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A quoi peuvent bien servir les étonnants robots de Boston Dynamics, qui peuvent marcher, sauter et danser sur du rock ?

La société américaine surprend fréquemment les amateurs autant que les spécialistes avec ses créations de plus en plus perfectionnées. Après près de trente ans de développement, certains robots quittent enfin leur laboratoire.

Article rédigé par Pierre-Louis Caron
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Les robots "Atlas" et "Spot" développés par l'entreprise américaine Boston Dynamics, dans une vidéo de démonstration publiée en décembre 2020. (BOSTON DYNAMICS / YOUTUBE)

Ils sont capables de marcher, de sauter, de danser sur du rock. Mais aussi de monter des escaliers, d'ouvrir des portes, et ils s'adaptent de mieux en mieux au monde extérieur. Ces dernières années, les robots de la firme américaine Boston Dynamics sont devenus des stars sur internet, engrangeant des millions de vues à chaque nouvelle vidéo de démonstration.

Un succès relativement récent pour l'entreprise, qui fêtera son trentième anniversaire en 2022, et qui commence timidement à commercialiser ses machines. Sur des plates-formes pétrolières, dans des usines, au cœur des entrepôts... Les créatures de la marque trouvent peu à peu leur place et ouvrent une nouvelle dimension pour la robotique au quotidien.

Des humanoïdes et une famille de quadrupèdes

Avant de devenir une référence dans le domaine de la robotique, Boston Dynamics a commencé petit. L'entreprise a été créée en 1992 par Marc Raibert, alors professeur au prestigieux Institut de technologie du Massachusets (MIT). C'est dans cet Etat du nord-est américain que la firme s'est d'ailleurs installée, à une heure à peine de Boston, la capitale de l'Etat. Au milieu des années 2000, ses créations robotiques bénéficient d'un soutien financier de taille : celui de la Darpa, l'Agence en charge de la recherche et du développement pour le compte de la Défense américaine.

Ce n'est donc pas un hasard si les premières machines de Boston Dynamics ont un aspect très militaire. En témoigne "BigDog", l'immense bestiole à quatre pattes conçue en 2004 pour servir de mulet sur les champs de bataille. Ont suivi des machines à six pattes, une voiture téléguidée capable de sauter à 10 mètres de haut et plusieurs concepts de quadrupèdes aussi robustes (le robot "LS3" pouvait transporter 180 kg de charge utile) que rapides (son successeur, "WildCat", pouvait, lui, galoper à 32 km/h). 

Outre la Darpa, Boston Dynamics a rapidement attiré l'attention des géants de la technologie. L'entreprise a été acquise par Google en 2013 puis rachetée en 2017 par l'opérateur mobile japonais SoftBank, qui a finalement cédé 80% des parts et le contrôle de Boston Dynamics au constructeur automobile sud-coréen Hyundai. La gamme de robots s'est récemment stabilisée autour de quatre modèles : l'humanoïde "Atlas", le quadrupède "Spot" et les bras articulés "Pick" et "Handle", que l'on peut tous voir danser avec passion dans la vidéo ci-dessous.

Très discrète, Boston Dynamics a longtemps gardé ses robots bien au chaud dans ses laboratoires, n'autorisant qu'un très petit nombre de tests par des tiers. Contactée par franceinfo, la firme n'a pas souhaité répondre à nos questions mais assure que ses objectifs restent inchangés depuis ses débuts : produire des robots capables de "travailler avec les humains pour réduire les risques, améliorer la productivité et la qualité de vie de chacun"

Derrière ce discours, et face aux craintes générées par l'étonnante agilité de ses robots, Boston Dynamics s'est dotée d'une charte éthique (lien en anglais), dans laquelle elle interdit toute transformation de ses machines "en armes ou en systèmes de ciblage autonomes", prohibant également "toute utilisation qui ne respecterait pas la vie privée et les droits fondamentaux". Si ce dernier point revient souvent dans les déclarations de Robert Playter, l'actuel PDG de la firme, c'est parce que de nombreux policiers et militaires à travers le monde s'entraînent avec des robots-chiens de Boston Dynamics, qui sont désormais disponibles à la vente. 

"Spot", premier robot commercialisé de la marque

Avec ses 32 kilos et ses 60 centimètres de haut, "Spot" n'est pas un chien comme les autres. Il est l'ambassadeur de Boston Dynamics, qui a laissé une poignée d'institutions l'essayer en conditions réelles ces dernières années. Ce nouveau meilleur ami de l'homme, tout de jaune vêtu, a en effet été aperçu aussi bien lors d'exercices à l'académie militaire de Saint-Cyr, en France, que dans des parcs de Singapour, où il demandait aux usagers de respecter les distances de sécurité pour lutter contre l'épidémie de Covid-19.

Coronavirus : un robot pour faire respecter les distances à Singapour

En juin 2020, c'est ce robot que Boston Dynamics a mis sur le marché, une grande première pour l'entreprise. Il est désormais possible d'acheter un "Spot" au prix de 74 500 dollars pièce (soit un peu plus de 64 000 euros), sans oublier de remplir au préalable un formulaire détaillé sur le site du constructeur, qui surveille de très près l'utilisation de ses créatures. Avec ses quatre pattes et ses 400 unités vendues en 2020 d'après le site Bloomberg (article en anglais), "Spot" suscite un intérêt croissant partout dans le monde.

"Il y a une vraie reconnaissance des robots quadrupèdes, explique à franceinfo Justin Carpentier, chercheur à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), à la fois dans le monde académique et dans le domaine industriel." Ce format est plus stable, plus léger, plus économe que les robots bipèdes actuels, souligne le spécialiste, et surtout "suffisamment mature" pour être commercialisé, même si les usages restent limités.

