Energie : pourquoi le label vert que veut accorder l'UE au nucléaire et au gaz fait débat et divise les Etats membres
Pour faciliter le financement d'installations contribuant à lutter contre le changement climatique, l'Union européenne propose d'attribuer un nouveau label aux centrales nucléaires et à gaz.
Le nucléaire et le gaz peuvent-ils être considérés comme des énergies "durables" ? La question révèle de profondes divisions entre les pays de l'Union européenne, alors que Bruxelles propose d'octroyer, sous conditions et à titre transitoire, un label vert aux centrales nucléaires et à gaz, qui a déjà été attribué aux énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien. Le but de cette nouvelle classification (appelée "taxonomie verte") est de faciliter le financement d'installations contribuant à lutter contre le changement climatique.
Le projet, dont le texte encore provisoire a été envoyé le 31 décembre aux 27 Etats membres, veut labelliser le nucléaire et le gaz naturel comme des énergies de transition en raison de leur "potentiel de contribution à la décarbonation de l'économie". Il s'inscrit dans l'objectif de neutralité carbone de l'UE en 2050.
Autour du nucléaire, énergie décarbonée fortement défendue par la France, les tensions sont vives à cause des déchets radioactifs qu'elle génère. L'incompréhension concernant le gaz est due au fait qu'il s'agit d'une énergie pour l'instant principalement fossile. Franceinfo détaille les raisons de cette discorde.
Parce que les pays de l'UE ont des stratégies et des difficultés différentes
L'Allemagne "accepte d'être en désaccord" avec la France a fait savoir, vendredi 7 janvier, Anna Lührmann, secrétaire d'Etat allemande en charge des Affaires européennes. Cette déclaration illustre la mésentente non seulement entre Paris et Berlin, mais aussi entre les 27 Etats membres.
Une dizaine de pays, la France en tête, défend activement l'atome. Avec un parc nucléaire important (la France tire 67% de son énergie du nucléaire) mais vieillissant, l'Hexagone souhaite relancer sa filière et a fermement bataillé dans l'espoir de bénéficier de financements avantageux. Paris est appuyé par des pays d'Europe centrale, comme la Pologne ou la République tchèque, qui doivent, eux, composer avec une autre difficulté : le remplacement de centrales à charbon très polluantes.
En face, des Etats se montrent très réticents, comme le Luxembourg ou l'Autriche. "Il est clair que le gaz naturel, énergie fossile, n'a rien à faire dans la taxonomie, et il est tout aussi clair que le nucléaire non plus : il ne contribue pas à la protection du climat", a ainsi tranché la ministre de l'Environnement autrichienne, Leonore Gewessler. "L'énergie nucléaire et le gaz sont nuisibles à l'environnement et détruisent l'avenir de nos enfants." Et d'avertir : "Si la Commission fait une proposition [incluant le nucléaire], nous prendrons des dispositions, y compris une procédure juridique si nécessaire." Tout aussi opposée au nucléaire, l'Allemagne, elle, reste sur la trajectoire prise après la catastrophe de Fukushima en 2011, avec la volonté de fermer progressivement ses centrales nucléaires encore en activité.
Cette taxonomie "a été une grosse bataille. Cela a vraiment tangué au niveau européen", commente pour franceinfo Nicolas Goldberg, consultant énergie chez Colombus consulting. "La France a énormément poussé parce que le nucléaire aura besoin d'aides d'Etat, et il est plus facile de les demander quand on est classé dans une taxonomie verte", résume-t-il.
Parce que la question des déchets radioactifs est minimisée
Le nucléaire émet très peu de CO2, un gaz à effet de serre (GES) bien connu qui compte parmi les principaux responsables du réchauffement climatique. Cela fait de l'atome une alternative de choix pour ceux qui prônent une augmentation de la production d'électricité tout en défendant l'objectif de neutralité carbone.
Mais le recours au nucléaire s'accompagne de l'épineuse gestion des déchets radioactifs. "Le nucléaire n'est pas une énergie durable, parce que nous ne savons pas ce qu'il adviendra des déchets nucléaires", a jugé Anna Lührmann, secrétaire d'Etat allemande aux Affaires européennes, mettant en avant un argument récurrent chez les opposants au nucléaire.
