Est-ce bien utile d'envoyer les députés faire un stage en entreprise ?
L’association patronale Entreprise et Progrès a annoncé lundi qu’elle proposerait aux députés d'effectuer un stage d'une semaine auprès d'un patron pendant la pause parlementaire.
Les députés votent toute l'année des lois sur l'économie et l'emploi, mais ne sont pas assez nombreux à avoir une expérience en entreprise, estime l'association patronale Entreprise et Progrès. Partant de ce constat, le collectif, qui regroupe 120 patrons d'entreprises de toutes tailles, a annoncé lundi 6 mai qu’il proposerait aux députés d'effectuer un stage d'une semaine en entreprise pendant la pause parlementaire.
Initiative salutaire pour réconcilier les politiques avec le monde de l'entreprise ou simple gadget ? Francetv info a demandé à des députés s'ils trouvaient l'initiative vraiment utile.
Oui, ça leur permettra de voter des lois plus adaptées à la réalité du terrain
Parmi les députés enthousiasmés à l'idée de passer une partie de leur été dans un open-space ou un atelier plutôt qu'à la plage, on trouve Laurent Grandguillaume. Cet élu PS de Côte-d'Or, qui a quitté le secteur privé en 2001, juge que ce stage lui permettra de "sortir la tête du guidon". "Cela ne peut me faire que du bien, car on est rapidement pris par les impératifs de la vie parlementaire", explique-t-il à francetv info. Il voit dans cette "immersion" un moyen d'obtenir "une vision plus fine" des problématiques pratiques des entreprises, qui lui permettra d'adapter son travail législatif à la réalité du quotidien du privé.
"Cela permettra par exemple à certains de se rendre compte de la difficulté de traiter les marchés publics", renchérit Thierry Solère, élu UMP des Hauts-de-Seine qui a eu à s'occuper de ces questions lorsqu'il travaillait chez Aliapur, une entreprise chargée du traitement des pneus usagés. Patrice Carvalho, député communiste de l'Oise, emballé par l'idée du stage, ajoute que son expérience d'ouvrier chez Saint-Gobain lui a été utile au moment de voter certaines lois. "Lors du débat sur les 35 heures, un amendement qui prévoyait qu'un salarié ne pouvait pas passer plus de six mois à un poste fixe avait été déposé. Or je peux vous dire que chez Saint-Gobain, pour manipuler un four industriel, il faut bien plus de six mois d'expérience ! L'amendement a finalement été abandonné."
Non, car on ne se forge pas une culture d'entreprise en une semaine
Interrogés par francetv info, deux parlementaires ayant été entrepreneurs estiment que la durée de ces stages d'été est bien trop courte pour être bénéfique. "Je ne trouve pas ça très pertinent, affirme Sophie Errante, députée PS de Loire-Atlantique. Ce n'est pas en se rendant dans une seule entreprise, pendant une semaine, qu'un député pourra se forger une opinion sur la situation du privé dans le pays." Cette élue, qui a créé en 2000 son entreprise d’équipement d'hôpitaux en matériel et consommables, préfère à ces courtes plages d'immersion des rencontres hebdomadaires avec les patrons et les salariés d'entreprises de sa circoncription. "Ils apprécient la démarche, et cela permet de faire émerger des problématiques communes et des solutions concrètes", explique-t-elle.
Son camarade de l'Ariège, Alain Fauré, juge carrément que l'initiative est une "ânerie". Il reconnaît qu'il est "difficile pour un député qui n'a jamais été patron de comprendre le stress d'une fin de trimestre, lorsqu'il faut payer ses cotisations à l'Urssaf". Mais cet ancien commercial, qui a créé son entreprise de bureautique en 2006, considère lui aussi qu'il est difficile de tirer des leçons après huit jours passés en compagnie d'un patron. "Qui peut penser sérieusement qu'un député ayant fait toute sa carrière en politique puisse saisir en une semaine les problématiques qu'un exploitant agricole ou un artisan plâtrier rencontre tout au long de l'année ?" lance-t-il.
Oui, les patrons réaliseront que le travail d'élu est plus complexe qu'ils ne le pensent
S'ils sont divisés sur l'opportunité de ce stage estival, les députés interrogés par francetv info s'accordent en tout cas sur un point : le monde de l'entreprise a des choses à apprendre du fonctionnement de l'Assemblée. Lors des visites dans les entreprises de sa circonscription, Sophie Errante constate ainsi que les patrons l'interpellent régulièrement avec un problème précis à régler. "Ils doivent comprendre qu'en tant que députés, notre vision doit être avant tout nationale et équitable. Nous ne sommes pas là pour faire du clientélisme et créer des lois qui ne répondraient qu'à une situation particulière", dit la députée de Loire-Atlantique.
En côtoyant des élus, les patrons pourraient en outre se rendre compte qu'un député ne passe pas son temps à rédiger et voter des lois, ajoute Laurent Grandguillaume. "Notre charge de travail est importante et méconnue. En plus de légiférer, nous effectuons aussi un contrôle de l’exécutif, nous rédigeons des rapports pour évaluer les politiques publiques..." Autant de tâches chronophages mais indispensables au fonctionnement du Parlement.
Non, il ne suffit pas d'avoir connu le privé pour être un bon élu
Si l'ancien mécanicien de Saint-Gobain Patrice Carvalho se dit parfois sidéré d'avoir à expliquer à des confrères "le jargon le plus basique du monde industriel", d'autres élus estiment que les différents profils des députés créent une complémentarité qui permet de légiférer efficacement. "Il faut de tout dans une assemblée !" estime ainsi Thierry Solère. "Je ne pourrais pas dire à un collègue issu de la fonction publique qu'il ne fait pas un bon député, tout comme je n'accepterais pas que l'un d'entre eux me reproche d'avoir fait carrière dans le privé", continue l'élu des Hauts-de-Seine. "Un député ne peut pas être spécialiste de tout", renchérit Sophie Errante.
Pourtant, ceux qui, comme eux, étaient employés du secteur privé avant 2012 sont loin d'être majoritaires. Une étude sur "les députés et l'entreprise" réalisée par Olivier Costa, chercheur au CNRS et professeur à Sciences Po Bordeaux, concluait en décembre que la voie royale pour accéder à l'Assemblée restait "la politique locale (...), les instances des partis ou les cabinets ministériels ou encore les syndicats et associations", rapporte Le Monde.fr (article abonnés).
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