Fonction publique : pourquoi la France a tant de mal à réduire les dépenses ?
Alors que la Cour des comptes préconise une fois de plus de réduire les effectifs, retour sur les raisons qui rendent le sujet épineux.
Une fois de plus, la Cour des comptes dresse un constat sévère concernant les dépenses de la France dans la fonction publique. Le gel du point d'indice "ne suffira pas", prévient-elle dans son rapport publié jeudi 27 juin. L'institution suggère d'agir sur les salaires, les effectifs ou le temps de travail des fonctionnaires. Ces préconisations semblent sonner comme un refrain : en 2009 déjà, la Cour épinglait l'augmentation continue des effectifs de la fonction publique depuis 1980. Nicolas Sarkozy avait à l'époque institué le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Plus souple, François Hollande a mis fin à cette pratique. Il a réagi vendredi en affirmant que les fonctionnaires ne devaient pas servir de "variable d'ajustement". Mais il a aussi répété son engagement à stabiliser les effectifs pour réaliser des économies. La question de la fonction publique ressemble à un éternel problème impossible à résoudre. Pourquoi tant de difficultés ?
Un sujet politiquement sensible
Réduire les effectifs, tout le monde est d'accord dans l'idée. Mais dans les faits, on voudrait comme "y toucher sans y toucher". Les deux gros contingents de fonctionnaires se trouvent en effet dans l'Education nationale et l'Intérieur, "deux secteurs sur lesquels il est difficile d'agir sans faire réagir l'opinion", souligne Laurent Fargues, rédacteur en chef adjoint du magazine Acteurs publics, interrogé par francetv info. On se souvient de nombreuses manifestations de professeurs et parents d'élèves contre les suppressions de classes durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Quant aux forces de l'ordre, même l'UMP, plus encline à prôner la réduction du nombre de fonctionnaires, avait estimé en 2009 que les effectifs de la police devaient être épargnés.
François Hollande a bien compris l'attachement des Français aux professeurs, en faisant de la création de 60 000 postes dans l'Education nationale l'une des promesses phares de sa campagne. Il veille aussi à ce que la sécurité et la justice restent prioritaires. Mais les créations de postes dans ces ministères se font au détriment d'autres postes de la fonction publique. Tout en réduisant les dépenses, l'exécutif est sans cesse obligé de "cajoler et redistribuer le peu de grain à moudre disponible" aux fonctionnaires, note Le Monde. Car il doit se garder d'éveiller la colère des quelque 5,3 millions d'agents employés par l'Etat, les collectivités locales et les hôpitaux. Cela aurait un effet politique dévastateur.
Un manque de réflexion sur les missions de l'Etat
"Le gouvernement nous avait promis qu'il romprait avec la logique comptable de l'ère Sarkozy, et voilà qu'il affiche un objectif chiffré sans avoir d'abord défini les missions de l'Etat !", déplorait Brigitte Jumel, de la CFDT Fonction publique, dans Le Monde en juillet 2012. Elle touchait là au cœur du débat : réformer la fonction publique n'est pas un simple problème mathématique. Il s'agit aussi de s'interroger sur l'évolution du rôle de l'Etat dans la société.
Mais cela, aux dires de nombreux observateurs français et étrangers, est pratiquement impossible en France. "Les Français vivent dans le souvenir de leur histoire. Ils ont beau être conscients des difficultés actuelles, ils refusent de changer", regrettait encore dernièrement un journaliste de l'hebdomadaire Der Spiegel, dans un article traduit par Courrier international. L'hebdomadaire libéral britannique The Economist, habitué du genre, titrait, lui, sur "le déni" de la France au moment de la présidentielle de 2012.
Là encore, la question est loin d'être neuve. "Il s'agit surtout d'améliorer l'organisation de l'Etat (...), notait en 2005 l'économiste Patrick Artus, dans La Revue Parlementaire. On peut mettre en avant le besoin de transfert de personnel de services publics pour lesquels la demande décline (…) vers des services où les besoins ne sont pas satisfaits. Or en France par exemple, une grande rigidité existe sur ce point." En 2009, Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, déplorait dans Le Figaro que l'Etat "gère son personnel sans réfléchir à ses missions".
Le poids des collectivités locales
Les agents de la fonction publique territoriale représentent quelque 1,8 million d'employés sur lesquels l'Etat n'a pas de prise. Les communes, conseils généraux et régionaux sont maîtres du budget qu'ils allouent à l'emploi d'agents publics. Dans ces collectivités locales, les effectifs ont augmenté de 71% entre 1980 et 2008. Et les transferts de compétences de l'Etat vers les territoires n'expliquent pas tout : "Il est paradoxal de constater que les plus fortes augmentations d’effectifs se sont produites dans les catégories de collectivités – communes et leurs groupements – qui n’ont guère été concernées par des transferts significatifs de compétences", déplorait la Cour des comptes dans son rapport Les effectifs de l’Etat 1980-2008, publié en 2009.
Toutefois, lassés d'être pointés du doigt, les élus locaux, via leurs principales associations, ont rendu publique en février une étude commandée au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), dans laquelle la hausse des effectifs, hors transferts de compétences, est relativisée.
Les syndicats montrés du doigt
Les fonctionnaires eux-mêmes auraient-ils une part de responsabilité ? Le Point, qui titre vendredi "Fonctionnaires, les chouchous du pouvoir", pointe du doigt le conservatisme supposé des organisations syndicales de la fonction publique. "Les syndicats veillent. Les audacieux qui se hasarderaient à plaider pour quelque réforme sont bien placés pour le savoir", écrit l'hebdomataire de droite.
A chaque manifestation, la critique refait surface. Lors de la manifestation des fonctionnaires le 31 janvier, Jean-Francis Pécresse, éditoraliste des Echos, écrivait : "Dans le contexte particulier d'aujourd'hui où mille chômeurs s'inscrivent chaque jour à Pôle emploi, cette revendication a quelque chose d'insolent." Et il concluait que les agents publics ne devraient pas s'estimer "maltraités par un pouvoir qui s'abstient soigneusement de s'intéresser à leur statut, à leurs retraites et à leur productivité".
Pourtant, le pouvoir des syndicats est à relativiser. Leur mobilisation n'a ainsi pas empêché la reconduite du gel du point d'indice en 2014. De même, ils n'ont pas eu gain de cause sur les salaires, qui, comme le rappelait notre confrère de France 2 François Lenglet, stagnent depuis près de quinze ans.
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