Cet article date de plus de treize ans.

Le dollar monnaie de singe? Expression signée Myret Zaki, auteur d'un livre intitulé "La fin du dollar"

Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe au journal économique suisse "Bilan", nous explique pourquoi, selon elle, la monnaie américaine est le symbole affaibli d'une puissance américaine disparue.Pessimiste sur la situation américaine, elle est en revanche confiante dans l'avenir de l'euro, malgré les crises grecque ou portugaise.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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Myret Zaki (DR)

Myret Zaki, rédactrice en chef adjointe au journal économique suisse " Bilan", nous explique pourquoi, selon elle, la monnaie américaine est le symbole affaibli d'une puissance américaine disparue.

Pessimiste sur la situation américaine, elle est en revanche confiante dans l'avenir de l'euro, malgré les crises grecque ou portugaise.

On parle de crise de l"Euro et vous vous annoncez la «fin du dollar ». N"êtes vous pas à contretemps ?

Il est évident que le défaut (non remboursement d"une partie de la dette) d"un pays européen n"aurait pas du tout les mêmes conséquences qu"un défaut américain. Les Etats-Unis représentent aujourd"hui un risque systémique monétaire majeur. Une crise de la dette américaine est le plus grand danger qui existe au monde.

Comment en est-on arrivé là ?

Il s"est plus créé de dollars dans les dix dernières années qu"au cours des 100 précédentes années. Résultat, on voit aujourd"hui apparaître des craintes sur le dollar. Cela se voit à travers la valeur du billet vert : la chute du dollar est manifeste. Cette crainte n"est en revanche pas encore visible au niveau des emprunts américains (les "bons" du trésor). Il n"y a pas encore de faiblesse des obligations américaines car c"est la Banque fédérale américaine qui achète les obligations émises par Washington. Il y a là une véritable manipulation. Certes les créanciers des Etats-Unis n"ont pas massivement vendu, mais ils recherchent désormais à diversifier leurs avoirs. Les Chinois sont ainsi des gros acheteurs de papier européen, de la dette grecque ou portugaise notamment. Les créanciers des Etats-Unis savent qu"ils ne vont pas être intégralement remboursés de leurs créances américaines. C'est notamment le cas des quelque 1.600 milliards de dollars détenus par la Chine.

N"êtes-vous pas trop négative sur les Etats-Unis ?

Le dollar, c"est de la monnaie de singe. Les Etats-Unis sont en défaut technique. Entre leur dette publique - 14.000 milliards de dollars - et leurs dettes privées (50.000 milliards de dollars), la monnaie américaine ne vaut plus rien. Ajoutez à cela, que, selon moi, 45 millions d"Américains sont sortis du circuit économique. Ce sont ceux qui, avec leur famille, ont perdu leur maison. J"estime que les chiffres que l"on a sur l"économie américaine sont faux. Je pense ainsi que les chiffres officiels du chômage aux Etats-Unis représentent la moitié de la réalité. Sur un plan plus global, 75% du PIB américain provient de la consommation. En Europe, en revanche, il existe encore un secteur industriel réellement compétitif sur le marché mondial. Avec de tels chiffres, les USA ne sont pas une super puissance mais un pays en déconfiture.

Peut-on parler de guerre des monnaies ?

Les pays émergents se sont plaints de voir la Fed exporter l"inflation américaine car les capitaux quittent les Etats-Unis pour se placer dans ces pays et provoquer des hausses de taux. Plus globalement, c"est la place du dollar comme monnaie internationale qui est mise en cause. « Le dollar comme monnaie de réserve, c"est du passé », a même déclaré le président chinois. Aujourd"hui, tous les pays sont à la recherche d"une monnaie stable alors que la monnaie chinoise va devenir d"ici 2020 une monnaie mondiale. Ce n"est pas la première fois qu"on parle de crise du dollar, mais aujourd"hui les rapports de force dans le monde ont changé. Les « bric » (Brésil, Russie, Inde, Chine) ont pris les devants et vont exiger une autre politique monétaire internationale.

Comment pourrait éclater cette crise du dollar ?

En raison de ses niveaux, un éclatement de la dette américaine serait une catastrophe. Tout le système serait touché. Même la Fed, qui a vu son bilan tripler (avec notamment la reprise des actifs nocifs de la crise des subprime) ne pourrait pas intervenir. Il n"y aurait pas de filet. Les échéances cruciales pour les Etats-Unis pourraient arriver après la présidentielle de 2012, quand des décisions à prendre pour régler la question de la dette et des déficits devront être prises.

"La fin du dollar"

Myret Zaki a réussi son timing. Son livre au titre choc est sorti...en pleine crise de l'euro. Alors que tout le monde ne parlait que de la chute de l'euro, de l'impossibilité de l'Europe à s'accorder sur la crise grecque, la journaliste suisse a jeté un pavé dans la marre économique en rappelant à tout le monde que la dette américaine n'avait rien de comparable avec celle d'un petit pays comme la Grèce. Obnubilé par la crise grecque, on aurait oublié le vrai danger, le dollar agonisant. C'est ce que Myret Zaki nous rappelle, l'économie américaine est dans un tel état que sa monnaie ne vaudrait plus rien.

Un livre sorti avant que l'agence Moody's ne s'alarme publiquement sur une possible dégradation de la dette américaine.

Dans ce livre, Myret Zaki dresse un portrait apocalyptique d'une économie américaine droguée au crédit, faisant marcher massivement sa planche à billets pour masquer l'ampleur de ses déséquilibres et incapable de décider une politique économique crédible. Pour elle, l'économie américaine est en faillite, ses statistiques sont faussées et le monde fait face à une gigantesque bulle spéculative. Une situation que les Etats-Unis ont certes déjà connu (dans les années 70 le dollar s'était déjà effondré) mais entre-temps, le monde a changé. L'épicentre de l'économie mondiale s'est déplacé. Les pays en forte croissance ne veulent plus se laisser dicter leur loi (comme a pu l'accepter le Japon dans les années 80). Résultat les Etats-Unis feraient tout pour camoufler l'état de leur économie afin de préserver le dollar comme monnaie de réserve qui camouflerait la déconfiture américaine. Une monnaie de réserve que d'autres pays (et même le FMI de DSK) souhaiteraient changer au profit notamment d'un pannier de monnaies.

C'est le portrait de cette économie en mouvement avec son vilain petit canard (d'une certaine taille puisqu'il s'agit de la première puissance mondiale) qui rend l'ouvrage, bourré d'informations, passionnant.

La fin du dollar
de Myret Zaki
Ed.Favre

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