: Enquête franceinfo Pourquoi les mines et forages en France ne sont pas près de s'arrêter
Alors que Nicolas Hulot annonce la fin des permis d'exploration d'hydrocarbures, les activités d'extraction continuent. Et pourraient même se développer
La France va-t-elle continuer à développer les activités minières sur son territoire ? Le 6 septembre, Nicolas Hulot a présenté en Conseil des ministres un projet de loi engageant la sortie de la recherche et de la production de pétrole et de gaz sur le territoire français. Dès sa nomination au ministère de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot avait promis la fin de l’exploitation d’hydrocarbures en France. Il annonçait "interdire toute nouvelle exploration d'hydrocarbures sur les territoires métropolitains et les territoires d'Outre-Mer". Le ministre l'assure : "Il n'y aura aucun permis d'exploration" pour le pétrole et le gaz de schiste. Le message semble clair mais qu'en est-il des permis déjà attribués ? Actuellement, la France exploite une soixantaine de gisements d’hydrocarbures. Cinquante permis d’exploration sont déjà délivrés par l’État, notamment en Outre-Mer et dans l’ancien bassin houiller de Lorraine.
Des forages d'exploration qui se poursuivent
Des forages d’exploration ont bel et bien démarré, supposant d'importants investissements. La Française de l'énergie (FDE) exploite et commercialise le gaz de mine dans les Hauts-de-France. En Lorraine, elle veut aspirer le méthane contenu dans les veines de charbon non exploitées au siècle dernier, le "gaz de couche", et le commercialiser à l’échelle locale. À la différence du gaz de schiste exploité en Amérique du Nord au moyen de la fracturation hydraulique, terriblement destructrice pour l'environnement, le gaz de couche peut être extrait sans recourir à cette technique.
Didier Bonijoly, directeur adjoint des géoressources au Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM), explique que les conditions géologiques de la Lorraine permettent d'éviter la fracturation hydraulique. Le sous-sol ayant été fortement plissé au fil des temps géologiques, le charbon a subi de profondes déformations qui l'ont naturellement fracturé. Cela permet d’exploiter son gaz sans maltraiter la roche : il suffit de pomper l’eau contenue dans le charbon puis d’aspirer le gaz libéré, via toute une série de drains, en pilotant des sondes tout au long du forage profond d'environ 1 300 mètres.
Cette technologie innovante, mise au point au cours des années 2000, a révolutionné l’industrie des hydrocarbures. Elle a permis de miser sur un potentiel bien supérieur à ce qu’autorisaient les réserves conventionnelles. Mais pour y parvenir, il a fallu plus de 10 ans de recherches et de tâtonnements, qui ont déjà coûté plus de 50 millions d’euros à la FDE. Les anciens du bassin houiller lorrain ont toutefois du mal à croire à ces nouvelles méthodes. Et les riverains restent inquiets.
Les promesses des "gaz de couche"
Entre investisseurs parieurs et haute technologie, l’industrie des hydrocarbures a changé de profil. À côté des opérateurs historiques, la start-up lorraine s'est construite à partir de capitaux australiens avant de réussir à être cotée en bourse en France. L'attente des actionnaires est forte et le calcul est le suivant : l’Europe, comme les pays émergents, nourrit une demande énergétique en constante augmentation. Or, le gaz est considéré par les gouvernements comme une énergie "propre" et reconnue comme l’énergie fossile la moins polluante.
Antoine Forcinal, directeur général délégué de la FDE, et son associé Julien Moulin expliquent que le gaz de couche présente de multiples avantages. Sa qualité est supérieure au gaz importé, son coût est inférieur de 15 à 20% grâce aux économies réalisées, en particulier sur le transport et le stockage, et son empreinte carbone est dix fois plus faible que le gaz entrant aujourd'hui dans le mix énergétique français, grâce aux circuits courts. Le gaz de couche présente également des opportunités de reconversion d’anciens sites industriels.
Un dédommagement des opérateurs difficile à chiffrer
Si la FDE parvient à passer en phase d’exploitation en Lorraine, elle espère être en mesure de conquérir d’autres marchés européens comme en Allemagne en Pologne ou au Royaume-Uni. En France, c’est au niveau local que l'opérateur pétrolier compte distribuer cette ressource. La start-up produit déjà dans le Pas-de-Calais du gaz de mine et le revend à la société Gas & Power, une branche de Total, qui à son tour le revend au distributeur local. En Lorraine, un montage comparable est envisagé.
