenir.
Le petit groupe, compact, marche d'un même pas jusqu'à la place de l'Etoile, à Paris. Le cortège s'engouffre dans le RER, direction l'usine d'Aulnay (Seine-Saint-Denis). D'ici quelques mois, certains d'entre eux auront fait un choix. D'autres auront subi une décision. Tous auront changé de vie : la SNCF, la RATP et Aéroports de Paris ont assuré qu'ils engageraient des anciens de PSA. L'entreprise ID Logistics, qui pourrait s'établir sur les lieux de l'usine, a aussi promis de recruter parmi les ouvriers. Enfin, plusieurs centaines d'employés devraient rejoindre d'autres usines PSA en région parisienne et en France.
Alors que la justice vient de trancher sur la validité de ce plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), les salariés font part à francetv info de leurs doutes et de leurs incertitudes sur ce qui les attend après la fermeture en 2014.
Pour les jeunes, le pari risqué de la reconversion
Ahmed travaille à l'usine PSA depuis 1998. L'abandon du site ? "Je le sentais venir", assure-t-il. Avant ce coup de massue survenu en juillet, "j'avais pris mes dispositions" explique le père de famille de 38 ans. En 2010, il a suivi une formation de trois mois au métier de chauffeur de taxi, grâce au Fongecif (Fonds de gestion des congés individuels de formation). "J’ai aussi une formation commerciale, je ne suis pas sans bagage comme c'est le cas de beaucoup de mes collègues." Il sait que son profil est hors du commun. "L'immense majorité n'a pas l'intention de monter sa boîte", prévient-il, en balayant du regard des hommes grisonnants installés sur les strapontins.
Avec un loyer de 900 euros, une compagne qui enchaîne les contrats d'intérim et deux enfants, les conditions d'entrée dans cette nouvelle vie l'inquiètent. Pour rebondir, les grévistes demandent ainsi, pour chaque salarié, une indemnité de départ de 130 000 euros. "Evidemment, s'il y avait du travail dehors, ce serait différent...". Mais il n'y en a pas, ou trop peu, estime Ahmed, ancien syndiqué aujourd'hui "sans étiquette".
A 29 ans dont dix à PSA, Saline connaît le sens du mot "crise". Son conjoint, qui travaille dans le bâtiment, vient d’être licencié. Lorsqu'elle est rentrée de son congé maternité en janvier, la grève a débuté. Alors, elle a décidé qu'elle en serait, "pour les enfants". Parce qu'elle sait que le pari de la reconversion s'annonce risqué et qu'après Aulnay, "il faudra retravailler rapidement", elle hésite : "J'ai pensé à gardienne d'immeuble, taxi, peut-être."
La mutation, une solution pour certains...
Depuis le début du conflit social, 300 personnes ont déjà décidé de tenter l'expérience dans une autre usine du groupe. Ils ont été "prêtés" à des sites voisins, pour une durée d'un mois renouvelable. Des départs temporaires et volontaires, encouragés par la direction. Mais dans l'attente de la signature du PSE, qui prévoit 1 500 mutations en direction de Poissy (Yvelines), nul ne sait quels seront les postes à pourvoir, ni même les salaires proposés, déplorent les ouvriers. Seule certitude : la cadence y a été revue à la hausse, pour compenser la faible production d'Aulnay, au ralenti depuis plusieurs semaines en raison de ces transferts de main-d'œuvre (seule une dizaine de voitures sortent chaque jour, contre 350 en temps normal).
"Vous croyez qu'à Poissy, ils nous accueillent avec un poste et un salaire équivalent ? demande Farid, blasé, derrière une large paire de lunettes de soleil. J'ai un copain cariste qui est parti. La-bas, il est opérateur ! Ils nous casent là où il y a de la place." Les histoires de collègues revenus déçus de cette excursion hors les murs d'Aulnay se partagent devant les grilles de l'usine. "Quand ils arrivent, on leur dit : 'vous n'êtes pas à Aulnay ici !' On a une réputation." Ou plutôt une histoire, corrige-t-il, rappelant qu'en 1982, les ouvriers avaient obtenu, par la grève, l'amélioration des conditions de travail.
