Crise du logement : pourquoi les annonces du gouvernement déçoivent les professionnels du secteur
Ils espéraient un "électrochoc", mais découvrent des "mesurettes". De nombreux professionnels de l'immobilier et de l'habitat ont déploré, dimanche 4 et lundi 5 juin, un manque d'ambition du gouvernement après ses premières annonces formulées au terme du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement. C'est "tout un secteur" qui est "méprisé", ont même lancé sept organisations patronales, lundi, dans un communiqué commun. "Il n'y a plus de politique du logement", affirment-elles.
Derrière l'objectif affiché par l'exécutif de relancer la construction, de favoriser l'accession des Français à la propriété et à la location ou encore de soutenir le logement social, les moyens ne suivent pas, estiment les professionnels. Avant la présentation officielle du plan par Elisabeth Borne, lundi après-midi, ils ont fait part de leur désillusion, motivée par plusieurs raisons recensées par franceinfo.
Parce que les attentes étaient fortes
Face à la violente crise du secteur, marquée notamment par une chute libre de la construction de logements neufs et un blocage du marché de la location, il y avait urgence à agir. Jusqu'à dimanche soir, l'espoir demeurait. Réunis au sein du CNR, les principaux acteurs du milieu avaient remis près de 200 propositions à l'exécutif. Ils étaient "alignés" comme jamais et "prêts à agir" pour une véritable "refondation" de la politique du logement, raconte le délégué général de la Fondation Abbé Pierre, Christophe Robert, lundi, sur France Inter. Mais, loin du grand soir, le gouvernement n'a retenu qu'une série de dispositions techniques censées répondre à tous les volets de la crise, sans mesure choc, selon eux.
Le compte "n'y est pas", constate le responsable associatif, co-animateur du CNR. "Après sept mois de travail et plus de 200 personnes à l'œuvre", la Fédération française du bâtiment fait part de sa "déception", alors qu'elle "attendait un électrochoc". "Ce sont des mesurettes, un rapiéçage, un raccommodage, l'utilisation d'anciens dispositifs qui ont plus ou moins connu un succès", abonde la Fédération nationale de l'immobilier. "C'est une politique comptable et budgétaire du logement", regrette le réseau immobilier Procivis, dans Les Echos. "Tout ça pour ça !", s'étrangle la Fédération des promoteurs immobiliers, citée par Le Parisien.
"Je croyais vraiment que le gouvernement avait compris la situation, mais, visiblement, non. (…) On a vraiment l'impression d’avoir travaillé six mois pour rien."
Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliersdans "Le Parisien"
Les critiques émanent également du monde de l'habitat social, renvoyé en grande partie à un futur "pacte" entre l'exécutif et les bailleurs sociaux. "Absolument pas satisfaite", l'Union sociale pour l'habitat, qui fédère le mouvement HLM, a dénoncé "un vrai décalage entre le discours offensif du gouvernement et les mesures proposées". Dans Les Echos, sa présidente, Emmanuelle Cosse, "voit mal comment écrire un pacte de confiance avec le gouvernement" après une telle désillusion.
Parce que le gouvernement rabote certains dispositifs
La déception des professionnels est particulièrement prononcée concernant deux mesures, dont la nouvelle mouture du prêt à taux zéro (PTZ). Jusqu'ici, ce dispositif permet d'aider les particuliers modestes ou intermédiaires à acheter leur résidence principale, qu'il s'agisse d'une maison ou d'un appartement. Pour des raisons budgétaires, l'exécutif entend désormais le réserver aux logements collectifs, pour permettre de "loger le plus grand nombre", selon le ministre du Logement, Olivier Klein, interrogé sur franceinfo.
Un tel rabotage est "une faute criminelle", s'emporte Yannick Borde, président du réseau de promoteurs Procivis, dans Les Echos. Il y voit un "coup de grâce" porté à la construction des petits pavillons, comme s'en est aussi inquiétée la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles, pour qui de telles résidences risquent d'être "réservées aux plus riches". "Exclure la maison individuelle du PTZ, c'est punir 66% des accédants modestes à la propriété", qui préfèrent acheter une maison plutôt qu'un appartement, enfonce le président du pôle habitat de la Fédération française du bâtiment, Grégory Monod, sur Twitter.
L'autre mesure qui suscite le plus de réactions est la suppression annoncée de la niche fiscale Pinel, déjà resserrée ces dernières années, mais jugée toujours trop coûteuse aux yeux de l'exécutif. Cette réduction d'impôts, destinée aux particuliers qui investissent dans un logement neuf dans le but de le louer, prendra fin le 31 décembre. "On programme l'arrêt du Pinel alors qu'on en a besoin", déplore la Fédération des promoteurs immobiliers, qui plaide pour un élargissement du dispositif "afin d'inciter les gens à investir" et ainsi relancer la construction.
Avec le recentrage du PTZ et la fin de la niche Pinel, le gouvernement entend dégager des économies qui permettront de financer d'autres mesures du plan, comme les extensions des dispositifs Visale, Logement d'abord ou MaPrimeRenov'. "Attention danger", a prévenu le président du promoteur coopératif Groupe Gambetta, Norbert Franchon, sur Twitter. Selon lui, en s'attaquant à la construction des maisons individuelles et à l'investissement locatif, l'exécutif "met fin à 40 ans de politique du logement".
Parce que des propositions ont été écartées ou ajournées
La déception des professionnels tient aussi dans les mesures que l'exécutif a choisi d'exclure de son plan. "Quasiment aucune des propositions faites par le secteur n'a été retenue", fustige le président de la Fédération française du bâtiment, Olivier Salleron. Il en va ainsi de l'idée de créer un statut fiscal de bailleur privé, qui aurait permis aux propriétaires de mieux amortir leurs biens mis en location. Ce dispositif aurait pu succéder à la niche Pinel, ce à quoi s'est opposé le gouvernement. "C'est le premier gouvernement depuis 37 ans qui supprime l'investisseur particulier du paysage du logement", s'inquiète Yannick Borde, du réseau Procivis, dans Les Echos.
Les acteurs du secteur déplorent aussi l'absence d'incitations destinées aux maires qui délivreraient de nouveaux permis de construire sur leurs communes. La Fédération des promoteurs immobiliers proposait notamment de reverser aux communes 50% de la TVA "sur tout logement construit supplémentaire". L'idée d'un plafonnement des prix de ventes du foncier a été écartée, malgré un "consensus" au sein du CNR, déplore la Fondation Abbé Pierre.
Sur des sujets sensibles comme la fiscalité des meublés touristiques de type Airbnb, parfois jugée trop faible et accusée d'aggraver la crise, de grands chantiers vont être "ouverts", s'est contenté de promettre Matignon. "Ce chantier est déjà ouvert, le sujet est mûr depuis longtemps, on s'attendait au contraire à ce que le gouvernement le referme en agissant", regrette le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Manuel Domergue, dans Le Monde.
Anticipant les critiques, l'entourage de la Première ministre a souligné, dimanche, que "ce n'est pas en une fois que l'on résout l'intégralité de la politique du logement". Ces annonces sont "tout sauf un point final", a aussi promis Olivier Klein. Mais aucune révolution n'est attendue. A la mi-mai, sur CNews, le ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, a prévenu que le ministère du Logement serait particulièrement sollicité pour faire des économies dans le budget 2024.
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