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Mayotte : on vous explique pourquoi ce département est "au bord de la guerre civile" après une nouvelle flambée de violences

Article rédigé par franceinfo
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Une femme se tient devant des voitures incendiées lors de violences entre bandes, le 21 novembre 2022, à Mamoudzou (Mayotte). (GREGOIRE MEROT / AFP)

Sur l'île de l'océan Indien, des affrontements toujours plus violents laissent les autorités impuissantes. Des policiers du Raid sont attendus pour aider les forces de l'ordre.

Après dix jours de violences sur l'île, la députée de Mayotte Estelle Youssouffa a décrit, lundi 21 novembre, "l'horreur", "la barbarie" et "la terreur" de la situation sur place. "On est au bord de la guerre civile", résume-t-elle. Un jeune homme a été tué et plusieurs personnes ont été blessées dans des affrontements récurrents entre bandes rivales. Dans la nuit de lundi à mardi, la police a dû dégager des barrages qui bloquaient la circulation et s'interposer entre des groupes qui voulaient s'affronter. Certains des groupes dispersés en ont profité pour agresser des usagers de la route, selon des témoins.

Une dizaine de policiers du Raid devaient arriver à Mayotte, mardi, pour renforcer les forces de l'ordre. Franceinfo vous raconte comment les violences ont redoublé dans ce département, en proie à une insécurité permanente.

Une "vendetta" après un meurtre

Le chef-lieu de Mayotte, Mamoudzou, est secoué par des conflits inter-quartiers qui se sont intensifiés après le meurtre, le 12 novembre, d'un jeune homme de 20 ans. Les faits ont été commis par une bande munie de "chombos", appelés aussi coupe-coupe, dans un village côtier de la commune, Mtsapéré. La victime était "un garçon sans histoire, une étoile montante du rap à Mayotte", connu sous le nom de scène "Skini", selon son entourage interrogé par Mayotte La 1ère. Il aurait croisé la route de cette bande, alcoolisée et issue d'un village rival au sien, en se rendant chez sa petite amie.

Ce meurtre a suscité l'émoi dans le village d'origine de la victime, Kawéni, de l'autre côté de Mamoudzou, provoquant des troubles dans ce secteur dès le 13 novembre. "Son village d'origine s'est lancé dans une vendetta", avance la députée Estelle Youssouffa.

"Des maisons ont été incendiées, des personnes ont été agressées et certaines amputées à la machette."

Estelle Youssouffa, députée sans étiquette de Mayotte

à franceinfo

Le 15 novembre, au sud de Mamoudzou, un individu armé d'une machette a coupé la main de sa victime dans un bus scolaire, rapportent l'AFP et Le Monde. Le lendemain, un autre bus scolaire a croisé la route d'une bande dans le nord de Mayotte. Après un caillassage du véhicule, plusieurs individus sont montés à bord, assenant des coups de machette au chauffeur et à quatre élèves de Kawéni, qui ont été blessés. Cette attaque a provoqué des scènes de chaos à Kawéni, avec des barrages enflammés et des jets de projectiles.

De nouveaux affrontements entre bandes ont eu lieu le week-end suivant. Samedi soir, un jeune a vu ses deux mains coupées, selon Mayotte La 1ère. Dimanche, un automobiliste a été poignardé à Mtsapéré, selon des sources policières citées par l'AFP. Des véhicules et des commerces ont été dégradés et des projectiles lancés sur les forces de l'ordre, selon ces sources. Des "actes de terrorisme", selon la mairie. "Mamoudzou brûlait de partout", résume le syndicat Alternative Police CFDT, suggérant que ces heurts entre bandes aient déjà pu faire d'autres "blessés, voire des morts" non signalés aux autorités.

Un sentiment d'abandon de la part de l'Etat

Selon Estelle Youssouffa, l'explosion de violences était "un drame annoncé". "On a l'impression d'être abandonnés par les autorités, parce que ça fait des années que Mayotte appelle à l'aide. Est-ce qu'on est des Français comme les autres ? Des familles entières quittent l'île, les investisseurs, les fonctionnaires. On est en train de tuer Mayotte dans l'indifférence générale."

Le sujet des violences est explosif dans ce territoire de l'océan Indien. La situation avait déjà poussé, fin septembre, les élus locaux à organiser une "opération île morte". Des écoles primaires et des administrations locales avaient fermé afin de manifester l'exaspération des habitants face à l'insécurité, sur fond de grande pauvreté et de crise migratoire.

Mi-octobre, certains élus avaient ensuite alerté, à Paris, sur la violence "invivable" et croissante dans ce département, exigeant que "l'Etat assume pleinement sa mission régalienne de sécurité".

"Mayotte est devenu un territoire de peur, de traumatisme et de deuil."

Madi Madi Souf, président de l'association des maires de Mayotte

le 18 octobre, face à la presse

Le sentiment d'insécurité est très fort à Mayotte. Dans une analyse de novembre 2021, l'Insee relevait que "près de la moitié des personnes se sentent en insécurité souvent ou de temps en temps, à leur domicile ou leur quartier, soit cinq à six fois plus que les habitants de l'Hexagone". Les mineurs sont en première ligne. Au 24 octobre, le gestionnaire Transdev avait déjà recensé 181 caillassages de cars scolaires depuis le début de l'année.

La tentation de l'auto-défense face à un système judiciaire critiqué

"Si l'Etat ne fait rien, des citoyens vont s'en charger", avait prévenu, mi-octobre, la députée Estelle Youssouffa. "On est dans une zone de non-droit et on va vraiment basculer dans l'anarchie." Elle évoquait, comme d'autres élus, la formation de sortes de milices citoyennes, signe que la population a le "sentiment que l'Etat est dépassé, que la police est dépassée". Dimanche, "des habitants se sont armés de barres de fer et machettes pour se défendre contre les bandes", a alerté une source policière. "La population veut prendre les armes", a abondé, lundi, Estelle Youssouffa.

Les enquêtes sur les faits qui se sont déroulés la semaine passée sont "en cours", a affirmé, lundi, le procureur de la République, Yann Le Bris, précisant qu'"à ce stade, seuls quelques mineurs ont été interpellés". Lundi, le député LR Mansour Kamardine a dénoncé la "complaisance" accordée selon lui à certains membres de ces "bandes barbares".

La justice, qui fait face à un sous-effectif et des lenteurs de procédure, est régulièrement pointée du doigt dans ce territoire. En mai 2020, un jeune homme avait été enlevé et battu à mort par deux pères de famille, qui avaient expliqué leur geste par l'inefficacité de la justice. Lors de leur déferrement, le tribunal judiciaire avait été pris d'assaut par des manifestants et un déferlement de haine s'était abattu sur le procureur de la République de l'époque, précipitant son départ de Mayotte.

En visite en août, le ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin, avait promis des renforts de gendarmerie, qui devraient être disponibles l'été prochain, et évoqué des propositions à venir pour ouvrir "des lieux de rééducation et de redressement" pour les mineurs délinquants, encadrés par des militaires. Les syndicats de policiers, eux, réclament le déploiement permanent d'une compagnie de CRS ou la création d'une "force de projection" réservée à l'Outre-mer.

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