Pourquoi la justice enquête sur la Cité du cinéma de Luc Besson
Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur les conditions de financement de la construction et du fonctionnement de ce petit Hollywood sur Seine.
De riches producteurs de cinéma, des hommes politiques puissants et des dizaines de millions d'euros. Les protagonistes de l'affaire sont dignes d'un film policier. Les soupçons du parquet de Paris sont suffisants pour qu'il décide d'ouvrir une enquête préliminaire, jeudi 19 décembre. La police judiciaire va désormais se pencher sur les conditions de financement de la construction et du fonctionnement de la Cité du cinéma, créée en banlieue parisienne par le réalisateur Luc Besson.
Qu'est-ce que cette Cité du cinéma ?
La Cité du cinéma a été inaugurée en septembre 2012 en Seine-Saint-Denis. C'est un gigantesque complexe dédié au septième art. Cet ensemble de 62 000 mètres carrés rassemble neuf studios de tournage, des ateliers de fabrication de décor, des bureaux, une salle de projection et une école de cinéma. Il permet la production de films de A à Z en France.
Ce petit Hollywood avec vue sur Seine a été implanté sur le site d'une ancienne centrale électrique, à Saint-Denis. L'ambition affichée par ses concepteurs lors de son lancement est d'en faire un "Hollywood à la française", capable de rivaliser avec les grands studios de ses voisins européens.
Il a nécessité quelque 170 millions d'euros d'investissements et l'implication des pouvoirs publics par le biais de la Caisse des dépôts. Le montage financier a été bouclé en 2008. Sur ces 170 millions, 140 ont été consacrés à l'achat du foncier. Il est détenu à 100% par la société Nef-Lumière : 75% pour la Caisse des dépôts, 25% pour Vinci. Les 30 autres millions ont servi à la construction des plateaux de tournage via différentes sociétés de Luc Besson et Quinta communications, le groupe du producteur et homme d'affaires tunisien, Tarak Ben Ammar.
Pourquoi la justice s'intéresse à son financement ?
Tout commence par une "note confidentielle" de la Cour des comptes, transmise à la justice et révélée par Le Parisien à la mi-novembre. Les magistrats de la rue Cambon y évoquent des soupçons de détournements de fonds publics qui auraient entaché le financement du projet.
Selon la note publiée par le quotidien, "le financement public de la Cité du cinéma" a été "décidé par quelques hauts responsables publics". Il "a été effectué pour permettre l'aboutissement du projet qu'une société privée portait pour son bénéfice". Et surtout "le caractère général du projet restant à démontrer". Par conséquent, "les conditions de financement de montage et de financement de l'opération (...) sont susceptibles de caractériser le délit de détournement de fonds publics et de recel de ce délit."
C'est sur ces soupçons que l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales de la police judiciaire va désormais enquêter.
Deux points retiennent l'attention des sages. La Cité du cinéma serait d'abord un projet "à risque" depuis l'origine de sa création, écrit la Cour des comptes : "En 2004, la Caisse des dépôts, saisie d'une première demande, l'avait jugée trop risquée et l'avait rejetée : la rentabilité de l'opération était 'hasardeuse' car 'fortement liée à la capacité du territoire français à attirer d'importantes productions internationales'."
Et la part élevée de la contribution publique constitue un problème supplémentaire, alerte la Cour des comptes : "Depuis 2010, la Caisse des dépôts est propriétaire à 75% de l'ensemble immobilier construit (...) Or, en prenant 75% du capital de la Nef Lumière [la société ayant acquis l'immeuble construit pour 156 millions d'euros], la Caisse des dépôts ne s'est pas comportée en investisseur avisé." La note de la Cour des comptes fustige également la mise en place d'un crédit de 84,4 millions d'euros en 2009, accordé par des banques au plus fort de la crise financière.
Pourquoi des soupçons pèsent sur Sarkozy et son entourage ?
Dans sa note, la Cour des comptes évoque l'insistance de l'Elysée, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, à voir le projet aboutir.
"Les documents présentés font régulièrement mention de l'intérêt porté en haut lieu au projet, et notamment au souhait de la présidence de la République de le voir aboutir", souligne l'institution. Et elle ajoute : "La proximité de M. Besson et de certains de ses collaborateurs avec les plus hautes autorités de l'Etat a pu favoriser une intervention concertée des acteurs publics."
Parmi ces collaborateurs figure le directeur général d'Europacorp, Christophe Lambert. Il a "travaillé auprès de Nicolas Sarkozy pendant la campagne de 2007", écrit la Cour. Et il est devenu le conseiller en communication de Jean Sarkozy, fils de l'ancien président.
Comment se défend Europacorp ?
Europacorp, la société de Luc Besson, s'était indignée, dans un communiqué, mi-novembre, de "cette mise en cause indue" de la Cour des comptes. Elle relevait n'avoir "été interrogée par personne". Elle déplorait "que cette magnifique réalisation soit prise en otage pour des règlements de comptes politiques".
Le groupe soulignait qu'il "n'a bénéficié d'aucune aide financière publique d'aucune sorte pour sa réalisation". Il rappelait que la Cité du cinéma "a été financée par un partenariat public-privé (La Caisse des Dépôts et le Groupe Vinci) et c'est ce modèle de financement qui a permis sa réalisation – sans l'intervention financière de la Seine-Saint-Denis".
La "mini major" avait aussi indiqué qu'elle comptait porter plainte pour diffusion d'informations fausses ou mensongères, et pour diffamation à l'encontre du quotidien Le Parisien/Aujourd'hui en France.
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