Stage, alternance, service civique... Comment ces nouveaux contrats ont peu à peu remplacé les postes juniors

Article rédigé par Pauline Lecouvé
France Télévisions
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Pour les jeunes diplômés, enchaîner les périodes de précarité avant d'obtenir un emploi stable est devenu la norme. (FRANCEINFO / JEREMIE LUCIANI)
Pensés pour faciliter l'insertion sur le marché du travail, ces dispositifs (parfois dévoyés par les employeurs) sont devenus un passage obligé pour de très nombreux jeunes diplômés.

Au moins deux, quatre, cinq ans d'expérience requis... Les annonces de postes à pourvoir ouvertes aux candidats juniors semblent avoir disparu. Pour mettre un pied sur le marché du travail, de nombreux jeunes adultes (même diplômés) se tournent donc vers des services civiques, des stages ou reprennent des études en apprentissage. Ces dispositifs sont ainsi devenus un passage obligé.

Diplômée d'un BTS audiovisuel, Louise, 21 ans, a cherché à obtenir un poste de monteuse vidéo à la sortie de ses études, mais face à elle, le mur du manque d'expérience s'est rapidement dressé. "Une association a fini par répondre à un de mes CV en me disant qu'elle pouvait me prendre en service civique", pour une durée de huit mois, raconte-t-elle.

La jeune monteuse iséroise est payée environ 620 euros par mois mais l'association qui l'embauche ne lui verse que 114,85 euros. L'Etat finance le reste pour soutenir l'insertion des jeunes adultes.

Des contrats précaires pour des jeunes qualifiés

Loriane, 24 ans, diplômée en juillet 2022 d'un master d'urbanisme en transition écologique et urbaine, s'est vue elle aussi proposer un service civique à la sortie de ses études. "J'ai fait un stage au second semestre de mon M2. La mission qu'on m'avait confiée continuait encore quelques mois, alors on m'a proposé de rester en service civique", raconte-t-elle.

"La rémunération était bien en dessous de mon niveau d’étude, mais j’ai quand même accepté. Pour l’expérience."

Loriane

diplômée en urbanisme

Pourtant, après son service civique, la recherche d'emploi s'est tout de même révélée compliquée. "Entre décembre et mars, j'ai dû envoyer entre 60 et 70 CV, j'ai été prise à huit entretiens. Presque à chaque fois, on m'a dit que mon profil était intéressant, mais que je n'avais pas assez d'expérience, que j'étais trop jeune", relate Loriane, qui a fini par trouver un CDD de trois ans en tant que chargée de mission à Bruxelles pour la région Centre-Val-de-Loire.

"Le service civique n'est pas un emploi, mais il est utilisé comme tel par de nombreux jeunes. Les jeunes qualifiés se tournent vers ces contrats parce que les secteurs dans lesquels ils veulent travailler sont bouchés", analyse Antoine Dulin, président de la Commission de l'insertion des jeunes au sein du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse. Selon l'Agence du service civique, 34% des volontaires qui s'engagent dans un service civique sont des demandeurs d'emploi.

"C’est devenu la norme pour les moins de 25 ans de passer par une période où ils enchaînent les périodes de précarité. C’est une forme de bizutage."

Antoine Dulin

président de la Commission de l'insertion des jeunes

En effet, selon l'Observatoire des inégalités, 56,9% des salariés de moins de 25 ans occupaient un poste précaire en 2021. Chez les 25-49 ans, ils sont seulement 12,2%. Et cette réalité n'a pas toujours existé. En 1982, seulement 18,7% des salariés de moins de 25 ans occupaient un emploi précaire.

Reprendre les études pour trouver du travail

Dans certains secteurs, les apprentis, les stagiaires et les volontaires en service civique ont en effet remplacé des postes anciennement pourvus par un salarié. Antoine, 23 ans, a effectué trois stages de six mois en parallèle de ses études en affaires culturelles. "Dans le milieu culturel, il n'y a pas d'argent. Les stagiaires, c'est ce qui permet de tenir", constate le jeune homme, qui a grandi en banlieue parisienne.

"J'ai fait un stage dans un musée où les stagiaires changent tous les six mois. Avant, ce poste était un CDI, mais l'ancien salarié est parti et il n’a pas été remplacé."

