Manque de personnel, burn-out, salaires faibles : pourquoi les infirmiers manifestent
Les infirmiers et les autres personnels hospitaliers sont en grève aujourd'hui. Ils sont appelés à se mobiliser contre la dégradation des conditions de travail et le manque de considération de leurs métiers.
Chose rare, la quasi-totalité des organisations syndicales et associatives d’infirmiers appellent à une journée de mobilisation, mardi 8 novembre. En parallèle, tous les personnels hospitaliers sont appelés à la grève par les fédérations FO, CGT et SUD. Une manifestation a lieu à Paris depuis 10 heures.
Les 17 organisations d'infirmiers dénoncent dans un communiqué commun des "conditions déplorables de travail, d’études et de rémunérations". Elles décrivent une profession "à bout de souffle" et regrettent un "manque de considération criant de la part du gouvernement". La liste de leurs sujets de mécontentement est longue : "pénibilité non reconnue, discrimination salariale, manque de personnel, manque de concertation".
Une pétition, lancée il y a deux semaines sur la plateforme Change.org et adressée à la ministre de la Santé Marisol Touraine, totalise plus de 19 000 signatures mardi matin. "Nous ne sommes pas là pour aller plus vite, pour faire du rendement, nous voulons assurer votre sécurité, votre accompagnement", assurent les signataires.
A quelques mois de l'élection présidentielle, les infirmiers misent sur leur unité pour faire entendre leurs revendications. Franceinfo a interrogé des infirmiers en colère sur leur quotidien. Voici ce qu'ils déplorent.
Le manque de personnel "met en danger les patients"
Hélène Bellil a 32 ans. Elle est déléguée régionale Bourgogne Franche-Comté de l'ANPDE, une association de puériculteurs. Pour elle, le manque de personnel met "les patients en danger". "Il y a quelques années, lors d’une journée de 12 heures de travail, j’ai pu me retrouver avec 24 patients à traiter. J’ai failli perdre une patiente d'une hémorragie", raconte-t-elle.
"Ce week-end, ma collègue était toute seule pour 20 patients, c’est beaucoup", abonde une jeune infirmière à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val-de-Marne). "Pour un nombre aussi élévé de patients, on devrait être au moins deux infirmiers et deux aides-soignants. Du coup, j'appréhende le week-end prochain", ajoute-t-elle.
"Certaines missions ne sont plus assurées", se désole Simon, infirmier-anesthésiste dans un hôpital public du sud de la France. "Par manque de personnel, raconte-t-il, la mission annexe de "DAPO" (Douleur aiguë post-opératoire) ne peut plus être réalisée dans mon hôpital. L'infirmier devait passer voir les opérés de la veille et ajuster les traitements antalgiques pour réduire la douleur si besoin. Faute de personnel, cette tâche n'est plus du tout réalisée aujourd'hui et la qualité des soins s'en trouve amoindrie." Et l'infirmier d'affirmer : "le personnel a diminué de 13% quand l'activité du bloc opératoire a augmenté de plus de 25%."
"On est à la limite du burn-out"
Une infirmière, préférant rester anonyme, raconte sa difficulté à suivre le rythme imposé. "Je suis crevée. Evidemment, ça peut me mener à faire des erreurs." Elle souffre des cadences de plus en plus soutenues. "Avant, le temps de transmission des dossiers de nos patients à l’équipe suivante était de 30 minutes. Maintenant, c’est 15-20 minutes. On ne nous donne plus le temps de travailler correctement et ce, au détriment des patients".
"A ce jour, on est fatigués, à la limite de burn-out" enrage Aurélien M., infirmier aux urgences d'un hôpital public de la région parisienne. "Et depuis la rentrée, le nombre de personnes qui se déclarent en burn-out à l'hôpital a considérablement augmenté !", ajoute-t-il.
Cet été, cinq infirmiers et infirmières se sont suicidés, provoquant un mouvement de grève le 14 septembre. Seul un des cinq suicides avait été reconnu comme accident du travail. Les autres faisaient l'objet d'enquêtes.
Le salaire est "faible par rapport aux responsabilités"
Un infimier débutant sa carrière à l’hôpital public gagne environ 1500 euros net. "J’ai 32 ans et je gagne entre 1700 et 1800 euros par mois, déclare Hélène Bellil. Je ne fais pas ça pour l'argent. Mais plusieurs de mes collègues de l'hôpital public me racontent qu'ils risquent la prison pour 1400 euros. On a l'angoisse de faire une erreur. Imaginez que je donne le mauvais médicament... C'est vrai que ce n'est pas assez" déplore-t-elle. "Par rapport aux responsabilités et aux études, ce n'est vraiment pas énorme", ajoute la jeune infirmière de Créteil.
"Nos grilles de salaires sont beaucoup moins élevées que les autres corps de métier, à niveau de diplôme équivalent, explique un représentant syndical. J'ai fait cinq ans d'études, j'ai quinze ans d'expérience et je viens de dépasser les 2000 euros de salaire. C'est vraiment trop peu par rapport à mon niveau de responsabilités", décrit-il.
Interrogée dimanche sur BFMTV concernant la mobilisation, Marisol Touraine a indiqué que "les infirmières, par exemple, ont eu des revalorisations qui vont de 250 à 500 euros par an". "Ce sont des mensonges", réplique le syndicaliste. "Les grilles de salaires sont toujours bien en dessous des autres fonctionnaires", ajoute-t-il.
Les jeunes travailleurs mal encadrés
Le communiqué des organisations à l'initiative de cette journée de mobilisation cible également "l’encadrement déficient des étudiants". "Les stages ne se passent pas forcément bien, explique l’infirmière de l’hôpital Henri-Mondor, car l’encadrement est débordé. Il ne peut pas s’occuper des étudiants, susceptibles de faire des erreurs".
"Depuis 2009, explique Hélène Bellil, les étudiants infirmiers ne bénéficient plus d’une bonne formation en pédiatrie. Du coup, quand ils commencent à travailler, on leur demande d’être des bouche-trous, de travailler tout de suite, seuls. C’était le cas d’une infirmière qui s’est suicidée cet été. Il faut que les étudiants bénéficient d’un tutorat !"
"Des patients m'ont déjà mordue"
"Les meubles des pharmacies sont aux normes de 2006", se désole une infirmière d’un hôpital de banlieue parisienne. Pour ranger les médicaments, difficile de s'y retrouver. D'autant que "les médicaments génériques se sont généralisés" et qu'il faut "connaître les noms par cœur, sinon on fait des erreurs".
"Sans parler de la violence contre les infirmières. Des patients m’ont déjà mordue", raconte la jeune infirmière. "C'est toutes les semaines qu'on se fait également agresser physiquement ! J'ai eu plusieurs accidents de travail à cause de cela, mais aucun arrêt car il faut travailler !" confirme Aurélien M.
Du coup, les congés maladie s'accumulent. La charge de travail et les conditions de travail amènent de nombreux praticiens à demander ces journées de repos. Selon Simon, l'infirmier-anesthésiste montpelliérain, le taux d’arrêt de travail est "supérieur à 12%" dans son bloc opératoire. Des chiffres que nous n’avons pas pu vérifier, mais la tendance est confirmée par plusieurs témoignages d’infirmiers à travers la France.
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