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"La population nous fait des dons" : en grève générale depuis le 23 juillet, le CHU de Guadeloupe est à bout

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Patients et employés attendent à l'extérieur du CHU de Guadeloupe après son évacuation suite à un incendie, le 28 novembre 2017. (HELENE VALENZUELA / AFP)

Les habitants de l'archipel sont invités à manifester mardi 13 août pour soutenir le personnel du centre hospitalier de Pointe-à-Pitre. Ce dernier dénonce le délabrement des conditions de soins depuis l'incendie de novembre 2017.

"Je suis arrivée aux urgences à 23 heures. J'ai pu voir un médecin, le seul je pense, à 4 h 35." Arrivée en ambulance au CHU de Pointe-à-Pitre, après une allergie aux écrevisses dans la soirée du 27 juillet, Coco, 20 ans, se souvient avoir été soignée par un personnel hospitalier "fatigué" et un médecin "à bout". "Il a utilisé la lampe de son téléphone pour voir ma gorge. Et pour prendre mon cachet, il m’a donné de l’eau dans un tube s’excusant de ne pas avoir de gobelet à me proposer", raconte Coco à franceinfo. Placardées sur les murs du couloir de l'hôpital, les affichettes déplorant des "urgences en souffrance" ne lui ont pas échappé.

En grève générale depuis le 23 juillet, et même depuis le 10 juillet aux urgences et à la maternité, les employés de l'unique CHU de Guadeloupe ne cessent de dénoncer des conditions de travail et de soins compliquées. Et peuvent compter sur le soutien des Guadeloupéens : plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues de Pointe-à-Pitre jeudi 1er août, et une nouvelle mobilisation est attendue pour le 13 août. La situation critique au CHU perdure depuis l'important incendie du 28 novembre 2017, qui a ravagé les services des urgences et la maternité, et peine à être résolue, laissant le personnel soignant livré à lui-même.

Manque de médecins et burn out

"La situation s'est énormément dégradée depuis l'incendieJe suis fatiguée mais on n’a pas le droit de baisser les bras", lâche Lesly Caneval, infirmière aux urgences, arrivée au CHU en 2010. "Le combat me fait tenir car la cause est juste. Mais j’ai pas mal de collègues en burn out." Depuis le sinistre, son service a été délocalisé quatre fois. Il se trouve désormais à l'endroit qui recevait les consultations externes.

Mais, selon le personnel, ces locaux ne sont pas adaptés. Ainsi, la salle de déchocage, située à l'étage, oblige le personnel soignant à monter pour réanimer les personnes. Dans la pratique, les médecins se retrouvent souvent à effectuer des massages cardiaques au rez-de-chaussée, dans le couloir, où ils sont bousculés en permanence. "C'est notre quotidien malheureusement", relève l'infirmière de 34 ans, qui évoque le départ de nombreux médecins, usés par le manque de moyens. 

Le plus compliqué à gérer, c'est la pénurie de médecins. Nous n’en avons plus que quatre voire cinq au lieu de seize habituellement. Pour la plupart, ils ont démissionné après l’incendie. 

Lesly Caneval, infirmière

à franceinfo

La situation est tout aussi alarmante du côté du service maternité, comme le décrit Raïssa Chatenay-Rivauday, sage-femme de 36 ans. Si l'ancienne maternité n'était déjà plus "aux normes incendie depuis 2015""la polyclinique où nous sommes installés depuis le sinistre n’est pas adaptée". "Nous avons beaucoup de personnel et de patients à gérer au quotidien dans un lieu exigu", explique-t-elle, en dénonçant des "conditions de travail difficiles". Son service, auparavant réparti sur trois étages, est actuellement tassé sur un seul étage. "Nous sommes passés de 80 lits à 20 lits avec le même nombre de patientes à gérer", décrit la sage-femme, démunie.

Box sans porte, fuites d'eau et pénurie de matériel

Cette situation n'est pas sans conséquences pour les patientes. Dès l'entrée du service, tout se complique pour elles. Absence de rampe d'accès, ascenseur en panne et escalier "impraticable" ne facilitent pas la venue des futures mères, souvent "pliées en deux par la douleur", se désole Raïssa Chatenay-Rivauday, en poste depuis onze ans. A l'intérieur, les box sont insuffisants pour recevoir en toute discrétion, créant des problèmes de promiscuité et de confidentialité médicale. 

Nous sommes obligés de placer dans la même chambre des femmes qui vont accoucher avec celles qui ont déjà leur bébé ou celles qui ont perdu le leur. Psychologiquement, c'est dur pour elles...

Raïssa Chatenay-Rivauday, sage-femme

à franceinfo

Un troisième lit a été installé dans les chambres doubles, laissant peu de place pour installer des berceaux supplémentaires ou des appareils de monitoring, précise la sage-femme. 

Chambre double avec trois lits, sans place pour y ajouter des appareils de monitoring ou des berceaux supplémentaires, dans la maternité du CHU de Guadeloupe, le 8 août 2019. (RAISSA CHATENAY-RIVAUDAY)

Quant aux salles de travail, même si un coup de peinture a été donné, "les gros problèmes n’ont pas été réglés" se désole la sage-femme. "Il y a des problèmes de canalisation avec des remontées d’eau usée et d’odeurs. Ça fuit également dans les étages inférieurs où se trouve la néonat avec les prématurés. Du coup, il y a de la moisissure qui s’installe. Avec des nourrissons sans défense immunitaire, c’est problématique", alerte la soignante. Des vidéos montrant des fuites d'eau à différents endroits du CHU ont ainsi récemment circulé sur les réseaux sociaux. 

