Réseaux sociaux : enquête sur les listes "noires" de mauvais locataires
Sur Facebook, nous avons infiltré plusieurs groupes privés, dans lesquels des bailleurs ou des propriétaires qui se revendiquent “victimes d’impayés”, “en colère”, et qui affichent pour certains leur intention de dresser des “listes noires”.
Dès la page d’accueil, on y trouve des commentaires où figurent des noms de présumés mauvais locataires, avec parfois des dates de naissance ou encore des photos. Certains organisent ce qui s'apparente à du fichage dans des discussions par zones géographiques. "Monsieur Y. à Nice, faux papiers, 3 ans pour le déloger” peut-on lire dans la liste dédiée à la Côte d'Azur. “Monsieur V. m’a laissé une ardoise de presque 3000 euros d’impayés à Lannion. Aux dernières nouvelles, il vivait en Corse.” commente un autre dans un groupe dédié à la Bretagne.
Ces informations personnelles sont accessibles à quiconque, en quelques clics, et hébergées dans des groupes qui comptent pour certains jusqu’à 8 500 membres. Parmi eux, parfois, des professionnels de l’immobilier que nous avons pu identifier.
Ces agents utilisent-ils ces informations privées dans le cadre de leur activité ? C’est ce que nous avons voulu vérifier en caméra cachée, dans une agence immobilière de la région parisienne. Nous nous présentons comme étant propriétaires d’un bien à louer, souhaitant obtenir des garanties pour éviter les impayés locatifs.
L'agent immobilier qui nous reçoit nous met en garde : les impayés existent mais "on se protège un maximum en amont". Interrogé sur l'existence de listes dédiées aux mauvais payeurs, il nous confirme leur existence.
"Il y a des listes noires, bien sûr ! Des locataires qui sont black listés... On s'échange les informations entre nous (professionnels de l'immobilier). Et on a plein de groupes effectivement qui nous permettent de vérifier"
Un agent immobilier, en caméra cachée
Cette pratique est illégale. La CNIL rappelle que ce fichage est contaire à la loi informatique et liberté. Contactée de son côté, la Fédération nationale de l’immobilier condamne ces méthodes qui bafouent le code de déontologie de la profession des agents immobiliers.
Nous avons pu joindre par téléphone deux anciens locataires, dont nous préserverons l'identité. Nous apprenons au premier qu’il est fiché, pour des retards de paiement. "J’ai quand même une micro entreprise, ‘j’ai quand même une image, c’est dégradant d’avoir un nom sur un site, comme ça”, regrette t-il.
Une autre locataire affirme, elle, ne pas avoir payé un mois de loyer, en raison de difficultés personnelles. Elle se demande aujourd’hui si ce fichage n’aurait pas joué en sa défaveur lors de la recherche d’un autre appartement. “Quand on a visité un appartement, l’agent immobilier nous a dit que c'était d'accord, et quand on a envoyé tous les documents, on nous a dit "finalement non, le propriétaire a changé d’avis"... Je ne sais pas si c’est lié à ça…”.
A Nice, nous avons retrouvé l’un des administrateurs d’un de ces groupes Facebook. Nicolas Molders est un ex-propriétaire. Il a revendu son bien au terme de 6 ans de procédure contre deux anciens locataires. "Je m'en suis débarassé car j'étais épuisée par ces années de poursuites, et surtout pour rembourser mes créanciers. Entre les frais de justice et les impayés locatifs, je n'avais plus le choix." explique t'il.
Le groupe Facebook qu’il gère aujourd’hui compte plus de 1600 membres. Il dit s'y investir pour éviter à d'autres "de faire les mêmes mauvaises expériences". Il assume, aussi, prendre le risque de divulguer ce type d’informations personnelles.
"C’est vrai que ces noms qui se baladent, c’est à la limite de la légalité, mais ce n'est pas non plus des campagnes de harcèlement. On veut juste savoir si quelqu'un a déjà eu affaire, en mal, à telle ou telle personne, avant de choisir un locataire."
Nicolas Molders, administrateur d'un groupe Facebook
Un discours "inaudible" pour la Confédération nationale du logement, qui parle de la "délation" et de pratiques diffamatoires. L'association rappelle que le taux moyen d'impayés en France est de 3% et qu’il existe des recours légaux pour les propriétaires.
"Ce sont des pratiques d’un autre temps... Cela nous choque ! Un locataire fiché, c'est un locataire qui, toute sa vie, aura du mal à retrouver un logement. C'est de la discrimination !"
Eddie Jacquemart, Président national de la CNL
L’association de défense des locataires dit réfléchir à une action en justice. La CNIL, elle, a récemment reçu un signalement visant l’un de ces groupes, toujours actif à l’heure actuelle… même si Facebook nous assure mener des vérifications.
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