Antoine

étudiant en affaires culturelles

Malgré ses nombreux stages, Antoine n'a toujours pas trouvé de poste dans son domaine. "A force de faire des stages avec des responsabilités, on s'attend à ça après avoir été diplômé, mais il n'y a pas de poste", déplore le jeune homme diplômé en juillet 2023. Face à ce constat, Antoine a repris des études pour préparer les concours de l'administration publique.

Benjamin, 30 ans, a lui aussi repris des études pour trouver un travail. "Mon entreprise de freelance a fait faillite et je ne retrouvais pas de travail, alors je me suis inscrit à une école en ligne pour pouvoir candidater à des alternances", raconte-t-il. Depuis trois ans, Benjamin est ainsi en alternance dans une start-up de cosmétique, où il touche un smic. "C'est intéressant pour mon entreprise parce que l'Etat subventionne très généreusement l'alternance. Mon entreprise a touché 8 000 euros la première année", explique le trentenaire, originaire de Picardie. Benjamin occupe pourtant un poste aux responsabilités très similaires à celles d'un salarié en CDD ou en CDI.

"Je suis la seule personne qui gère le marketing digital. Je m'occupe de tout."

Benjamin

alternant dans une start-up

"Le même poste en CDI, je pourrais prétendre à un salaire deux voire trois fois plus élevé. L'alternance, c'est intéressant pour se faire de l'expérience, mais c'est sûr que ça tire les salaires vers le bas", regrette-t-il.

Peu de contrôles pour des entreprises sans scrupule

"Au nom de l'insertion, il y a de plus en plus de politiques publiques dérogatoires au droit du travail, qui permettent d'embaucher des jeunes avec un salaire en dessous du smic", constate la sociologue Florence Ihaddadene. En plus de tirer les salaires vers le bas, les stages, services civiques et alternances ont remplacé certains postes, affirme la chercheuse.

"Tous les ans, les postes d’alternants sont remplis avec les mêmes profils. L’alternant qui part est remplacé par un autre alternant, et ainsi de suite."

Florence Ihaddadene, sociologue

à franceinfo

Pourtant, des contrôles existent pour éviter ces détournements, mais selon Florence Ihaddadene, ceux-ci sont "quasi inexistants". "Il y a une extrême tolérance aux employeurs qui renouvellent en boucle les stages, les services civiques, les alternances", observe la chercheuse. "Le but, c'est d'économiser au maximum sur le coût du travail."

Théo, 24 ans, a fait les frais d'une entreprise peu scrupuleuse sur le recours aux stagiaires. "Entre ma quatrième et ma cinquième année d'école d'ingénieur, j'ai fait un stage de six mois dans une grande entreprise de travaux publics. Je me suis retrouvé à gérer seul un chantier, sous la supervision d'une directrice de travaux qui supervisait plusieurs chantiers", raconte le jeune homme originaire d'une famille ouvrière du nord de la France.

"J'occupais un poste d'ingénieur chef de travaux, mais pour 1 600 euros par mois au lieu de 3 000 à 4 000 euros."

Théo

diplômé d'école d'ingénieur

"Mon contrat de stage n'était clairement pas respecté. J'avais des horaires et des responsabilités que ne doit pas avoir un stagiaire", continue Théo, qui se rappelle s'être fait plusieurs fois reprocher de ne pas travailler le week-end. "Les supérieurs considèrent qu'il faut en passer par là. Ils sont passés par là eux-mêmes donc ça leur semble normal", analyse l'ingénieur, aujourd'hui diplômé.

Certaines entreprises veillent cependant à respecter les engagements qui viennent avec l'intégration d'un stagiaire ou d'un alternant dans leur équipe. Dorian Froidevaux, responsable marketing au sein de l'entreprise Inbody, qui commercialise des balances d'analyse corporelle, a fait le choix de prendre une alternante pour l'accompagner dans son travail, mais se dit attentif à ne pas outrepasser les responsabilités qui peuvent être les siennes. "On est une petite équipe avec une charge de travail importante alors oui, je cherchais un profil à qui je pouvais déléguer certaines tâches, qui avait une certaine autonomie. Mais je reste là en filet. S'il y a des erreurs de commises par mon alternante, c'est moi qui les assume", conclut-il.

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