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Qui sont les exilés fiscaux ?

Retraités, rentiers, chefs d'entreprises... francetv info analyse le profil des Français qui quittent le pays pour des raisons fiscales.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les retraités représentent un tiers des Français exilés à l'étranger, pour raisons fiscales, mais pas uniquement. (ADRIAN WEINBRECHT / GETTY IMAGES)

Ils sont difficiles à comptabiliser. Hormis quelques cas d'exil fiscal spectaculaires et médiatiques, la plupart des départs se font en catimini, afin d'éviter les huées de l'opinion publique pour les plus connus, et d'échapper aux radars du fisc pour les autres. Selon Bercy, quelques 800 foyers assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) quittent l'Hexagone chaque année, et en 2011, 128 personnes ont payé "l'exit tax". Mais qui sont les exilés fiscaux, dont les profils diffèrent considérablement, comme le racontent les cabinets d'avocats fiscalistes interviewés par francetv info ? 

Le cas le plus classique : les riches rentiers

Ils ne sont pas très nombreux, ont commencé à partir dès les années 80 et leur profil n'a pas changé. "Super-riches", ces rentiers, ou grosses fortunes amassées dans le sport ou le showbiz, cherchent essentiellement à échapper à l'impôt sur le revenu. "Aujourd'hui, pour gommer la fiscalité qu'ils subissent, il faut que leur patrimoine leur rapporte 9% par an", pointe à francetv info Stéphan Chenderoff, associé chez Cyrus Conseil, gestionnaire de fortune. "Un rendement pareil, personne ne peut le garantir", souligne-t-il.

La Suisse accueille ainsi nombre de tennismen, de Guy Forget à Cédric Pioline, mais aussi des pilotes automobiles, comme Alain Prost et Jean Alesi. Gérard Depardieu a lui opté pour la Belgique, comme Daniel Auteuil et Emmanuelle Béart (qui se défendent de tout exil fiscal), quand Laetitia Casta a choisi le Royaume-Uni et Florent Pagny la Patagonie.

Destinations de prédilection : La Belgique et la Suisse. "Les avocats fiscalistes belges ont coutume de dire que leur pays est le paradis fiscal des rentiers. Notamment car les impôts y sont faibles sur les intérêts de l'argent placé, mais aussi sur les dividendes", explique Eric Desmorieux, spécialiste du droit fiscal pour la société d'avocats Aurélia. La fiscalité sur les droits de succession y est également très intéressante.

La Suisse, elle, intéresse surtout les méga riches, qui peuvent demander d'être imposés au forfait, à condition qu'ils ne travaillent pas et n'aient pas travaillé en Suisse durant les dix années précédant leur installation. Les 14 premières fortunes françaises dans le pays représentent 36 milliards d’euros de patrimoine, rappelle Le Figaro. Mais certains cantons ont durci les conditions d'obtention, ou même aboli cet avantage auquel Paris s'attaque. Un texte de la Direction générale des finances publiques, publié à la fin du mois de décembre, prévoit la fin de la convention permettant de ne pas imposer en France les Français installés en Suisse et enregistrés au forfait fiscal. 

Le plus constant : les retraités héliotropes

Du presque modeste au plus fortuné, ils représentent un tiers des 3 millions de Français de l’étranger, selon Challenges. Ils cherchent une fiscalité plus clémente pour leurs vieux jours, mais pas seulement. "Nous avons des clients très aisés, membre de rotary club, décorés de la Légion d'honneur, qui en ont marre d'être pointés du doigts en tant que riches", raconte Stéphan Chenderoff, qui cite l'exemple d'un homme de 83 ans ayant fait un tour de reconnaissance, de Londres à Lausanne, il y a quelques semaines.  