Face à la décision de Nicolas Hulot, certains opérateurs font leur compte : le calcul des dédommagements se chiffre à des centaines de millions d’euros. D’autres s’acheminent vers la négociation pour tenter de conserver leurs droits acquis et de rentabiliser leurs investissements. Quant à la FDE, Antoine Forcinal ne compte renoncer ni à ses permis, ni à ses concessions. En revanche, les 130 demandes de permis de recherche d’hydrocarbure déposées par les opérateurs encore en attente seront vraisemblablement refusées.
Des projets miniers qui séduisent les investisseurs
Si un frein est mis à la poursuite des forages et au développement des hydrocarbures, les projets miniers, eux, ne semblent pas encore menacés. En France, on compte une dizaine de mines en cours d’exploitation. En métropole, on extrait de la bauxite dans l’Hérault ainsi qu'un peu d’étain associé au tantale et au niobium dans l’Allier. Dans les territoires d'Outre Mer, les compagnies exploitent du nickel et du cobalt en Nouvelle-Calédonie et de l’or en Guyane.
Ces dernières années, l'État a accordé une quinzaine de nouveaux permis de recherche à des sociétés d’exploration. Ces permis ont déjà conduit à des prélèvements et des analyses géophysiques, notamment en Bretagne où la société Variscan Mines SAS a bien l’intention de forer. Cette entreprise est soutenue par des "capital riskers" internationaux, majoritairement australiens. Si de tels investisseurs consentent à placer des fonds sans retour immédiat avant au moins 15 à 20 ans (délai classique de l’exploration minière), c’est qu’ils ont beaucoup à gagner : les métaux recherchés sont en effet considérés depuis 2011 comme "critiques", donc de forte valeur.
Des terres rares à l'intérêt économique et stratégique majeur
C’est notamment le cas des "terres rares", dont la demande est en constante augmentation. Ces éléments chimiques sont indispensables à la fabrication d'objets tels que des batteries pour ordinateurs, téléphones et véhicules électriques, des écrans plats, luminescents et tactiles, des aimants permanents pour les éoliennes, etc. Pour Jack Testard, président de Variscan Mines SAS, la région centre-Bretagne promet beaucoup : "Dans le passé, on exploitait les mines pour extraire un seul métal dominant. Or, avec les métaux de base comme le cuivre, le plomb et le zinc, il y a toujours d’autres métaux associés, qui sont des terres rares (germanium, gallium, étain, tungstène). Ils sont indispensables à la haute technologie d’aujourd’hui. En cherchant ces métaux de base, on trouvera les métaux rares utiles à notre industrie."
Les débouchés ne se limitent pas aux nouvelles technologies ou aux énergies "vertes" : les industries de l’aéronautique et de la défense sont également concernées. Jack Testard s'en réjouit : "Si vous fabriquez un acier qui comprend du rhénium, vous pouvez faire un moteur d’airbus dont les pales résisteront à plus de 800 degrés. Si vous ne mettez pas de rhénium, la puissance du moteur sera bien plus faible. Il en faut très peu mais il en faut. Très peu de mines en produisent. Et on n’ouvre pas une mine en cinq jours ! Si vous n’en n’avez pas, vous n’avez pas de produit de substitution", assure-t-il.
La demande de métaux rares pour l’industrie des nouvelles technologies, de la défense et de l'aéronautique est en perpétuelle augmentation. Or, près de 90% de la production est aujourd’hui réalisée en Chine. Les terres rares ne sont pas présentes qu'en Chine, mais ce pays détient le quasi-monopole de leur exploitation.
Didier Bonijoly, le directeur adjoint des géoressources du BRGM, rappelle que dans les années 2000, la Chine a décidé de conserver sa production pour son propre usage : "Elle a fixé des quotas à l’exportation et les prix ont flambé de manière faramineuse". La relance extractive peut donc offrir une intéressante position stratégique. La France pourrait montrer sa capacité à se passer des ventes de la Chine. C’est une raison essentielle du soutien des États qui encouragent la relance de l’activité extractive.