"Ce sont des robots d'inspection, qui n'auront pas, ou très peu, d'interactions physiques avec leur environnement."

Justin Carpentier, chercheur en robotique à l'Inria

à franceinfo

Pour ses nouveaux propriétaires, "Spot" représente une bonne alternative aux drones ainsi qu'aux caméras de surveillance. Le robot-chien sur batterie est actuellement utilisé sur des plateformes pétrolières de BP dans le golfe du Mexique. Il inspecte aussi les chantiers de Pomerleau, géant canadien de la construction, ou encore les usines de médicaments du laboratoire Merck, en Allemagne. Il est également en passe d'être envoyé patrouiller dans des mines et des sites industriels dangereux, à la place des humains.

"Eloigner l'homme du risque, c'est sûrement l'usage principal d'un robot", explique à franceinfo Serena Ivaldi, spécialiste de l'interaction humains-robots à l'Inria de Nancy. La chercheuse préfère d'ailleurs utiliser le terme de "cobot", pour souligner sa capacité à collaborer avec les humains. Plus qu'un subordonné, le cobot pourrait très bientôt comprendre la gestuelle humaine, voire même l'anticiper, pour devenir un collègue d'exception.

Plus près de nous, les ventes de "Spot" vont en tout cas bon train et on le croisera bientôt dans nos centres-villes, lui ou l'un de ses cousins moins onéreux. "Ces cinq dernières années, d'autres entreprises ont proposé des solutions similaires à des  tarifs nettement moins élevés", explique Justin Carpentier, qui s'attend à une baisse généralisée des prix dans un futur proche, "sur le même modèle que l'informatique, qui est devenue grand public". Dernier exemple en date, l'entreprise chinoise Xiaomi propose son propre robot-chien pour seulement 1 300 euros. A ce prix, il faut toutefois s'attendre à des fonctionnalités très basiques (marche, repos, réaction à quelques ordres), préviennent les spécialistes.

"Atlas" : une vitrine technologique avant tout

Sous les yeux du monde entier, le curieux humanoïde "Atlas" enchaîne les progrès depuis son lancement en 2013 lors d'un concours de robotique organisé (et financé) par la Darpa. Le robot trapu (1,50 m pour 89 kilos) a notamment été filmé en train de déplacer des cartons, de faire des saltos et de franchir des parcours d'obstacles. Il est aussi capable d'ouvrir des portes et flanche à peine quand on le pousse. Autant de prouesses qui fascinent les chercheurs.

A chaque nouvelle vidéo de Boston Dynamics, Justin Carpentier et ses collègues de l'Inria organisent par exemple des visionnages en groupe, qui débouchent sur "des sessions d'échange et de rétro-ingénierie". Les déplacements du robot "Atlas", ses jointures hydrauliques, l'espacement de ses hanches : tout est passé au crible. "On a aussi un œil d'expert, qui nous permet de comprendre les défauts et les limites de cette approche", précise le chercheur. 

Car aussi impressionnant qu'il puisse être, "Atlas" n'est pas près de débarquer dans notre quotidien. Le robot, estimé à deux millions de dollars l'unité par les spécialistes interrogés par franceinfo, reste très fragile et complexe à programmer. "Un tel robot, c'est plusieurs millions de lignes de code, explique à franceinfo Philippe Souères, directeur du département Robotique du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (LAAS), et pour qu'un humanoïde se baisse pour ramasser un objet au sol, par exemple, il y a une infinité de façons de coordonner ses articulations."

Les chutes du robot "Atlas", de Boston Dynamics

Il faut dire que les mouvements d'"Atlas" peuvent parfois lui être fatals. Boston Dynamics ne le cache pas, il arrive que les circuits hydrauliques du robot explosent littéralement sous la pression. Et les vidéos de l'entreprise doivent être prises avec des pincettes, alerte Justin Carpentier, car elles sont sélectionnées "parmi des dizaines, peut-être des centaines de prises". 

Pour Boston Dynamics, comme de l'avis des spécialistes, "Atlas" reste avant tout un objet de recherches. "Les progrès sur un robot humanoide, la forme la plus difficile à concevoir, vont bénéficier à l'ensemble de la recherche robotique", rappelle Serena Ivaldi. Un scénario s'impose dans la communauté scientifique : avant de se balader dans nos rues, "Atlas" servira très certainement à développer des exosquelettes, permettant le déplacement de personnes handicapées ou une assistance dans des tâches industrielles pénibles, voire dangereuses.

"On en est encore à la préhistoire"

Malgré ces récents progrès, la robotique est un chantier qui vient de débuter. "On en est encore à la préhistoire", selon Philippe Souères. Faudra-t-il attendre encore trente ans avant que les robots ne s'imposent réellement dans notre quotidien ? Le responsable de la robotique au LAAS est perplexe. Il se méfie bien des annonces parfois "amusantes", comme celles d'Elon Musk, le patron de Tesla, qui a promis fin août le lancement imminent d'un robot humanoïde "révolutionnaire". "Aucune question technique n'a été abordée, note Philippe Souères. Rien que pour la main décrite par Elon Musk, on est encore très loin de s'en approcher." 

Mais l'intérêt du milliardaire américain pourrait néanmoins représenter l'engouement tant attendu par les roboticiens. "Quand on sait la puissance financière de cette personne, s'il décide demain de créer autour de lui une équipe d'ingénieurs puissante pour travailler en robotique humanoïde, il va certainement susciter des progrès considérables", avance Philippe Souères. Si les robots ne sont pas encore capables de rêver, "ceux qui les conçoivent n'ont jamais arrêté", sourit-il.

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