Grève contre la réforme des retraites : à la SNCF et à la RATP, des grévistes tentent de convaincre les non-grévistes de se mobiliser
Sept des vingt-cinq centres bus de la RATP ont été bloqués lundi matin avant que les piquets de grève ne soient levés ou que les manifestants soient délogés par les forces de l'ordre.
"L'un des ingrédients qui permettent de réussir la grève, c'est l'unité syndicale", assure François-Xavier Arouls. Depuis le début de la mobilisation, le 5 décembre, le cosecrétaire du syndicat Solidaires à la RATP organise avec ses collègues des piquets de grève quotidiens et différentes actions de mobilisation pour enraciner le mouvement contre la réforme des retraites. "On est en train de préparer une grève qui dure, les salariés sont déterminés", affirme-t-il à franceinfo, lundi 9 décembre.
Afin de renforcer leur mobilisation, certains grévistes organisent plusieurs actions pour tenter de convaincre leurs collègues non-grévistes de les rejoindre ou, du moins, les inciter à ne pas travailler.
"Personne n'est pris pour cible"
"Nous exerçons notre droit de grève, mais en aucun cas nous n'appelons à faire des actes délictueux", affirme Ali*, conducteur de bus de la RATP, présent lors du piquet de grève au dépôt de bus de Lagny, dans le 20e arrondissement de Paris, lundi matin. "Ce ne sont pas des agents de la RATP qui ont mis des barrières sur la route, on n'a pas le droit de se mettre en porte-à-faux avec notre employeur, mais d'autres personnes qui sont venues nous soutenir", explique-t-il. Selon l'agent, plusieurs enseignants, étudiants et quelques "gilets jaunes" sont venus dès l'aube au centre de bus pour soutenir les agents.
#GreveGenerale blocage du centre de bus rue de Lagny paris 20e pic.twitter.com/5hWvS3GBc8
— Louise Moulin (@LouiseLibre) December 9, 2019
"On fait des piquets de grève et on se positionne à l'entrée des prises de service pour discuter, mais personne n'est pris pour cible, renchérit Wladimir Perfiloff, conducteur à Trappes (Yvelines) sur les lignes N et U, syndiqué à la CGT. Notre but est de discuter avec les non-grévistes et de les convaincre." Ce matin, les cheminots grévistes de son secteur s'étaient donné rendez-vous à 6 heures à Trappes. "Quelques-uns sont restés discuter avec les conducteurs qui venaient prendre leur service, d'autres ont été faire une petite tournée dans les postes d'aiguillage, distribuer des tracts dans les parkings", poursuit-il.
On savait qu'après le week-end, il y aurait quelques retours au travail aujourd'hui [lundi]. Ce sont ces collègues-là qu'il faut gagner pour reprendre le combat avec eux.
Wladimir Perfiloff, conducteur des lignes N et Uà franceinfo
"On va voir les collègues et on leur explique pourquoi on est en grève. Aujourd'hui, quelqu'un qui travaille, c'est quelqu'un qui n'a pas forcément compris que son avenir est en jeu, assure Bruno Poncet, secrétaire fédéral de SUD Rail, cheminot à Clichy et à Paris. Mais il n'y a pas d'affrontement, on ne va pas convaincre les gens par la violence, uniquement par le dialogue."
La plupart de ceux qui continuent de travailler le font pour des raisons financières. On leur explique qu'il vaut mieux perdre quelques jours de salaire maintenant que des centaines d'euros à la retraite.
Bruno Poncet, secrétaire fédéral SUD Railà franceinfo
Le syndicaliste a préparé la mobilisation il y a plusieurs mois. "On a fait des formations à nos collègues pour expliquer ce que serait la réforme, on est allés rencontrer un des adjoints de Jean-Paul Delevoye [haut-commissaire aux retraites] pour qu'il nous explique les régimes spéciaux", explique-t-il. "Pas d'insultes et pas de provocation physique, on est avant tout entre collègues. Convaincre oui, contraindre non", résume Thierry Babec, de l'Unsa RATP.
Des dépôts de bus bloqués
Très tôt lundi matin, certaines actions plus fermes ont toutefois été répertoriées en Ile-de-France. Selon la RATP, contactée par franceinfo, sept dépôts de bus sur vingt-cinq ont été bloqués : à Vitry (Val-de-Marne), Flandre (Seine-Saint-Denis), Lagny (20e arrondissement de Paris), Asnières (Hauts-de-Seine), Thiers, Charlebourg (Hauts-de-Seine) et Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Les blocages ont été levés vers 9 heures, après la fin des piquets de grève ou l'intervention des forces de l'ordre.