Des "mines vertes" pas si vertes
Reste que le souvenir des dégâts environnementaux causés par les mines d'autrefois est toujours présent. En Bretagne, les populations sont particulièrement mobilisées pour dénoncer les risques de pollution. Pourtant, de nouvelles règles ont été définies par les autorités françaises : elles exigent que les industries minières soient "propres". Depuis qu’il est question de relancer l’activité minière en France, des travaux de réflexion sur ce que pourrait être une "mine verte" sont lancés. Cet objectif a été fixé en 2015 au comité Mine responsable par le ministre de l’Économie d’alors, Emmanuel Macron. Or, les précautions aujourd’hui jugées indispensables ont un coût et certains doutent que les industriels consentiront à y mettre le prix.
Les géologues de l’ONG Ingénieurs sans frontières SystExt se montrent très sceptiques. Leur porte-parole, Adeline Jegouzo, se méfie de ces bonnes intentions : "Une mine va forcément générer des déchets, liquides et solides, qui peuvent contenir des produits chimiques. Certes, on stocke les effluents derrière un barrage mais si on excède la quantité maximale d’eau polluée prévue, le barrage cède et ça provoque une catastrophe. On nous pousse toujours à produire plus et au moindre coût… Il y a un moment où c’est l’environnement qui trinque !"
La production agricole dépend beaucoup des apports en eau. Il peut y avoir diffusion de pollution même très loin du lieu de la mine. Il faut se demander s’il est opportun de faire de l’exploration minière dans un territoire qui est avant tout agricole et jusqu’ici particulièrement préservé !
Thomas Dubreuil, avocat du collectif des associations anti-mines de Bretagneà franceinfo
La mobilisation est aussi très forte en Guyane, où le projet "Montagne d’or" semble en contradiction avec la protection de la biodiversité et le respect des modes de vie des habitants autochtones. D'autres projets inspirent de sérieuses craintes pour la sécurité sanitaire. Par exemple, l’éventuelle réouverture de la mine de tungstène de Salau, dans la vallée de Couflens, en Ariège. Ce projet, là encore à l’initiative de la société Variscan, fait ressurgir le spectre de la pollution à l’amiante
Des "mines urbaines" à la rentabilité non garantie
La relance de l'activité minière peut paraître absurde lorsqu'on sait qu'un considérable gisement de métaux rares est disponible dans nos déchets : 60 millions de tonnes de déchets électriques et électroniques (DEEE) sont engendrés dans le monde chaque année par le mode de consommation des pays développés. C’est ce qu’on appelle la "mine urbaine". Mais le coût des processus de recyclage fait douter de la rentabilité de la démarche. Le plomb, le cuivre, l’or sont déjà largement recyclés. C'est en revanche beaucoup plus complexe pour les terres rares.
Nour-Eddine Menad dirige le projet de recherches Extraction des terres rares des déchets électriques et électroniques (Extrade) au BRGM. Son objectif est de développer de nouvelles filières de valorisation des aimants permanents à terres rares (APTR) présents dans les disques durs d’ordinateurs. Si la rentabilité d’un tel processus de recyclage parvient à être démontrée, le BRGM en déposera les brevets et les PME industrielles pourraient les adopter.
Toutefois, l'utilisation des petits métaux dans les objets industriels est souvent si sophistiquée, avec des alliages difficile à désolidariser, ou si dispersée, à cause de quantités nanométriques impossible à isoler, que le principe du recyclage atteint sa limite. Selon l’essayiste Philippe Bihouix, il est illusoire de penser que le recyclage est la solution miracle au problème de la raréfaction des ressources, notamment métalliques.
On ne pourra pas continuer à consommer autant d’objets qu’aujourd’hui avec des durées de vie aussi courtes et imaginer que [...] on pourra tirer la ressource nécessaire du seul recyclage ! On va devoir extraire au cours des deux prochaines décennies autant de métaux que pendant toute l’histoire de l’humanité !
Philippe Bihouixà franceinfo
L’équation posée est donc simple : soit on continue et cela conduira à ouvrir de nouvelles mines ou à dépendre de la production étrangère, soit on décide de rompre le cercle vicieux, ce qui suppose alors de changer nos modes de consommation. Dans le premier comme dans le second cas de figure, la question de notre modèle de société est posée.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.