Si la Commission européenne compte exiger des garanties, en demandant notamment aux Etats d'être en capacité de gérer les déchets générés par l'activité nucléaire, l'ONG Greenpeace rappelle que "près d'un million de mètres cubes de déchets radioactifs provenant de la production d'électricité nucléaire d'EDF s'accumulent déjà sur le territoire français". L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a d'ailleurs appelé en juin dernier l'Etat français à agir au plus vite sur ce sujet. "Des décisions seront nécessaires, à court terme, afin que des filières de gestion sûres soient disponibles pour tous les types de déchets radioactifs dans les 15 à 20 ans à venir", a souligné l'instance. Pour les déchets les plus dangereux et radioactifs, dits "de haute activité et à vie longue" (HAVL), l'ASN estime que "l'entreposage de longue durée ne peut pas constituer une solution définitive".
La France, comme la Finlande, n'est pas la plus en retard puisqu'elle a déjà développé des plans de gestion de ces déchets. En revanche, "d'autres pays vont devoir s'en doter, surtout concernant les déchets nucléaires de haute activité. Par exemple, si la Pologne veut construire une centrale, elle devra y penser", souligne Nicolas Goldberg auprès de L'Usine nouvelle.
Parce que la Commission européenne recommande elle-même de réduire le recours au gaz
Classer le gaz naturel comme une énergie de transition est un non-sens, selon Neil Makaroff, du Réseau Action Climat. "Le gaz est la première source d'émission de gaz à effet de serre du secteur électrique en Europe, devant le charbon", assure-t-il au site spécialisé Reporterre. "D'après la Commission européenne elle-même, pour respecter nos objectifs climatiques, il nous faut réduire notre consommation de gaz de 36% d'ici 2030", rappelle-t-il. "Là, nous ferons le contraire : investir dans cette ressource fossile !"
"Le gaz fossile, que nous utilisons principalement aujourd'hui, n'est pas compatible avec la neutralité carbone", observe Nicolas Goldberg auprès de franceinfo. Toutefois, selon lui, le gaz s'avère indispensable. Et "pour les pays sans nucléaire, il sera nécessaire", fait valoir le consultant.
"Le gaz est un vecteur dont on aura toujours besoin à l'avenir. L'électricité ne pourra pas tout faire et le nucléaire non plus."
Nicolas Goldberg, consultant énergie chez Colombus Consultingà franceinfo
L'idée est donc de développer du "gaz décarboné", ou bas carbone, comme le biométhane ou l'hydrogène, pour tenir les objectifs de neutralité carbone. "Les centrales à gaz permettent d'accélérer la sortie du charbon - elles émettent aujourd'hui deux fois moins de CO2 et vont se verdir - et du fioul, et sont un complément à l'intermittence des renouvelables", s'est réjoui dans les colonnes du quotidien économique Les Echos Claire Waysand, directrice générale adjointe d'Engie.
Parce que des conditions posées pour les centrales à gaz sont floues
Selon la proposition présentée par Bruxelles aux Etats membres, le label vert sera accordé aux futures centrales à gaz sous plusieurs conditions, notamment la réduction de leurs émissions de GES. Si les nouvelles centrales à gaz, qui doivent remplacer d'anciennes infrastructures polluantes, obtiennent leur permis de construire avant fin 2030, elles devront générer moins de 270 grammes de CO2 par kilowatt-heure (kWh) d'électricité produite.
"Toutes les centrales à gaz en Europe ont actuellement des seuils supérieurs", remarque Nicolas Goldberg, qui s'interroge sur les mesures à appliquer pour les faire rentrer dans la nouvelle classification. Un autre seuil a été déterminé pour les centrales à gaz obtenant leur permis avant le 31 décembre 2030 : il est de moins de 500 kilogrammes de CO2 par kilowatt de capacité en moyenne sur vingt ans. Ce point fait tiquer Nicolas Goldberg. "Je ne comprends pas ce seuil. (...) Avec une moyenne sur vingt ans, c'est incontrôlable", juge-t-il.
Enfin, si le permis de construire est délivré à partir du 1er janvier 2031, le seuil d'émissions est fixé à moins de 100 g de CO2 par kWh. Des experts jugent que ce seuil est inatteignable avec les technologies actuelles.
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