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Reprise des sites rentables : pourquoi la loi se fait attendre

Cette promesse de campagne de François Hollande était censée être mise en œuvre dès le début du quinquennat. Mais de nombreux obstacles sont apparus.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
François Hollande le 24 février 2012, dans l'usine ArcelorMittal de Florange (Moselle). (JDD / SIPA)

François Hollande l'a confirmé lundi 11 février : une loi sur la reprise des sites rentables, parfois appelée "loi Florange", sera bien votée par le Parlement. Selon l'entourage du chef de l'Etat, ce "projet ou proposition de loi sera examiné d'ici à l'été" et "fixera à l'entreprise qui ferme un site de production l'obligation de rechercher un repreneur susceptible de permettre son maintien".

L'annonce, remarquée, n'apporte pourtant rien de nouveau. Pendant la campagne présidentielle, en février 2012, cette promesse avait été transcrite sous la forme d'une proposition de loi socialiste déposée au bureau de l'Assemblée nationale. Mais elle n'avait pas pu être inscrite à l'ordre du jour avant la fin de la session parlementaire.

Parmi les auteurs du texte, des députés qui allaient bientôt hériter d'éminentes fonctions : François Hollande, Jean-Marc Ayrault ou Arnaud Montebourg. "Quel que soit mon avenir, comme président de la République ou comme député, je reprendrai ce texte", avait promis François Hollande, en visite sur le site d'ArcelorMittal à Florange (Moselle).

Un an plus tard, la fermeture des hauts-fourneaux de Florange a été actée, tandis que les usines PSA d'Aulnay-sous-Bois et Goodyear d'Amiens-Nord sont vouées à disparaître. Et la promesse de campagne n'est toujours pas devenue loi. Pourquoi ce retard face à "l'urgence sociale" ?

1Parce que l'exécutif hésite sur la forme

"Un projet de loi est en préparation" pour permettre "la vente par voie judiciaire à un repreneur au prix du marché, sans spoliation", affirmait le 1er juin Arnaud Montebourg, tout frais ministre du Redressement productif, dans une interview au Monde (article payant). Les mois passent, puis la promesse réapparaît, toujours dans la bouche d'Arnaud Montebourg. Devant les salariés de Florange, fin septembre, il assure que "le texte est rédigé et achevé sur [son] bureau et qu’il peut être discuté à tout moment à l’Assemblée nationale".

Mais le soir même, Jean-Marc Ayrault, invité sur France 2, évoque un texte distinct, et ne mentionne pas Arnaud Montebourg : "Le groupe socialiste [à l'Assemblée] a préparé, en liaison avec moi, une proposition de loi pour obliger, lorsqu'une entreprise veut vendre, à rechercher un repreneur. Le gouvernement est prêt à l'inscrire à l'ordre du jour."

Projet de loi (émanant du gouvernement) ou proposition de loi (émanant de parlementaires), telle est la question. Qui n'a, à ce jour, toujours pas été tranchée.

2Parce qu'il ne fallait pas froisser les partenaires sociaux

Les annonces d'Arnaud Montebourg et de Jean-Marc Ayrault en septembre avaient fait bondir le Medef et la CFDT, outrés que leurs négociations sur l'emploi, à peine démarrées, se trouvent court-circuitées. Surtout par un pouvoir qui n'a de cesse de vanter le "dialogue social" comme méthode de gouvernement.

Implicitement, le vote d'une telle loi est donc suspendu à l'issue des négociations engagées entre les partenaires sociaux. Mais le texte signé par le patronat et trois syndicats le 11 janvier ne fait nulle mention d'une obligation pour les entreprises à trouver un repreneur en cas de fermeture d'un site viable.

Cet accord étant désormais ratifié (et en cours de transcription législative), un texte distinct sur les reprises de sites va pouvoir être rédigé.

3Parce qu'il y a un risque d'inconstitutionnalité

Après la censure de la taxe à 75% par le Conseil constitutionnel, une nouvelle déconvenue devant les Sages sur une promesse phare de campagne serait du plus mauvais effet. Pas question de prendre le risque, ce qui peut expliquer la prudence de l'exécutif et des parlementaires depuis quelques semaines.

L'an dernier, lorsque les socialistes avaient présenté leur proposition de loi, cette question s'était déjà posée. Patrick Morvan, professeur de droit social à l'université Panthéon-Assas, interrogé par francetv info, estimait que ce texte contrevenait à la liberté d'entreprendre, qui "implique aussi la liberté de ne pas entreprendre, c'est-à-dire de faire cesser une activité". Mais aussi au droit de propriété : "L'expropriation ne peut pas se faire au profit d'un intérêt privé, seulement pour une cause d'utilité publique. Il faudrait donc que l'Etat mette la main à la poche", expliquait-il.

Les rédacteurs potentiels ont conscience de la complexité juridique d'une telle loi. "Notre texte laisse la possibilité à l'employeur de faire des recours et garantit le droit de propriété", affirme-t-on à la CGT, qui planche aussi sur le sujet, citée par Le Monde. "C'est la vie quotidienne du législateur d'arbitrer entre des droits constitutionnels contradictoires", estime pour sa part le député PS Jean-Marc Germain, également interrogé par le quotidien. "Tout est une question de mesure, on ne peut pas exproprier sans prévoir d'indemnisation", prévient toutefois celui qui sera rapporteur du projet de loi sur le marché du travail à l'Assemblée nationale.

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