Châtillon, Tram ligne 6, une soixantaine des grévistes ratp essayent de convaincre ses collègues se joindre le mouvement de grève #GreveGenerale #greve @AnasseKazib pic.twitter.com/mxwHpaWFae
— RévolutionPermanente (@RevPermanente) December 9, 2019
Des coupures de courant – revendiquées par la CGT – ont été provoquées dans la zone de Versailles-Chantiers, avec l'aide de grévistes électriciens et gaziers, affirme Axel Persson, cheminot CGT dans le secteur de Trappes-Rambouillet. "La préfecture et le commissariat ont été touchés."
Trois jours auparavant, un conducteur de tramway non-gréviste avait été pris à partie par plusieurs personnes à proximité de l'arrêt Charlebourg, à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Sur une vidéo postée sur Instagram, on voit le conducteur enlever des poubelles bloquant sa rame, sous les insultes et sifflets, note Le Parisien.
Des tensions inévitables
Ancien conducteur RATP de la ligne 65, désormais permanent syndical, Thierry Babec a connu les grèves de 1995 et 2007. Pour lui, ces moments de tension entre les grévistes et non-grévistes sont inévitables. "Je me souviens en 95 à Aubervilliers, certains avaient ramené des œufs et les lançaient sur les bus qui marchaient. Il y avait des noms d'oiseaux lancés, mais ce n'était pas le plus important, nuance-t-il. Dans un conflit, il y a forcément des moments où les gens pètent un peu des boulons, il y a un moment où les gens perdent de l'argent et ils ont un peu du mal à comprendre ceux qui ne sont pas solidaires", poursuit-il.
Il y a des motifs de travail qu'on peut comprendre. Si quelqu'un a besoin de travailler, on ne va pas le ligoter à la grille d'un centre de bus.
Thierry Babec, Unsa RATPà franceinfo
"On veut faire comprendre à ceux qui travaillent qu'ils nous font du mal, reprend un cheminot syndiqué à SUD-Rail. On discute avec eux, on leur fait comprendre qu'on se bat pour nos emplois, qu'on ne peut pas vivre dans ces conditions. On leur donne des tracts, des écrits, du matériel syndical en espérant qu'ils les lisent, explique-t-il. Certains comprennent et d'autres s'en fichent."
Des cheminots réservistes pointés du doigt
Un groupe de cheminots cristallisent toutefois les critiques : celui du "pool fac", pour "facultatif". "C'est un pool de mercenaires, des conducteurs payés 1 500 euros de plus par mois avec pour contrat tacite de ne pas faire grève", affirme Axel Persson. "C'est inentendable de les voir conduire des trains. Peut-être qu'on les a convaincus qu'ils ne seront pas concernés par la réforme, mais, tôt ou tard, ils seront touchés", déclare pour sa part Bruno Poncet.
Ce n'est pas correct de conduire le train d'un gréviste, ce n'est pas moral.
Bruno Poncet, SUD Railà franceinfo
"On n'organise pas des briseurs de grève à l'année !" se défend la SNCF. Il s'agit d'une réserve de conducteurs "d'un certain âge, très expérimentés", habilités à intervenir en cas d'arrêt maladie d'un conducteur, d'accident sur une voie... "C'est comme les pilotes de réserve à Air France", précise Loïc Leuliette, directeur de la communication à la SNCF. Une centaine d'agents font partie de cette réserve, ils sont davantage payés que leurs collègues car "plus âgés, avec plus d'habilitation et doivent être disponibles à n'importe quel moment".
Les agents du 'pool fac' peuvent faire grève comme n'importe qui, puisque c'est un droit constitutionnel.
Loïc Leuliette, directeur de la communication à la SNCFà franceinfo
Ce lundi, le taux global de grévistes à la SNCF atteignait 17% dans la matinée, en nette baisse par rapport à jeudi (55,6%) et vendredi (31,8%), mais les conducteurs étaient toujours très mobilisés, 77,3% d'entre eux étant en grève. A la RATP, la grève a été reconduite au moins jusqu'à mercredi, à la suite des assemblées générales de salariés organisées dans la journée. "On veut le retrait de cette réforme, ce n'est pas une réforme des régimes spéciaux, tout le monde est concerné, prévient Clément, cheminot depuis sept ans et syndiqué à SUD Rail. On va durcir le mouvement."
* Le prénom a été modifié
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