Enquête "L'impunité est inacceptable" : pourquoi deux nouvelles plaintes vont être déposées dans l’affaire des eaux en bouteille traitées illégalement

Article rédigé par Marie Dupin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
En 2024, Nestlé Waters a annoncé avoir détruit deux millions de bouteilles de Perrier "par précaution" à la suite d'une contamination. (GILLES MINGASSON / GETTY IMAGES EUROPE)
L'ONG Foodwatch doit déposer mercredi deux nouvelles plaintes pour "tromperie" auprès du tribunal judiciaire de Paris : l'une contre l'entreprise Alma, l'autre contre le groupe Nestlé, selon nos informations. La multinationale suisse avait pourtant scellé il y a quelques jours un accord avec la justice censée éteindre les procédures judiciaires en cours.

"Une tractation financière ne doit pas mettre fin aux investigations sur une fraude d’ampleur internationale". Alors que le tribunal d’Epinal annonçait il y a quelques jours la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), censée permettre à Nestlé d’échapper à un éventuel procès dans cette affaire, en échange du versement d’une amende de 2 millions d’euros, l’ONG Foodwatch porte plainte de nouveau, et demande la désignation rapide d’un juge d’instruction, ainsi que des "sanctions exemplaires", selon les informations de franceinfo et du Monde.

Il s'agit de deux nouvelles plaintes, cette fois avec constitution de partie civile, déposées auprès du tribunal judiciaire de Paris, pour faire la lumière sur la responsabilité des industriels dans cette vaste affaire de tromperie des consommateurs, mais aussi sur le manque de transparence de l’Etat dans cette affaire. En effet, comme l’avaient révélé Le Monde et la cellule investigation de Radio France en janvier 2024, le gouvernement avait été informé dès 2021, par l’entreprise Nestlé elle-même, lors d’un rendez-vous organisé à Bercy auprès du cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, à l’époque ministre de l’industrie, de la mise en place de traitements illicites destinés à purifier des sources d’eau contaminées par des bactéries et des pesticides.

L'ONG a "refusé l’argent de Nestlé"

Après avoir joué le jeu de la négociation avec l’industriel, le gouvernement avait décidé d’accorder, lors d’une réunion interministérielle en février 2023, une dérogation au groupe Nestlé pour qu’il puisse continuer d’utiliser des microfiltres interdits par la réglementation sur les eaux minérales naturelles, censées être naturellement exemptes de toute forme de contamination. Cette décision avait été prise par le gouvernement malgré l’avis contraire de ses administrations. Selon des documents que Le Monde et Radio France ont pu consulter, l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) avait pourtant prévenu le gouvernement que Nestlé pourrait demander de telles dérogations afin de poursuivre l’embouteillage de ses eaux, mais que l’octroi d’une telle dérogation ne serait "pas acceptable", et que cela pourrait exposer la France à un risque de contentieux européen.

Dans un audit publié cet été, la commission européenne a d’ailleurs pointé du doigt les "sérieuses lacunes" de la France cette affaire, et souligné, non seulement la "collaboration inadéquate au sein des autorités compétentes" mais aussi "l'absence de mesures de suivi immédiat" pour garantir que les industriels "remédient aux non-conformités". En clair : le laisser-faire des autorités vis-à-vis des industriels.

Selon Foodwatch, "la pollution des sources exploitées par Nestlé n'aurait pas dû conduire à l'utilisation de traitements interdits, mais à interrompre la distribution de l'eau minérale, et à informer la justice et les consommateurs". L’ONG, qui explique avoir "refusé l’argent de Nestlé" dans le cadre de la CJIP, "ne se résout pas à enterrer l’affaire de fraude massive qui touche le monde entier depuis des décennies, notamment la célèbre Perrier", avant de préciser que "l'impunité est inacceptable, une tractation financière scellée à Epinal ne doit pas mettre fin aux investigations sur une fraude d’une ampleur internationale".

L'ONG "s’interroge sur le risque sanitaire"

Si l’ONG insiste sur le cas de la "célèbre" marque Perrier, c’est parce que l’accord financier scellé le 10 septembre ne concerne que Nestlé Waters Supply Est, c’est-à-dire les marques Vittel, Hépar et Contrex, ce qu’a pu confirmer, au Monde et à Franceinfo, le procureur d’Epinal Frédéric Nahon. Comme Le Monde et Radio France l’avaient révélé en janvier dernier, le directeur de l’ARS Occitanie, Didier Jaffre, n’a pas, contrairement à son homologue de l’est, signalé les faits à la justice, comme le lui imposait pourtant l’article 40 du code de procédure pénale, selon lequel toute administration ou tout agent de l’Etat a l’obligation de dénoncer tout crime ou délit qui viendrait à sa connaissance.

Or, comme le rappelle Foodwatch, "le scandale des filtrations illégales touche aussi la marque Perrier et les captages situés dans le Gard". La situation au sein de l’usine Perrier est peut-être même la plus préoccupante, puisqu’en avril dernier, près de 3 millions de bouteilles de la marque avaient dû être détruites en raison, selon la préfecture, d'"un risque pour la santé des consommateurs" suite à "un épisode de contamination par des germes témoins d'une contamination d'origine fécale". Selon la plainte de Foodwatch, on peut d’ailleurs encore "s’interroger sur le risque sanitaire" pour les consommateurs,"tant sur l’eau qui ne fait plus l’objet de traitement que sur l’eau toujours traitée, vu l’ampleur de la contamination dont elle fait l’objet".

Dans sa deuxième plainte, Foodwatch revient également à la charge contre le groupe Alma, à l’origine de toute cette affaire. C’est en effet sur la base du signalement d’un salarié du groupe Alma que la DGCCRF avait découvert, en 2020, l’utilisation de filtres interdits. L’exploitation des listings clients du groupe avait ensuite révélé que d’autres industriels du secteur, notamment Nestlé, avaient recours à des procédés de purification non conformes.

Afin d’étayer sa plainte, l’ONG Foodwatch a pu y joindre des factures, des bons de commande, des photos mais aussi des échanges de mails, que Franceinfo a pu consulter, et qui prouvent l'utilisation de ces traitements interdits, notamment l’injection de Co2 destinée à gazéifier une eau d'"exception", mais aussi le recours à du sulfate de fer, traditionnellement utilisé pour éliminer l’arsenic dans les eaux usées. Le groupe Alma évoque désormais, auprès du Monde et de Franceinfo, "des faits anciens et isolés", et affirme que "la sécurité sanitaire et alimentaire de nos eaux n’a jamais été remise en cause".

De son côté, le procureur de Cusset, en charge de l’enquête préliminaire ouverte contre l’entreprise Alma, interrogé par le Monde et Franceinfo concernant l’éventuelle ouverture d’une information judiciaire, n’a pour l’instant pas été en mesure de nous répondre.

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