Destination de prédilection : Le Maghreb, où d'une part des conventions fiscales permettent d'éviter que la retraite soit taxée à la source, et où d'autre part des abattements fiscaux de 40 à 80% sont concédés. Selon les statistiques de la Caisse des Français de l'étranger, qui offre un complément de couverture sociale aux retraités hors communauté européenne, citées par Challenges, le Maroc est particulièrement prisé : le pays accueillerait 25 000 retraités français. Le Portugal, où l'impôt sur la fortune n'existe pas et où les impôts locaux sont calculés sur la valeur du bien immobilier, est également couru. Emergent également la Thaïlande et le Brésil. 

Le plus nouveau : les services entiers d'entreprises

Le phénomène est très récent et les fiscalistes qui le signalent restent extrêmement discrets. Ces départs, sur lesquels francetv info a enquêté, ne s'effectuent pas à titre individuel mais dans le cadre de délocalisations d'unités entières, organisées par les entreprises elles-mêmes. Directions juridique ou financière, gestionnaires d'actifs, plusieurs équipes de grands groupes ont déjà sauté le pas, expliquent les avocats parisiens spécialisés. "Le seul qui reste coincé c'est le mandataire social, car où qu'il soit, l'administration considère qu'il travaille là ou l'entreprise est implantée", précise-t-on tout de même chez Arsène Taxand. 

Pour éviter d'être taxées comme une cessation d'activité, les entreprises déménagent les postes au compte-goutte, et déploient de nombreuses ruses, à la limite de la fraude fiscale, comme la promotion prétexte. 

Destination de prédilection : Le Royaume-Uni. Charges sociales moindres et absence de taxation du capital, Londres tend les bras aux cadres dynamiques. "Le tapis rouge fonctionne", confie un fiscaliste. Le Luxembourg aspire de son côté essentiellement des services financiers. Tandis que LVMH, par exemple, aurait déplacé nombre de ses cadres sur ses plateformes italiennes comme Milan, où la fiscalité est plus clémente.

Le plus inquiétant : les chefs d'entreprises en pleine croissance

C'est la catégorie pour laquelle les avocats fiscalistes ont noté la plus importante différence. "Avant, ceux qui partaient s'apprêtaient à vendre leur entreprise. Maintenant, ils ont entre 40 et 55 ans, et n'ont aucune intention d'arrêter leur activité ni de vendre leurs entreprises, ils vont les développer ailleurs", explique un grand cabinet spécialisé. Et de citer le cas récent d’une entreprise de quelques 300 salariés, 50 millions de chiffre d'affaires, qui a cessé de se développer dans l'Hexagone. Un de ses confrères raconte lui l'exemple d'un industriel sur le départ pour la Bavière, en Allemagne, afin de bénéficier d'une fiscalité allégée mais surtout "d'un meilleur dialogue social". "Il va laisser mourir sa filiale française petit à petit", s'alarme le conseiller. 

En effet, en 2010, les ménages soumis à l'ISF et quittant la France avaient en moyenne 54 ans, douze ans de moins que le redevable moyen à cet impôt. "33% de ces exilés étaient des dirigeants et 31% des cadres", selon les dernières données sur l'ISF fournies par Bercy et citées par Le Figaro.

"Ce ne sont pas des riches, ce sont des gens qui vont être riches", expliquent-ils en chœur. "A chaque fois ce sont deux ou trois personnes qui partent, ça ne fait pas beaucoup mais ce sont ceux qui portent le développement, ce sont de potentiels créateurs d’emplois, de potentiels consommateurs", signale Stéphan Chenderoff. Nombre d'exemples concernent les entreprises dans le secteur des nouvelles technologies, particulièrement mobiles. Le 11 mars, Bernard Charlès, directeur général de Dassault systèmes, a d'ailleurs confié au Monde que la fiscalité mettait "en danger la filière numérique" française.  

Destinations de prédilection : Le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, les Etats-Unis. La Silicon Valley accueille notamment les entreprises de nouvelles technologies. "Les entrepreneurs sont à la recherche d'un environnement plus 'business friendly'", expliquent les conseillers. 

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