Lui craint de payer son engagement et parie sur la mise à l'écart des grévistes au moment du reclassement. "Et pour se retrouver dans la même situation à Poissy dans cinq ans ? Non merci ! lance-t-il dans un rire jaune. Parce que si nous, on cède, derrière, ça va être du gâteau pour faire plier les autres usines."
... une impasse pour d'autres
Domingo se verrait bien rester à Poissy, "dans l'idéal", après la fermeture d'Aulnay. "Je ne veux que travailler", souffle-t-il. Si les salariés reconnaissent des tensions dans l'usine en sursis, ils assurent à sa sortie que ceux qui partent fuient surtout l'oisiveté pesante qui règne depuis la quasi-interruption de la production. Gréviste ou pas, l'hostilité se manifeste à l'égard de la direction et des cadres qui la représentent, "qui nous fliquent", pestent certains salariés.
Pourtant, la mutation s'avère parfois compliquée. "J'ai demandé à aller à Saint-Ouen [Seine-Saint-Denis]", explique Mohamed. "On m'a dit qu'on ne pouvait me prêter qu'à Poissy. Mais commencer à 5h30 dans les Yvelines, sans moyen de transport, c'est impossible", déplore l'ouvrier de 48 ans, assis à l'avant de la navette qui le ramène à Paris.
Pour Félix, installé plus loin, les anciens n'ont guère le choix. "Après vingt ans de boîte, il est plus prudent de demander la mutation. Il va falloir se donner à 300%, accepter une perte de salaire et faire de gros efforts. Mais soyons réalistes : sans diplôme, à 50 ans sur le marché du travail, il n'y a pas grand-chose à faire."
Le spectre du chômage
En annonçant l'abandon de l'usine, Philippe Varin, patron de PSA, avait promis qu'il n'y aurait "aucun licenciement brut". En février, les locaux du pôle de mobilité professionnelle (PMP) ont été ouverts à Saint-Denis, à une quinzaine de kilomètres de l'usine. Le matin, des navettes y conduisent les volontaires, soucieux de glaner des informations sur les options qui s'offrent à eux. Par curiosité, Laurent*, 42 ans, raconte avoir saisi cette opportunité de la direction. Il en est revenu ulcéré : "On nous explique avec des vignettes ce que va contenir le PSE", décrit ce salarié chargé du contrôle des véhicules. "Sachant que le PSE n'est pas encore validé, personne ne sait rien sur rien", s'agace-t-il. "J'ai demandé quels seraient les salaires proposés sur les autres sites, personne n'a su me répondre." Du coté de la direction, on assure que les interlocuteurs seront à la hauteur du défi du reclassement. Les agents du PMP seront prêts à accompagner les salariés qui le souhaitent une fois que le comité central d'entreprise (CCE) du 29 avril aura défini les modalités du plan social, assure le groupe.
Sur le point de se rendre à un briefing d'ID Logistics organisé dans l'usine, Laurent ne cache pas son amertume : "Je n'attends rien de ces initiatives de PSA", tranche-t-il. "On demande d'avoir ce qu'on a eu : un CDI. Je ne parle même pas d'indemnités. Et pourtant, tout ce qu'on nous dit c'est : 'il va falloir vous vendre, les mecs'. Le PMP propose des ateliers '3 minutes pour convaincre' et explique qu'il faudra qu'on refasse notre CV, s'agace-t-il. Ils disent que c'est de l'accompagnement, mais on nous fait sauter de l'avion sans parachute."
Rachid, lui, s'est déjà inscrit à Pôle emploi. Accusé d'avoir jeté un œuf pendant une manifestation, il a été mis a pied puis licencié, comme trois autres salariés. Depuis, il passe une partie de ses journées dans la cabine en préfabriqué qui jouxte l'entrée de l'usine, pour continuer la lutte. Agent de fabrication au montage et père de famille, il demande sa réintégration et "des garanties sur [son] avenir". "Maintenant, mon combat, c'est de revenir, conclut-il. Pour partir dignement, avec les autres."
* Le prénom a été changé à sa demande.
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