Sa collègue des urgences s'inquiète davantage pour l'avenir car au-delà "des fuites d’eau et des dalles du plafond qui tombent, nous entrons dans une période cyclonique et nous ne sommes pas en mesure de gérer les inondations. En 2019, cette situation est inacceptable", gronde Lesly Caneval.

Conséquence des infiltrations, des morceaux de dalles sont récemment tombés du plafond dans le service de nurserie et de suites de couches.  

Conséquence des infiltrations d'eau dans la marternité du CHU de Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, le 8 août 2019. (RAISSA CHATENAY-RIVAUDAY)

Le pédiatre venait de quitter son bureau, précise Raïssa Chatenay-Rivauday. 

Chute d'une plaque du plafond sur le bureau du pédiatre, service maternité du CHU de Pointe-à-Pitre, le 09 août 2019. (RAISSA CHATENAY-RIVAUDAY)

D'autres photos montrant l'état des locaux circulent sur les réseaux sociaux.

"On découpe des doigtiers dans les gants qui nous restent"

Les locaux ne sont pas les seuls problèmes des services d'urgences et maternité. Au sein de ces unités, les médicaments sont désormais rationnés. La faute à la situation économique compliquée de l'hôpital depuis six ans. En effet, le CHU fait face à de grosses difficultés budgétaires, avec notamment une dette auprès de ses fournisseurs de près de 49 millions d'euros. Entre 2012 et 2018, l'hôpital a reçu 332 millions d'euros d'aide exceptionnelle de la part de l'Etat.

Reste que le matériel de base, essentiel au travail des soignants, comme les gants, les doigtiers stériles ou encore les brancards, est en quantité insuffisante."On découpe des doigtiers dans les gants qui nous restent, mais du coup le stock descend à vue d'oeil. Nous ramenons même de l'essuie-main de chez nous", reconnait Raïssa Chatenay-Rivaudet.

Concrètement, il nous manque de tout. Nous sommes arrivés à un point où c’est la population qui nous fait des dons. Ce n’est pas normal, c’est dans les pays en voie de développement que l’on voit ça, pas ici.

Lesly Caneval, infirmière

à franceinfo

Les deux femmes dénoncent un impact réel sur la qualité des soins. "On doit courir derrière tout", soupire l'infirmière des urgences. D'autant que les salles de repos font aussi défaut au personnel hospitalier : "c’est plus compliqué pour mes collègues de nuit. Elles sont obligées de venir avec leur lit de camp et de repartir le matin avec", raconte ainsi Raïssa Chatenay-Rivauday. 

A la maternité, la logistique a pris le dessus sur la prise en charge des patientes, écourtée faute de moyens. "Nous n’avons ni la place ni le temps de garder les patientes. On est obligé de les faire sortir beaucoup plus tôt", décrit la sage-femme. Récemment, la direction de l'hôpital a demandé à des sages-femmes à domicile de prendre le relais pour les suites de couche. "C'est compliqué car on doit faire des choix qu’on ne devrait pas faire. On n’a plus le temps d’accompagner les patientes comme avant", se désole Raïssa Chatenay-Rivauday.

Un dialogue de sourds avec les autorités

Le 10 juillet, le personnel des urgences et de la maternité a donc été le premier à se mettre en grève pour protester contre le manque de moyens. Mais après plus d'un mois de négociations avec la direction de l'hôpital et l'agence régionale de santé (ARS), la situation ne semble pas près de s'améliorer. "Nous attendons toujours des réponses sur nos propositions de relocaliser les urgences, de recruter des médecins pour couvrir toutes les plages horaires", regrette Lesly Caneval, membre du Collectif de Défense du CHU de Guadeloupe.

Contactée par franceinfo, la directrice générale de l'ARS Guadeloupe, Valérie Denux, assure que les "alertes sont prises en compte." Une aide exceptionnelle de 20 millions d'euros, décidée par le président de la République en juin dernier, a été allouée "aux produits de première nécessité dont les médicaments."

Les moisissures, en période de fortes pluies et de chaleur, font l’objet d’un nettoyage régulier. De la place supplémentaire pour le service maternité doit être immédiatement dégagée grâce à la relocalisation de la gynécologie ambulatoire au sein du CHU.

Valérie Denux, ARS

à franceinfo

Selon l'ARS, le nettoyage de la zone touchée par l'incendie de novembre 2017 devrait se terminer en novembre. Le pôle parent-enfant devrait, lui, être livré en octobre 2020 afin "d'attendre sereinement la livraison du nouveau CHU, qui doit être opérationnel en 2023", détaille Valérie Denux. Un projet datant d'avant l'incendie. 

Dans un courrier adressé à l'ARS en août 2019, et que franceinfo a pu consulter, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, confirme que "l'Etat continuera de soutenir massivement l'établissement." Elle conclut sa lettre sur le fait que "des améliorations concrètes pour les patients et pour les personnels seront donc ressenties dès la fin de cette année." Mais c'est déjà trop loin pour le personnel : "Le problème c’est maintenant", lâche Lesly Caneval.

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